La « vie physique » en EPS :pour une EPS ayant des effets sur la vie ?
La question de la « vie physique » est de celles qui, à la fin du vingtième siècle, ont suscité nombre de publications relatives à l’EPS en France. L’éducation physique et sportive est discipline d’enseignement, on peut alors comprendre que ceux qui la promeuvent se soucient de ses effets sur la vie des élèves. Peut-on, cependant, considérer que la réflexion à la « vie physique » en EPS est réflexion à ce que l’EPS apporte à la vie des élèves ? La « vie physique » correspondrait-elle à une préparation à la vie par le biais du physique ? Y aurait-il une « vie physique » dans la vie, à laquelle l’EPS devrait donner accès ? Il semble, en tout état de cause, qu’on associe l’EPS à la vie courante, par le biais de la « vie physique ». C’est ainsi que B. Paris, réfléchissant à la « vie physique » en EPS, s’interroge en ces termes : ‘« Ces adeptes du sport pour tous que l’on rencontre dans toutes les tranches d’âge sont passés dans le moule de l’institution éducative. Adultes aujourd’hui, élèves hier, ils ont suivi les cours obligatoires d’EPS. Le jogger du dimanche matin, le pratiquant de body-building [...], le sportif qui participe régulièrement à des compétitions avec son club, la personne âgée s’étirant devant sa fenêtre grande ouverte sont-ils, d’une certaine façon, le fruit des quelques 600 heures de cours d’EPS qui jalonnent le cursus scolaire de la classe de 6ème à celle de terminale ? »’
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La « vie physique » en EPS : pour une perspective nouvelle quant à l’éducation de l’élèveau travers de l’EPS ?011
Ainsi pourrait-on envisager l’EPS comme une sorte d’école de la « vie physique ». Réfléchir à la « vie physique » en EPS, ce serait alors faire montre d’une volonté d’enseigner cette discipline en ayant le souci du devenir de l’élève. Il serait donc tout bonnement question d’éducation : éduquer, rappelle M. Develay, ‘« c’est au premier sens ex-ducere, conduire hors d’un lieu donné, de l’intérieur vers l’extérieur »2.’ Mais alors, à quoi bon utiliser l’expression « vie physique » ? Pourquoi ne pas simplement parler d’éducation de l’élève au travers de l’EPS ? Peut-être est-ce pour signifier qu’un cap est à franchir quant à cette éducation. C. Pineau, Inspecteur Général, Doyen du groupe EPS, s’est exprimé à ce propos dans un article sorti en 1993. Il indique que la question de la « vie physique » correspond à la mise en place d’une nouvelle problématique de l’EPS3. D. Delignières et C. Garsault annoncent quant à eux, dans un écrit publié en 1997 : ‘« Nous sommes persuadés que l’avenir proche de la discipline va se structurer autour de son troisième objectif, concernant le “savoir gérer sa vie physique”. »’
4 Il est question d’une évolution qui paraît de nature à se traduire par un changement dans la pratique de l’activité physique, en EPS. Ainsi G. Cogérino observe-t-elle, dans un document diffusé en 1997, que la question de la « vie physique » a rapport à la perception, par certains enseignants, d’une ‘« inadéquation entre les propositions d’activités (types d’APS et modalités d’engagement ou de pratique) en EPS et la demande des adultes sortis du système scolaire. »5
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La « vie physique » en EPS : une mission d’utilité sociale à accomplir ?
On est ainsi conduit à s’interroger quant aux justifications de cette évolution annoncée de l’EPS. Il est question, semble-t-il, des rapports que l’école entretient avec la société en laquelle elle s’inscrit. M. Develay souligne, dans un ouvrage qui a paru en 1996, ‘qu’« Un lien filial unit la société et l’Ecole, de sorte que tout ce qui affecte l’une rejaillit sur l’autre. »6
’ Or, plusieurs enquêtes concourent à indiquer que les Français s’adonnent de plus en plus à l’exercice physique7. Cela, si on se fie à M. Develay, est de nature à avoir des répercussions sur l’école. Il semble naturel que l’EPS soit la première concernée. Cette discipline, cependant, doit-elle s’adapter au phénomène constaté ou en est-elle, pour partie, déjà la cause ? Le propos de B. Paris donne à penser que l’engouement des Français pour l’exercice physique n’est pas forcément à porter, en premier lieu, au crédit de l’EPS : ‘« Un certain nombre d’enquêtes [...] donnent les indications suivantes :’
‘- au sortir de l’école, 80 % des élèves lancés dans la vie active ou dans les études universitaires abandonnent tout entraînement physique pendant au moins une dizaine d’années. C’est aux alentours de la trentaine qu’un certain nombre renoue avec une pratique corporelle. »’ 8 Ces données, même si elles sont à prendre avec toutes les précautions d’usage, sont de nature à interpeller qui est attaché à l’EPS.
La « vie physique » en EPS : pour que l’EPS justifie de sa place à l’école ?
D’aucuns avancent ainsi que l’EPS court le risque de faire, un jour, les frais d’une chasse aux sorcières. J. Tardif, s’exprimant à propos de l’école, et pas seulement en ce qui concerne l’EPS, avance de fait : ‘« Il est difficile d’imaginer que les sociétés ont procédé à la création d’institutions de formation qui ne vivraient que pour elles-mêmes [...] En raison des exigences liées à l’intégration sociale et professionnelle des jeunes à l’ère de l’information, il est à tout le moins périlleux d’estimer que les sociétés continueront à soutenir inconditionnellement ce genre d’institutions. »’
9 C. Pineau, dans un article qui a paru en 1993, justifie l’intérêt d’une EPS ayant visée en matière de « vie physique » : il s’agit précisément, selon lui, de tenir compte d’‘« une très forte demande sociale, induite elle-même par une transformation des moeurs et des représentations »10.’ D. Delignières et C. Garsault vont jusqu’à avancer, dans un écrit sorti en 1993, qu’il y va, pour l’EPS, d’une nécessité de faire la preuve de l’utilité des savoirs qu’elle dispense11. Selon eux, le fait d’assigner à l’EPS une visée relative à la « vie physique » correspond ‘à « une mesure de sauvegarde de la discipline à un moment où les objectifs précédents tendaient à devenir caduques ».’ Ils soulignent, dans un article publié en 1997, que ‘« depuis la fin des années 70 les tentations politiques n’ont pas manqué qui visaient à la privatisation partielle de l’EPS »12. ’
La question de la « vie physique » : des enjeux d’ordres politique et éthique
Ainsi, réfléchir à la « vie physique » en EPS, ce serait aussi faire montre d’une volonté de préserver la place de l’EPS dans l’école : la question de la « vie physique » a rapport au statut de l’EPS en tant que discipline d’enseignement. Cette question est alors de nature à prendre un tour résolument politique. La réflexion à la « vie physique » en EPS revêt en outre une dimension éthique en ce sens qu’elle a trait à l’éducation. Elle paraît procéder de l’ambition que l’EPS soit utile pour l’élève, lui permette de se servir de ce qu’il y a appris, une fois le temps de la scolarité révolu. Ainsi envisagée, la question de la « vie physique » se révèle liée à deux enjeux majeurs. L’un est d’ordre politique : il a rapport à une volonté de défendre le statut qu’a réussi à acquérir l’EPS dans l’école. L’autre renvoie à l’éthique : il correspond à un souci de veiller à ce que l’EPS participe effectivement à l’entreprise d’éducation à laquelle elle est conviée. Il en va donc de la vie de l’EPS ainsi que de celle des élèves auxquels cette discipline est enseignée. Peut-être est-il question, plus précisément, de survie pour l’EPS et d’un mieux vivre pour l’élève, voire pour l’adulte qu’il est appelé à devenir.
Paris (B.), L’école prépare-t-elle les adultes de demain à bien gérer leur vie physique ?, in : Le corps à l’école, apprentissage et développement, Actes du colloque, 30 septembre et 1er octobre 1994, Saint Jacques de la Lande, Dossiers EPS, n° 22, p. 28
Develay (M.), De l’apprentissage à l’enseignement, Paris : ESF éditeur, collection : Pédagogies, 1992, p. 96
Pineau (C.), Des principes opérationnels aux programmes d’EPS, 2 ème partie, Les données d’accompagnement de l’action, Revue EPS, n° 240, mars-avril 1993, p. 42
Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B. X.), A quoi sert l’éducation physique et sportive ?, Dossiers EPS, n° 29, 1997, p. 156
Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 16
Develay (M.), Donner du sens à l’école, Paris : ESF éditeur, collection : Pratiques et enjeux pédagogiques, 1996, p. 8
Cogérino (G.), Op. Cit., p. 3
Paris (B.), Op. Cit., p. 28
Tardif (J.), Le transfert des apprentissages, Montréal : Les éditions Logiques, collection : Théories et pratiques dans l’enseignement, 1999, p. 16
Pineau (C.), Op. Cit., p. 42
Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, Réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 10
Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B. X.), Op. Cit., p. 156