Avec l’atelier de la Butte, la technologie de la production de céramique à Lyon est profondément renouvelée. Ce phénomène n’a rien de local, on sait qu’il touche l’ensemble de la production de céramique à paroi fine dans le monde romain.
Depuis sa création à l’époque républicaine en Étrurie, les céramiques à paroi fine étaient presque exclusivement modelées ou moulées en pâte siliceuse. Pour les productions les plus anciennes, ce choix d’argile paraît avoir été déterminé par un choix culturel, celui d’imiter la vaisselle de bronze174 . La permanence de cette technologie jusqu’à l’époque augustéenne en Gaule est justifiée par une volonté d’imitation des modèles italiques.
Une grande partie du répertoire typologique augustéen disparaît avec l’arrêt des ateliers augustéens à paroi fine de Lyon. Des gobelets parmi les plus courants (tonneau, tronconique, cylindrique) n’existent plus, seul demeure en circulation un type qui était produit à la Muette, en faible quantité au début, mais qui était devenu majoritaire à la fin de la production : le bol hémisphérique à sillon (types 5, 6). Mais tandis que les exemplaires de la Muette étaient, comme l’ensemble de la production à paroi fine, rouge, lisse ou guilloché, ceux qui subsistent sur le marché lyonnais sont modelés dans une pâte saturée de dégraissant sableux, offrent une surface granitée et ont souvent été amenés au gris par une cuisson réductrice. La fabrication de ces bols granités typiques de l’époque tibérienne n’est pour l’instant pas attestée à Lyon ou dans la région. Leur présence au Magdalensberg ainsi que la nature de leur pâte soutiennent l’hypothèse d’une importation italique275 .
L’atelier de la Butte redonne à la production de céramique à paroi fine lyonnaise l’ampleur qu’elle avait connue avant le déclin de l’atelier voisin de la Muette. Cependant, cette renaissance témoigne d’une double mutation. Une mutation typologique car le répertoire augustéen est abandonné. Une nouvelle série de bols hémisphériques au profil abaissé constitue, avec l’intégration des pots ovoïdes dans le vaisselier de la céramique à paroi fine, la production la plus massive qu’accompagne désormais une plus grande variété de formes nouvelles. L’usage de la barbotine a multiplié d’autre part les possibilités décoratives.
Ce renouvellement typologique et ornemental est accompagné d’une mutation technologique radicale. De l’emploi presque exclusif d’argiles siliceuses pour la céramique à paroi fine depuis sa création, l’atelier de la Butte illustre le passage à celui totalement opposé et unique d’une argile calcaire. Ainsi, la coloration des vases n’est plus celle de l’argile siliceuse, brute ou lissée (rosée à rouge), mais est assurée et contrôlée par un engobage systématique de la production.
La production de céramique à paroi fine en pâte calcaire n’est pas une invention du ier siècle apr. J.-C. Parmi le matériel de l’atelier de la Muette, on a découvert qu’une partie du répertoire de la céramique à paroi fine avait été produit, en petite quantité, en pâte calcaire ainsi que quelques formes originales176 . D’autre part, on connaît à Vienne une production de céramique à paroi fine augustéenne imitant notamment les gobelets d’aco en pâte calcaire engobée277 . Bien que la fabrication de vases à paroi mince requerrait un savoir-faire avancé au point, comme le rapporte Pline l’Ancien378 , qu’il a pu faire l’objet de concours entre potiers, il est évident - et l’examen de certaines formes de sigillée479 ou même de campanienne580 à paroi très mince le démontre - que la fabrication de vases à paroi fine en pâte calcaire ne posait pas de problème insurmontable, et que cette technologie était maîtrisée.
Aucun argument ne permet d’envisager cette mutation comme un progrès technique, concernant le modelage ou la cuisson, qui aurait enfin rendu possible cette nouvelle production. Seule l’association, argile calcaire/engobe (grésé ou non) est confirmée sur l’ensemble des ateliers lyonnais181 , comme pour l’ensemble des productions de céramiques fines romaines.
Faute d’éléments proprement technologiques qui expliqueraient les profondes mutations qui affectent la production de céramique à paroi fine au ier siècle apr. J.-C., il faut présumer que les raisons de la modification de la production sont uniquement culturelles. Les hypothèses sont peu nombreuses et leur validation est complexe. On peut songer à un phénomène de mode dont il est impossible de rendre compte d’un point de vue scientifique.
L’examen des productions concurrentes à la céramique à paroi fine pour le vaisselier de la boisson est source de conjectures. Le service de la boisson est délaissé par les autres productions de céramiques fines. Les vases à boire existent en sigillée, mais leur fréquence n’est pas comparable avec celle des assiettes qu’ils pourraient accompagner. La vaisselle métallique était réservée à une élite économiquement privilégiée ; ce n’est pas le cas du verre, plus accessible, dont l’usage recouvrait tout à fait celui que s’était assignée la céramique à paroi fine : vases à boire individuels, service, unguentaria. Les rapprochements typologiques et fonctionnels sont nombreux entre le vaisselier en verre et la céramique à paroi fine. La proximité des sites de productions terre/verre (des vestiges d’ateliers de verriers ont été trouvés place de la Butte et à la Manutention Militaire282 ) a pu donner lieu à des échanges. En tous cas, on imagine mal un cloisonnement hermétique de ces deux activités dans un même quartier artisanal. L’utilisation de la barbotine rappelle évidemment celui des filets décoratifs en verre, mais si l’hypothèse d’une réaction des potiers au contact de l’industrie du verre est séduisante, elle n’a de résonance que locale. La modification des modes de productions de la céramique à paroi fine touche d’autres régions : l’ensemble de la Gaule, l’Espagne et, sous des formes plus diverses, l’Italie. Il faudrait admettre que ce phénomène se soit reproduit simultanément à une échelle importante ou qu’il s’est répercuté en chaîne.
Finalement, la généralisation de cette mutation technologique et typologique sur un large champ géographique complique sérieusement la compréhension de sa genèse.
1. Pour résumer le travail argumenté de Marabini Moevs, les premières formes de céramiques à paroi fine reprennent la forme des situles en bronze de l’âge du fer italien, notamment des civilisations Golasecca et Este. Contrairement à la plupart de céramiques fines romaines d’influence hellénistique, les parois fines préaugustéennes puisent largement dans le répertoire typologique et décoratif celte. Marabini Moevs (M. T.), The Roman Thin Walled Pottery from Cosa (1948-1954), Memoirs of the American Academy in Rome, 32, 1973, p. 35-45.
2. Desbat (A.) et alii, « Les productions des ateliers de potiers antiques de Lyon. 1ère partie : Les ateliers précoces », Gallia, 53, 1996, p. 68.
1. Desbat (A.) et alii, « Les productions des ateliers de potiers antiques de Lyon. 1ère partie : Les ateliers précoces », Gallia, 53, 1996, p. 67-68.
2. Desbat (A.), Savay-Guerraz (H.), « Les productions céramiques à vernis argileux de Saint-Romain-en-Gal », Figlina, 7, 1986, p. 94.
3. Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, xxxv, 161.
4. Ettlinger (E.) et alii, Conspectus formarum terrae sigillatae italico modo confectae, Materialien zur römisch-germanischen Keramik, 10, Bonn, 1990, forme 50.
5. Morel (J.-P.), La céramique campanienne : les formes, Rome, 1981, p. 51.
1. Picon (M.), Vichy (M.), « Recherches sur la composition des céramiques de Lyon », Revue Archéologique de l'Est, 25, 1, 1974, p. 37-59.
2. Nenna (M.-D.), Vichy (M.), Picon (M.), « L’atelier de verrier de Lyon du ier siècle après J.-C., et l’origine des verres "romains" », Revue d’Archéométrie, 21, 1997, p. 81-87.