3.5.2. Nouvelles perspectives statistiques

Pour revenir sur l’étude des contextes, il est indispensable d’en saisir les limites avec une méthodologie rigoureuse. Cette réflexion est imposée par la faible représentation de la céramique à paroi fine dont l’étude requiert l’utilisation d’ensembles de volume important pour rassembler des groupes significatifs de matériel. La réunion de séquences stratigraphiques contemporaines permet quelquefois d’augmenter le volume de matériel disponible, mais le plus souvent le recours aux dépotoirs, quand ils existent, est l’unique moyen d’isoler une petite quantité de céramique à paroi fine. La datation de tels contextes - formés parfois sur de longues périodes - nécessite la maîtrise des phénomènes attachés à leur constitution.

L’amplitude maximale de la datation d’un ensemble englobe tout le matériel. Dans l’exemple d’un contexte ainsi daté entre 10 et 80 apr. J.-C. celui-ci comprend : du matériel de tradition augustéenne que l’on pourra isoler comme résiduel, de la céramique du coeur du ier siècle apr. J.-C., et les objets les plus récents.

L’arrêt de l’alimentation d’un dépotoir, de la destruction ou de l’abandon d’un site est fixée par l’étude des éléments les plus récents (pour notre exemple un tesson daté des années 70-80 apr. J.-C.). Ceux-ci déterminent le terminus post quem.

La datation du corps de l’ensemble exige une approche discriminante. Elle exclut le matériel résiduel qui demeure en circulation ou persiste dans les remblais, mais aussi le plus récent parfois tout à fait minoritaire. Ce corps majoritaire a une datation qui lui est propre (toujours pour notre exemple, la majeure partie du matériel pourrait être datée entre 30 et 60, ainsi un vase de datation inconnue aurait une forte probabilité d’appartenir à ce groupe), elle peut être évaluée avec l’exploitation statistique des données par un histogramme des dates de fabrications tel qu’il a été défini par Ph. Lanos1186 . Ce type de représentation (généralement appliqué à la céramique sigillée, catégorie la mieux datée) prend en compte la probabilité annuelle de fabrication2187 , elle permet de souligner des différences sensibles entre des ensembles apparus identiques sur de simples histogrammes de datations.

message URL SCH002.jpg

En appliquant cette méthode à deux ensembles de chronologie contemporaine selon des études classiques (Boutique de Vienne et Kiosque de la place Bellecour), on a pu mettre en lumière des différences sensibles dans leur composition. La datation globale de ces deux contextes est établie essentiellement sur l’examen de la sigillée, et plus particulièrement sur l’apparition de la forme Ritt. 12 (admise autour de 40 apr. J.-C.). La prise en compte de la totalité de la céramique sigillée dans un histogramme de Lanos montre pour la boutique de Vienne (fig. 79) une présence très majoritaire de sigillée dont la date probable de fabrication commence dès 30 apr. J.-C. D’autre part le groupe des céramiques que l’on jugerait résiduel en contexte de consommation (qu’il faut pour une boutique considérer comme un stock ancien) est important avant 30 apr. J.-C.

Pour la céramique du Kiosque de Bellecour un histogramme comparable (fig. 80) souligne une présence réduite du matériel résiduel et fait apparaître un léger décalage du groupe majoritaire vers 40 apr. J.-C.

message URL FIG079.gif
Figure. 79 - Histogramme des dates de fabrication (Lanos 1991), céramique sigillée de la boutique de Vienne.
message URL FIG080.gif
Figure. 80 - Histogramme des dates de fabrication (Lanos 1991), céramique sigillée du kiosque de la place Bellecour.
message URL FIG081.gif
Figure. 81 - Histogrammes comparés des dates de fabrications, céramiques sigillées du kiosque de la place Bellecour et de la rue de Bourgogne à Vienne.

L’usage de cette méthode statistique permet de renouveler la réflexion sur des grands ensembles par ailleurs bien connus. Le cas du dépotoir B20 de la rue des Farges est le plus explicite. Longtemps daté des années 70-90 apr. J.-C.1188 , son amplitude chronologique avait été par la suite étendue au début du iie siècle. L’analyse de la céramique sigillée à travers un histogramme de Lanos fait apparaître le caractère ancien d’une partie importante du matériel (fig. 82). L’examen des estampilles sur sigillée est tout aussi fiable et confirme ce résultat (fig. 83).

La probabilité des dates fabrications peut s’avérer déterminante notamment pour des ensembles dépourvus de terminus post quem significatif, mais elle en diminue considérablement l’impact lorsque celui-ci est intégré (souvent en faible quantité) dans ces représentations. Dans tous les cas, ce type d’histogramme permet de limiter l’importance peut-être trop grande que l’on accorde aux éléments les plus récents, et qui fixe la limite entre le matériel résiduel et contemporain. Limite qui devrait prendre en compte plus systématiquement la nature du dépôt : couche d’occupation, de destruction, dépotoir.

message URL FIG082.gif
Figure. 82 - Histogramme des dates de fabrication (Lanos 1991), céramique sigillée du dépotoir B.20, rue des Farges.
message URL FIG083.gif
Figure. 83 - Histogramme des dates de fabrication (Lanos 1991), marques de potiers sur sigillée du dépotoir B.20, rue des Farges.

Notes
186.

1. Lanos (Ph.), « Exploitation statistique des céramiques sigillées retrouvées en Haute-Bretagne », dans Langouët (L.) dir., Terroirs, territoires et campagnes antiques. La prospection archéologique en Haute-Bretagne. Traitement et synthèse des données, Revue Archéologique de l’Ouest, suppl. 4, 1991, p. 255-271.

187.

2. Un tesson daté sur un siècle a une probabilité annuelle de fabrication de 1/100, cette probabilité croît proportionnellement avec la précision de la datation, les éléments les mieux datés ont donc plus de poids et contribuent d’autant plus à la répartition des surfaces dans l’histogramme. Contrairement aux exemples présentés par Ph. Lanos avec des intervalles de temps de 5 ans, nous maintenons des intervalles de temps de 10 ans difficilement sécables pour de nombreuses formes lisses.

188.

1. Desbat (A.), Laroche (C.), Mérigoux (E.), « Note préliminaire sur la céramique commune de la rue des Farges », Figlina, 4, 1979, p. 1-17.