4.2.3.2.1. LA MISSION LOCALE

C'est sur un principe d'association de lieux et de personnes que Johan se souvient et raconte son histoire. Ainsi, la Mission Locale n'est jamais identifiée en tant que telle, elle est nommée à travers ses différentes localisations géographiques et à travers les personnes associées à ces lieux.

C'est toujours selon le même principe d'association que son discours passe de l'évocation de la Mission Locale en la personne de madame Y, car c'est celle qui <<s'occupe>> de lui, à l'évocation d'une proposition de rencontre entre madame Y et les responsables de son entreprise, car ce sont également eux qui <<s'occupent>> de lui. En identifiant la catégorie relais entre les deux moments du discours - les personnes qui s'occupent de lui - on parvient à comprendre le principe d'un enchaînement discursif qui n'allait pas de soi.

On est loin des accusations d'assistanat que portait Makram à l'encontre de la Mission Locale, et de ses revendications d'autonomie ; Johan affiche tout au contraire, avec assurance et maîtrise de la situation, des liens qui sont pensés dans les termes de la dette-dépendance. Il ne vit pas ses liens de dépendance à l'égard de la Mission Locale comme déresponsabilisants, mais bien au contraire, comme source de valorisation - ‘<<elle avait l'air assez contente parce qu'elle m'a dit que j'avais trouvé par moi-même>>’ - et d'échanges. Madame Y s'occupe de lui et en retour il lui propose de formaliser une rencontre avec son employeur qui pourrait déboucher sur d'autres opportunités d'emplois. C'est dans les termes de l'échange réciproque qu'il conçoit les relations qu'il a établies avec la Mission Locale.

Johan marquera un temps et je le relancerai sur son premier contact avec la Mission Locale : ‘<<Je cherchais du travail, là j'avais touché déjà un peu à tout, donc aussi bien j'ai fait de la restauration mais bon j'suis pas resté parce que c'était sans arrêt des engueulades tous les jours tous les jours donc j'suis parti. J'ai travaillé chez Renault comme bénévole à Givors donc là c'était intéressant mais bon c'était pas payé donc à la fin du mois tout le monde avait sa paye moi j'l'avais pas donc, c'est parce que bon j'suis un mordu des voitures et puis bon après j'ai stoppé ça j'ai dit ça va m'amener à rien j'vais perdre un an pour rien. Après y a eu l'armée donc j'suis parti un an donc c'est moi qui ai voulu partir à l'armée parce que mes parents étaient pas trop chauds j'ai dit d'façon faut bien la faire quoi et puis en revenant de l'armée j'ai fait deux trois petites bricoles, p'tits boulots à droite à gauche, j'ai travaillé à Sofecom à côté de la Raffinerie, puis bon j'suis pas resté ça me plaisait pas du tout, puis après y a eu la ville donc du 14 mars 94 au 31 octobre 95 et puis après j'suis resté trois semaines sans rien faire et après j'ai débarqué (à la Mission Locale), bon j'ai dit j'envoie tout de suite mes lettres (...) j'ai envoyé à X on m'a dit bon "ben fais vite la Raffinerie on sait jamais" et j'suis arrivé là-bas il m'a dit ben "fais tes papiers pour heu pour la mairie et là on te donne tout de suite tes habits (...) ils m'ont dit "ben si tu veux tu prends les habits tu commences dès ce soir" c'est-à-dire j'ai commencé le 28 novembre précisément à 13h jusqu'à 21h>>.’ Le parcours professionnel est évoqué aux détours d'espaces de travail successifs qui ne nous renseignent à aucun moment sur la nature du travail réalisé. Le cadre de référence de ces expériences est l'établissement où se déroule l'activité, pas les tâches effectuées ou le poste occupé, et encore moins le métier de référence.

Le "travail" s'apprécie dans un espace "géographique" - ‘<<des p'tits boulots à droite à gauche>>’ - qui confère toute sa signification à l'activité. Ainsi, une activité pointée comme <<bénévole>> sera significativement présentée comme une activité de travail - ‘<<j'ai travaillé chez Renault comme bénévole>>’ - car elle s'inscrit dans un espace identifié par tous, "l'entreprise Renault".

On voit dès lors comment la catégorie de "bénévolat" peut être à la fois rattachée à celle de "travail", puisque l'activité s'est exercée dans un cadre professionnel, et en même temps détachée, puisqu'il abandonnera cette activité, qui justement, parce que bénévole - non rémunérée, n'est pas considérée comme un véritable emploi.

Comme la plupart des jeunes hommes rencontrés, Johan va justifier le maintien ou l'abandon des postes occupés par la catégorie du "plaire". Il ne s'agit pas d'évaluer l'intérêt d'une activité professionnelle du point de vue financier, du point de vue de l'adaptation à la formation professionnelle antérieure, ou encore du point de vue du prestige de l'entreprise ; c'est en termes de plaisir ou de déplaisir que s'évaluera le travail.

Alors même que la relance fixe un cadre - la première rencontre avec la Mission Locale, Johan va faire référence à une histoire bien antérieure au moment ciblé. Il va non seulement évoquer les "emplois" occupés avant cette "première" rencontre, mais en outre, substituer à cette "première" rencontre, son "avant-dernière" rencontre, celle qui sera suivie de démarches de candidatures spontanées infructueuses et qui se soldera par son embauche actuelle grâce à la mobilisation de son réseau personnel. Quel sens donner à cette "réponse" ?