1.3. Les ateliers augustÉens, des succursales italiques À Lyon.

Le rattachement de l’atelier de la Muette aux ateliers italiques d’Arezzo, dont il serait une succursale, repose sur de nombreux éléments d’hypothèses historiques que sont venues confirmer des analyses chimiques.

La sigillée de la Muette reflète sur le plan typologique, comme sur les choix technologiques, l’adoption des standards italiques. La conformité de la production lyonnaise au modèle original a nécessité l’importation d’un procédé de fabrication sophistiqué et précis : grésage de l’engobe sur une pâte calcaire, mode de cuisson en atmosphère oxydante permanente contrôlée dans des fours à tubulures. L’organisation et l’installation d’ateliers de céramiques produisant à la manière italique peu de temps après la fondation de la colonie, sans phase connue d’adaptation, a requis la présence d’artisans parfaitement coutumiers des modes de productions arétins. La maîtrise de la cuisson en four à tubulures, la réalisation d’un engobe destiné au grésage mettaient en oeuvre des techniques et des savoir-faire qui étaient encore inconnus en Gaule. Les ateliers gaulois d’imitations de campanienne ou de sigillée se sont toujours limités à la production de vases à engobe non grésés.

La circulation des potiers est attestée notamment par l’existence - démontrée par analyse chimique des pâtes117 - d’une production de sigillée signée ateius dans la région lyonnaise. Déjà identifiée à Arezzo et à Pisa, la production d’Ateius à Lyon n’est pas localisée, il peut s’être agi d’une phase encore méconnue de l’atelier de la Muette dont les dépotoirs sont restés enfouis.

D’autres analyses chimiques effectuées sur la pâte céramique confirment encore plus clairement la nature des liens entre ateliers lyonnais et arétins. L’analyse des 14 fragments de moules (essentiellement des moules pour la sigillée décorée) découverts durant la fouille de la rue de la Muette a isolé deux fragments dont la composition chimique était proche des argiles d’Arezzo118 . La preuve de ce transfert de moules d’un atelier vers l’autre laisse supposer des échanges plus nombreux d’outils, et certainement des poinçons qui constituent le vocabulaire ornemental de la sigillée.

Si l’atelier de la Muette est une succursale arétine installée en Gaule pour favoriser la commercialisation de ces productions vers le nord-est de l’Empire, ce statut économique pourrait être envisagé pour d’autres ateliers dont l’activité est comparable. Un autre échange de moule a été mis en évidence entre Saint-Romain-en-Gal et l’atelier de la Muette. L’antériorité de la production viennoise permet d’avancer l’hypothèse d’un déplacement d’atelier. D’abord installé sur la rive droite du Rhône à Vienne, l’atelier aurait trouvé sa place définitive sur les bords de Saône à Lyon. Ce qui semble désormais accepté pour la production de gobelets d’aco doit encore être démontré pour la production de sigillée, des éléments nouveaux sont indispensables. Ainsi, l’atelier d’Ateius dont on cherche vainement l’emplacement à Lyon a pu s’établir à Vienne219 .

Aucun élément aussi décisif ne permet d’étendre cette logique de filiale à l’atelier de Loyasse. La production de gobelets d’aco de Loyasse se distingue par ses décors et ses signatures de celles des ateliers de Vienne ou de la Muette, l’hypothèse d’un transfert de moule dont il nous manquerait les témoins peut donc être difficilement répétée. Toutefois, pour l’ensemble de ces sites, la production de gobelets d’aco ne dérive pas d’une tradition gauloise, et la création des types dont certains ont reçu un engobe plombifère, est largement documentée dans la vallée du Pô où des ateliers sont connus120 . L’origine padane de cette production est assurée, la présence dans le nord de l’Italie ou au Magdalensberg de gobelets d’aco signés Hilarus serait alors le premier argument d’une série établissant une filiation directe entre les ateliers de la région lyonnaise et les ateliers padans.

L’installation de ces ateliers italiques au coeur de la Gaule pose inévitablement un ensemble d'interrogations qui ont suscité de nombreuses hypothèses. Le rôle majeur de la production de l’atelier de la Muette est particulièrement éclairé par la présence abondante des céramiques sigillées attribuées à la région lyonnaise sur les sites du nord de l’Empire (jusqu’à 50 % pour le camp d'Haltern). La nature des liens qui unissaient la production céramique et l’approvisionnement militaire sont mal définis et ne fournissent pas une explication pleinement satisfaisante, il est de plus évident que cette relation n’était pas exclusive. D’autre part, l’atelier de Loyasse n’a sans doute jamais organisé une production aussi massive et les premières phases de production de l’atelier de la Muette étaient plus modestes.

L’établissement des colonies rhodaniennes a favorisé l’installation de l’ensemble des corps de métiers qui assuraient aux nouveaux venus un cadre de vie matériel conforme aux usages romains. Les habitudes alimentaires et le service de la table d’une société qui s’établit durablement nécessitaient un approvisionnement aisé en céramique. Mais celle-ci, issue d’un savoir-faire avancé, ne pouvait être produite que par des artisans spécialisés. Ces ateliers utilisant des modes opératoires parfaitement rodés en Italie ont introduit de manière soudaine en Gaule des procédés de fabrication bien plus exigeants que ceux qui étaient en usage, et la diffusion courante d’un vaisselier inusité.

Le développement de l’atelier de la Muette est généré par la production massive de la céramique sigillée. Les céramiques à paroi fine qui constituaient l’essentiel des dépotoirs de la première phase de production (fig. 7) deviennent très minoritaires dans les dépotoirs de l’ensemble ii (fig. 8). Le coût de production élevé de la céramique sigillée121 ne pouvait être rentabilisé que par une augmentation importante de la production. L’écoulement d’un volume aussi considérable de céramiques ne peut se concevoir en dehors d’un système commercial parfaitement organisé. Dans le cas des ateliers lyonnais, l’importance politique de la cité et sa position géographique idéale ont pu appuyer cet essor industriel.

L’absence d’étude de grande ampleur, et la difficulté de réaliser des analyses sur les céramiques à paroi fine augustéennes, ne permettent pas de mesurer aussi précisément le rayonnement de l’atelier de la Muette. Les comptages sur le site de production (fig. 7-8) minimisent le rôle de la paroi fine dans le développement de l’atelier.

L’arrêt de la production sur le site de la Muette intervient après un bref déclin de l’activité durant lequel seul le marché régional continue d’être alimenté. Toutes les raisons avancées pour expliquer ce phénomène demeurent conjecturales. Il est probable que l’épuisement des ressources en bois, conjugué avec le développement urbain de la cité, ne permettaient plus le maintien et la croissance sur le site de la Muette d’une activité rentable de production de céramique sigillée. Quelques indices laissent même penser que les potiers actifs à Lyon ont dû rejoindre les nouveaux centres de production naissants à Lezoux ou à la Graufesenque.

À moins que d’autres ateliers ne soient mis au jour, la production de céramiques à paroi fine lyonnaise s’est interrompue au début du ier siècle apr. J.-C. Un bref hiatus semble donc s’intercaler entre la fin des productions augustéennes et le début d’activité de l’atelier de la Butte. Quelques années durant lesquelles le répertoire de la céramique à paroi fine est réduit aux bols hémisphériques granités gris qui sont généralement considérés comme des importations italiques.

Notes
17.

1. Picon (M.), Garmier (J.), « Un atelier d’Ateius à Lyon », Revue Archéologique de l'Est, 25, 1, 1974, p. 71-76. Picon (M.), Widemann (F.) et alii, « A Lyons’ branch of the Pottery-making Firm of Ateius », Archeometry, 17, p. 45-49. Mencheli (S.), « Terra sigillata Pisana : forniture militari e ‘ libro mercato ‘ », Rei Cretariæ Romanæ Fautorum, acta, 35, 1997, p. 191-198.

18.

1. Picon (M.), Lasfargues (J.), « Transfert de moules entre les ateliers d'Arezzo et ceux de Lyon », Revue Archéologique de l'Est, 25, 1, 1974, p. 60-69.

19.

2. Picon (M.), « Études en laboratoire et production des officines d’Ateius : bilan et perspective », p. 409, dans « Ateius e le sue fabbriche. La produzione di sigillata ad Arezzo, a Pisa e nella Gallia meridionale », Annali della Scuola Normale superiore di Pisa, XXV, 1-2, 1995, p. 271-461.

20.

1. Lavizzari Pedrazzini (M. P.), Ceramica romana di tradizione ellenistica in Italia settentrionale. Il vasellame “tipo Aco”, pubblicazioni della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’ Università di Pavia, 42, Pavia, 1987.

21.

1. Picon (M.), « La céramique sigillée est-elle une céramique comme les autres ? », L’Archéologue, 1999, p. 12-16. La fabrication de céramique sigillée était si onéreuse que lorsque les débouchés commerciaux ne permettaient plus la vente d’un volume suffisant de céramiques, ces procédés étaient immédiatement abandonnés.