2.Les difficultés d’un accord tripartite pour la vie physique en EPS

La « vie physique » en EPS : au nom de la santé et de la préparation aux loisirs
Si la question de la « vie physique » en EPS tient à une demande sociale, en quels termes est-elle formulée ? C. Pineau a fait part de son analyse en la matière dans un article édité en 1987. Il est, selon lui, question de santé ; c’est ainsi qu’il annonce : ‘« L’activité physique est un impératif de vie pour le jeune mais l’économie de l’organisme adulte ne peut pas, sans conséquences graves, être limitée par la sédentarisation due à l’évolution des moeurs. Les modifications des habitus sociaux [...] imposent que soient enseignées les connaissances relatives à la vie physique et à la gestion du “droit à l’effort”. »’ 13 D. Delignières et C. Garsault, quant à eux, envisagent plutôt la question sous l’angle des loisirs. Le temps que les individus consacrent aux loisirs sportifs, observent-ils, est appelé à s’accroître. Cela s’explique, selon eux, par la diminution du temps de travail, l’évolution des styles de vie, l’augmentation de l’espérance de vie. Aussi avancent-ils qu’‘« il convient de prévoir, à côté des formations générale et professionnelle dispensées par l’école, une formation à usage sportif. »’ 14 Ainsi s’agit-il, à leurs yeux, de ‘« préparer l’élève à sa vie physique et sportive d’adulte ».’ Il convient donc de l’armer pour faire face aux problèmes relatifs à la pratique de l’activité physique de loisir.

La « vie physique » en EPS : reconstituer la vie dans l’école pour que l’école prépare à la vie ?
On constate qu’une pratique de l’activité physique à des fins hygiéniques ou de loisir se développe dans notre société. Cette pratique ne correspond pas forcément à celle qui a ordinairement cours en EPS. B. Paris se reporte aux statistiques fournies par l’Inspection Générale en 1992 pour annoncer que ‘« les spécialités les plus choisies par les enseignants sont : pour 33 % les sports collectifs, 27 % l’athlétisme, 17 % la gymnastique, 10 % la natation. »’ 15 Il ajoute que les sports de combat, la danse, les activités d’expression et de pleine nature représentent treize à quinze pour cent des activités qui servent de support aux cours d’EPS. Il précise que ce classement est relativement stable si on l’envisage en regard des données fournies en 1982 : ‘« La légère évolution constatée fait apparaître une “montée en puissance”, montée relative, des activités de pleine nature et des jeux de raquette. »’ B. Paris se réfère aussi à des enquêtes conduites par la SOFRES en 1992 pour indiquer que ‘« les A.P.S. les plus pratiquées par la population âgée de plus de 18 ans sont dans l’ordre décroissant suivant : la culture physique, la marche, la natation, le vélo, le tennis, la course à pied. »’ 16 Ainsi les activités physiques dont la pratique est courante en EPS ne sont-elles pas forcément celles auxquelles s’adonne volontiers l’adulte. Une question se pose, alors : si l’école est censée préparer à la vie, pourquoi ne pas reproduire cette vie dans l’école ?

La « vie physique » en EPS : faire entrer la vie dans l’école et tenir compte de l’avis des élèves
Ainsi envisagée, l’EPS serait appelée à devenir éducation à la « vie physique ». Aussi B. Paris regrette-t-il qu’on n’accorde pas plus de place, dans les leçons d’EPS, à la mise en train et au retour au calme17. Déjà certains s’organisent pour qu’il en soit autrement. Ainsi G. Cogérino a-t-elle dirigé la rédaction d’un numéro des Dossiers EPS concernant les pratiques d’entretien corporel18. Il y est question, au plan des propositions d’enseignement, de l’échauffement, des étirements, de la relaxation et du renforcement musculaire. Faisant un plaidoyer pour l’introduction des pratiques d’entretien corporel en EPS, G. Cogérino avance trois séries d’arguments19. Elle souligne qu’elles sont de nature à s’accommoder aux contraintes relatives au contexte d’exercice de l’EPS. Elle ajoute que « La contribution de ces pratiques à la “santé” est difficilement contestable ». Elle indique : ‘« Enfin, il y a une dimension “éducative” face à la multiplicité des propositions du “marché”. »’ G. Cogérino observe toutefois, dans un autre écrit, que l’entreprise ne va pas sans poser problème : ‘« Aux yeux du public adulte, se maintenir en bonne forme est associé à l’entretien des potentialités foncières. Les adolescents scolarisés perçoivent différemment l’intérêt de pratiquer régulièrement une activité physique »’ 20. A. Rauch note quant à lui que les jeunes ne se représentent pas la santé de la même manière que les adultes : ‘« Leur problème essentiellement, c’est, à un moment donné, de pouvoir, comme ils le disent, “s’éclater” [...] être bien portant, c’est pouvoir, à tous moments, prendre le risque d’être mal portant. »21

La « vie physique » en EPS : au regard de l’avis des élèves
On le perçoit, faire entrer la vie dans l’école, ce peut bien être, en matière de « vie physique », le faire contre l’avis des élèves. C’est que les enfants et les adolescents ont leur vie, à l’école, comme en dehors du temps scolaire. Force est de constater que celle-ci n’est pas la vie de l’adulte. P. Parlebas s’est intéressé à l’opinion des élèves quant à l’EPS. Il a animé une enquête, en 1984-1985, menée par le Service de la Prévision du Ministère de l’Education Nationale. Celle-ci a porté sur un échantillon national représentatif de dix mille élèves du second degré. La plupart se disent satisfait des cours qui leur sont dispensés en EPS ‘: « 65 % d’entre eux pensent que l’horaire d’éducation physique est insuffisant, et 82 % déclarent qu’ils suivraient les séances “assez souvent” ou “toujours” dans le cas où celles-ci ne seraient pas obligatoires ! »22 ’ Ces résultats viennent relativiser le propos quant au caractère inadapté de l’EPS : les élèves apparaissent s’accommoder plus que bien des cours d’EPS qui leur sont donnés à vivre. P. Parlebas ajoute toutefois que seulement un lycéen sur quatre est attiré par la compétition. Il signale aussi que ‘« Les sports les plus pratiqués à l’école – l’athlétisme, les sports collectifs et la gymnastique – saturent les adolescents qui se déclarent massivement favorables aux pratiques de pleine nature. »’ Il s’avère que quatre-vingt-douze pour cent des élèves interrogés aimeraient s’adonner aux activités physiques de pleine nature ! Ces données viennent à leur tour mettre en question l’idée d’un enseignement de l’EPS portant sur les activités d’entretien corporel. Aussi peut-on penser que tous les élèves ne sont pas favorables à certaines propositions censées apporter réponse à la demande sociale considérée.

La « vie physique » en EPS : un lieu de tensions
Ainsi la question de la « vie physique » en EPS peut-elle être comprise comme réflexion à l’adaptation de cette discipline à une demande sociale. Cette adaptation est notamment justifiée au nom d’une nécessité de donner aux individus le moyen de se maintenir en bonne santé. Elle l’est, aussi, voire en relation, au regard d’un impératif de préparer les élèves aux loisirs sportifs. Les élèves, cependant, expriment eux aussi des demandes. Or, ceux-ci se disent satisfaits de l’EPS qu’ils vivent au quotidien. Il faut dire que la santé de l’adulte qu’ils seront un jour ne fait pas partie de leurs préoccupations. Pour eux, l’EPS se passe ici et maintenant et ce qui compte à leurs yeux c’est, essentiellement, le plaisir de l’instant. Ils ont néanmoins leur opinion quant à ce qui pourrait bonifier leur EPS. Là, leur point de vue rejoint en partie celui qu’émettent certains promoteurs d’une EPS pour la « vie physique ». Tous s’accordent à considérer que l’EPS valorise par trop des activités dont la pratique se fait sur le registre de la compétition. Les pratiques d’entretien corporel, qui trouvent grâce aux yeux des adultes, ne sont toutefois pas forcément celles que plébiscitent les élèves. Les lycéens souhaiteraient plutôt une EPS occasionnant plus fréquemment la pratique d’activités de pleine nature. P. Parlebas ne manque pas de souligner qu’un grand nombre de ces activités ‘« peuvent encore être pratiquées à un âge avancé et faire partie du bagage des loisirs corporel du futur adulte »23.’ La question de la « vie physique » se révèle ainsi de nature à cristalliser des tensions.

Notes
13.

Pineau (C.), EPS, discipline d’enseignement, « Au dessein de former s’ajoute désormais celui d’enseigner », Revue EPS, n° 205, mai-juin 1987, p. 23

14.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, Réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 10

15.

Paris (B.), Op. Cit., p. 30

16.

Ibid., p. 29

17.

Ibid., p. 31

18.

Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, 141 p.

19.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 26

20.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 16

21.

Rauch (A.), La personne bien portante, Les enjeux de l’éducation corporelle, in : Le corps à l’école, apprentissage et développement, Actes du colloque, 30 septembre et 1er octobre 1994, Saint Jacques de la Lande, Dossiers EPS, n° 22, p. 43

22.

Parlebas (P.), Didactique et logique interne des APS, Revue EPS, n° 228, mars-avril 1991, p. 14

23.

Parlebas (P.), Op. Cit., p. 14