4.2.3.4.3. UN TEMPS SOCIAL PROBLEMATIQUE

Dépassant le seul exemple de Johan - Nadine, Sylvain, Sandra, Sandrine B, Mériem, Paulo et Sami, avaient déjà posé la catégorie du rythme de travail comme problématique - cette catégorie de la "lenteur" met sur la scène de l'analyse la problématique du temps comme objet d'appropriations sociales multiples. Comme l'a analysé HALBWACHS264, le temps n'est pas un donné universel, mais une construction sociale et historique qui l'a amené à proposer le concept de temps social pour pointer la nécessité qu'il y a à contextualiser les notions de "lenteur" et de "rapidité".

L'économie capitaliste mondialisée imposerait alors un rapport au temps qui exclut des catégories de population, mises dans l'incapacité de suivre le rythme du travail et son évolution, non plus seulement par manque de qualification, mais par l'impossibilité, socialement stigmatisée comme "handicap social", de s'adapter à un temps social qui n'est pas le leur. La qualification serait alors la forme socialement construite comme légitime pour justifier du processus d'incorporation du temps social dominant.

L'évocation de l'échec de la mission intérimaire sera suivie une nouvelle fois du récit de son recrutement sur l'emploi qu'il occupe actuellement. ‘<< (...) "Et puis après tu verras et puis bon on peut toujours s'arranger pour les jours, si y a des jours tu peux pas et ben on fait un changement, mais c'est pas trop recommandé parce que j'vois comme moi l'autre jour j'ai du remplacer un de mes collègues (...) ils m'ont dit "bon ben ça va pour cette fois (...) mais faut pas que ça se renouvelle tout le temps", parce que le problème aussi bien à la raffinerie c'est des gens impeccables, autant chez Hermès, on est quatre sur le site et les trois qui sont avec moi c'est des lycéens, donc c'est des gars la semaine on les voit pas, ils viennent que le week-end (...) j'en ai un il fait les grandes écoles (...) et la plupart du temps ils veulent leur week-end entier (...) moi j'ai dit "personnellement j'suis plus à l'école donc s'il veut faire ça, moi ça m'gêne pas">>’, le rythme de travail est une fois encore mobilisé dans l'énonciation, mais cette fois pour le rapporter à un processus de différenciation sociale qui vient nous dire combien le temps est doublement social. Social en ce qu'il n'est pas vécu sur le même rythme par tous de la même façon. Mais social encore parce que certaines catégories sociales peuvent s'offrir le luxe de choisir leur emploi du temps.

Les récriminations à l'encontre de l'emploi du temps vont mobiliser de nouveau un long moment de l'entretien, au cours duquel sera évoqué le rôle et la situation professionnelle de son père : ‘<<J'en ai parlé à mon père, parce qu'il s'y connaît en surveillance (...) il trouve ça complètement aberrant (relance : <<Votre père travaille dans la sécurité ?>>) non mais lui il est au centre de recherche donc non lui c'est pas vraiment son style, lui c'est surtout la restauration, c'est-à-dire c'est lui qui prévoit les repas quand y a quelqu'un d'important qui vient déjeuner là-bas et il connaissait assez bien la sécurité parce qu'ils ont des gardiens chez eux>>’. L'activité professionnelle de son père, de la même façon que pour lui, est décrite dans les catégories de lieu, d'activité, de contenu de travail, mais il nous est difficile d'identifier le poste occupé et le métier exercé. Si l'on peut faire l'hypothèse qu'il est chef cuisinier, il est intéressant d'observer le processus de mise en valeur de la profession de son père par l'exposition très sélective qu'il opère dans la présentation de son activité - ‘<<c'est lui qui prévoit les repas quand y a quelqu'un d'important>>. ’La disqualification professionnelle serait-elle alors une histoire de famille qu'il a appris à dépasser par un processus inverse de surqualification ?

On notera par ailleurs que pour la première fois, l'activité d'inconnus qui exercent la même activité que lui est présentée dans la catégorie du "métier" - <<gardien>>.

Notes
264.

1968