4.2.3.5.4. L'ATELIER DE RECHERCHE "D'AMIS"

Le message d'insatisfaction de Johan transparaît tellement derrière des propos qui se veulent modérément plaintifs, que je vais procéder à une relance significative de la teneur des propos qu'il tient à ce moment de notre entretien : ‘<<Et vous me disiez hier au téléphone que vous aimeriez revenir à l'Atelier Recherche d'Emploi ?>>,’ ‘<<C'est, d'une part pour voir un peu tout le monde et surtout pour voir Madame X pour lui dire que tout se passe bien, parce que j'la vois plus du tout, et puis j'aimerais plus de rendez-vous mais c'est sûr qu'avec un boulot comme ça c'est pas évident>>’. Je lui avais posé cette question dans l'enchaînement de propos que je ressentais comme marqués par la désillusion, pensant qu'il justifierait sa volonté de reprendre contact avec la Mission Locale dans l'idée d'une nouvelle recherche d'emploi. Or, c'est dans l'idée de rétablir des contacts qu'il pense retourner à l'Atelier Recherche d'Emploi, ce qui ne correspond en rien à l'objectif affiché de ce dispositif.

Le détournement qu'il opère de ce dispositif illustre parfaitement les processus différentiels d'appropriation qui sont en jeu dans la mise en oeuvre de toute mesure ou dispositif. L'observation participante informelle de cet "atelier" m'aura permis de mesurer combien il s'agissait, pour la majorité des jeunes présents, tout autant d'un lieu d'échanges, de rencontres, que d'un lieu de recherche d'emploi. Le dispositif de "l'atelier" vient rompre l'isolement des demandeurs d'emploi en offrant un cadre temporel d'interrelations qui participera, de par sa dynamique relationnelle, à quelques résultats significatifs, même s'ils sont rares. L'Atelier Recherche d'Emploi constitue à ce titre un espace de lien social potentiel qui dépasse largement l'objectif initial de cet outil.

Ainsi, la volonté de Johan de participer à nouveau à l'Atelier, alors qu'il est en CDI, est justifié parce que : ‘<< J'avais un groupe qui était super on se parlait tous entre nous en plus on avait à quelque chose près le même âge entre 25 et 30 ans donc c'était super le problème c'est qu'on s'est pas laissé les adresses, c'est dommage parce que moi j'pense quand on s'entend bien avec un groupe on laisse les coordonnées>>.’

Dans l'isolement de la recherche d'emploi, l'Atelier est vecteur de rencontres et peut-être moteur d'une mise en relations avec les autres qui constitue un préalable à toute "insertion" ou "réinsertion" dans un espace professionnel. L'Atelier Recherche d'Emploi, au même titre que l'ensemble des actions mises en place pour aider les demandeurs d'emploi dans leurs démarches, s'inscrit, au-delà d'un technicisme formalisé par une panoplie d'outils toujours plus élaborés, dans un objectif implicite de création de lien social. Se substituant aux réseaux de solidarités traditionnels que constituent la famille, le voisinage, la communauté culturelle ou religieuse, ou encore les corporatismes professionnels, les actions d'aide à la recherche d'emploi tentent de pallier l'insuffisance, voire l'inexistence, de ces réseaux qui garantissent le candidat auprès de l'employeur.

Cependant, rétablir des contacts c'est également rétablir des contacts avec la conseillère qui le suit dans son parcours d'insertion professionnelle. Mais dans quel but souhaite-t-il rencontrer Madame X alors qu'il est actuellement embauché dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée ? ‘<<Pour lui dire comment ça se passe et tout parce que bon j'ai pas vraiment eu le temps de lui en parler parce que l'autre jour j'ai pris un rendez-vous mais j'suis resté à peine une heure alors ça fait pas long et puis c'est surtout si vraiment un jour elle a envie de voir des responsables comme j'y vais y a aucun problème, aussi bien le directeur que les deux responsables (...) parce que aussi bien ils prennent dix personnes ça leur fait pas mal au coeur>>.’ Une fois encore, Johan est contraint de se plier à un temps social qui n'est pas le sien. Alors que le réseau des Missions Locales a établi à trente minutes la durée moyenne d'un rendez-vous, une heure paraît bien peu à Johan qui se verra obligé de reprendre un rendez-vous pour continuer la conversation.

Mais c'est <<surtout>> nous dira-t-il, pour que les contacts établis avec la Mission Locale prennent la forme d'un échange réciproque, où il pourra payer le service rendu par la conseillère par la possibilité de débouchés professionnels pour d'autres jeunes qui s'adressent aux services de la Mission Locale.