Par la nature même des sites qu’il a étudiés - essentiellement des camps militaires en Grande-Bretagne et le long du limes germanique - K. Greene ne disposait pas de séquences stratigraphiques complètes et étendues pour établir sa chronologie de l’atelier de la Butte. Il n’a pas vraiment eu l’occasion de raisonner à partir de chronologies relatives, ni de mettre en évidence un phasage de la production. Il ne faut pas d’autre part perdre de vue qu’il utilise presque uniquement du matériel en situation d’exportation, et que la production et la diffusion d’un atelier sont des phénomènes qu’il peut être nécessaire de distinguer.
K. Greene peut cependant tirer parti d’un certain nombre de datations absolues, la position et la création des camps du limes est déterminée par un cadre événementiel bien connu des historiens. La datation de ces camps, dont certains ont été occupés durant des périodes assez brèves, a fait de ceux-ci des sites privilégiés pour l’étude de la céramique. Leur appartenance à des campagnes reconnues et datées par des récits historiques fournit des terminus post quem et parfois ante quem qui sont autant de précieux repères. La reconnaissance de structures bâties attachées à l’arrivée d’une légion permet en outre - comme à Vindonissa - d’identifier des périodes d’occupations.
L'examen de la céramique à paroi fine de la Butte dans les camps du limes a amené K. Greene à situer autour de 40 apr. J.-C. le début de la diffusion à une grande échelle de la production de l'atelier. Tous les camps occupés durant la période Claude/Néron ont reçu ces céramiques avec une variété assez larges de types et de décors. Toutefois, si la céramique de la Butte n'apparaît pas avant cette date sur les sites suisses ou rhénans, le début de la fabrication est certainement plus ancien. K. Greene voit dans les bols sablés les plus simples l'indice d'une activité de l'atelier dont les produits n'ont d'abord été diffusés que sur le marché lyonnais. Ces formes précoces - dont il constate lui-même qu'elles demeurent en circulation dans les contextes néroniens - se rattachent plutôt au répertoire typologique tibérien et constituent une transition évidente entre les bols granités tibériens en pâte siliceuse et les nouvelles productions engobées en pâte calcaire1189 .
En raisonnant toujours à partir des camps du limes, K. Greene note l'absence totale de céramique de la Butte dans les camps de fondation flavienne. Sur les sites anglais, cette céramique ne paraît plus être en usage après 75 apr. J.-C. ; K. Greene cherche une explication historique au déclin de l'atelier et le rapproche de l'incendie de la cité lyonnaise en 65 apr. J.-C. et des troubles de 68 apr. J.-C.2190
L'auteur anglais ne disposait pas alors des éléments stratigraphiques lyonnais qui aujourd'hui illustrent la permanence de la production à la fin du ier siècle apr. J.-C. Les contextes qu'il a examinés ne témoignent donc que de la diffusion de l'atelier, et faute de données, il lui est impossible de parcourir l’histoire complète de l’atelier
En s’appuyant sur des séquences stratigraphiques précises de la fouille de la rue des Farges, C. Grataloup a pu enfin proposer des datations formes par formes. Nous ne reprendrons pas ici le détail de ses constatations chronologiques, mais les points les plus importants dont la synthèse fait défaut. La confusion qui persiste dans sa typologie entre support (vase) et décor rend la chronologie des bols complexe à déchiffrer. Toutefois, pour les trois principaux types de bols (bols hémisphériques légèrement carénés, bols hémisphériques à lèvres en bandeaux lisses ou moulurés) elle note leur circulation simultanée dès les années 20-30 apr. J.-C. bien que, pour les exemplaires sablés, seul le bol à lèvre en bandeau mouluré subsiste après 40 apr. J.-C. Ces bols disparaissent après 70 apr. J.-C. et n’apparaissent dans des contextes tardifs que sous forme résiduelle. Les formes lisses, coupes tripodes, bol à lèvre en bandeau brisé, ne font pas partie des productions précoces et leur fabrication perdure à la fin du ier siècle apr. J.-C.
Les pots ovoïdes auraient été créés avec les bols précoces, les exemplaires à lèvres rainurées sont les plus abondants après 40 apr. J.-C., la variante 33c (avec un sillon sur l’épaule isolant un registre lisse sous la lèvre) serait la plus tardive (après 50 apr. J.-C.).
Outre ces précisions chronologiques inexistantes dans le travail de K. Greene, et dont certaines doivent être sérieusement révisées, le principal intérêt des données nouvelles apportées par la stratigraphie de la rue Farges est d’avoir mis en évidence la durée de vie réelle de l’atelier (au-delà de 70 apr. J.-C.) et une partie méconnue de la production qui n’a pas été diffusée sur les sites rhénans.
1. Greene (K. T.), The pre-flavian Fine Ware. Reports on the excavations at Usk 1965-1976, Cardiff, 1979, p. 17.
2. Id. p. 141.