3.A la recherche d’un enseignement concernant la vie physique en EPS

La « vie physique » en EPS : quelle actualité ?
La « vie physique » peut être envisagée comme noeud d’un problème mettant en présence l’EPS, les élèves et la société en laquelle ils sont appelés à oeuvrer. L’emploi de l’expression « vie physique » dans les discours relatifs à l’EPS serait ainsi essentiellement signe de réflexion à ce problème. On pourra rétorquer qu’elle n’est pas invention rhétoricienne faite à la fin du vingtième siècle, pour ce qui concerne l’EPS. Ainsi G. Cogérino observe-t-elle qu’il était question de « vie physique » ‘« dans les Instructions Officielles de 1959 : “... C’est là notamment que naissent et se développement chez les élèves des goûts et des intérêts profonds, souvent durables, et de nature à soutenir jusqu’à la vieillesse de bonnes habitudes de vie physique” »’ 24. Le lecteur de la Revue EPS a pu remarquer, en outre et notamment, que J. Teissié utilise l’expression « vie physique » dans un article sorti en 1957 : ‘« C’est une mentalité qu’il faut développer, en formant des habitudes, en créant des besoins, susceptibles de réformer les autres facteurs de la vie physique et d’organiser un régime de vie plus conforme aux exigences de l’équilibre physiologique et mental. »25 ’ Comment expliquer, alors, l’intérêt notable dont la « vie physique » en EPS fait l’objet à la fin du vingtième siècle ?

La « vie physique » en EPS : une exigence au regard des textes officiels
C’est qu’un travail d’élaboration de programmes d’EPS et de textes officiels relatifs aux épreuves d’EPS aux examens est lancé. On pourra observer qu’en d’autres temps des entreprises de ce type ont été conduites. Comment se fait-il, alors, que celle qui a été impulsée au cours des années quatre-vingts, plus qu’une autre, induise un intérêt marqué pour la « vie physique » ? Les enjeux relatifs à la question de la « vie physique » en EPS contribuent à expliquer cet état de fait. Plusieurs textes officiels concernant l’EPS, en outre, ont paru au cours des années quatre-vingt-dix, en lesquels il est question de « vie physique ». On pourrait parler du triple effet de l’arrêté du 24 mars 199326. Ce texte officiel assigne à l’EPS un objectif général relatif à la « vie physique ». Il indique, en outre, que des acquisitions relatives à la « vie physique » sont à évaluer à divers examens. Il convient de noter, enfin, qu’il n’était pas, à sa publication, de texte officiel en application assignant à l’EPS visée en matière de « vie physique » ; il n’y en avait pas, non plus, à signifier que des acquisitions concernant la « vie physique » sont à évaluer aux examens. Voilà donc les enseignants d’EPS désormais sommés d’oeuvrer auprès de leurs élèves, en matière de « vie physique ». Ils ne cesseront guère de l’être depuis. Un cap est franchi : il relève d’une obligation qu’on mette en place, et en oeuvre, un enseignement relatif à la « vie physique », en EPS.

La « vie physique » en EPS : un problème qui mobilise les énergies
Or, Les enseignants semblent rencontrer des difficultés à remplir la mission qui leur est confiée. Ainsi G. Cogérino observe-t-elle, à l’issue d’une enquête relative à la gestion de sa « vie physique », ou « GSVP », qu’elle a conduite en 1993 : ‘« Les enseignants interrogés avouent une grande difficulté à citer et situer ce qui relèverait de la formation à la GSVP »27.’ Aussi se mobilise-t-on pour tenter de trouver le moyen de donner corps à une EPS relative à la « vie physique ». Certains ont anticipé quelque peu le mouvement. Ainsi P. Bernardet et E. Lacroix ont-ils présenté, en 1991, une manière d’enseigner la course de durée en EPS voulue pertinente au regard de la « vie physique »28. R. Mérand et R. Dhellemmes ont rédigé un ouvrage, édité en 1988, relatif à la contribution de l’EPS à l’éducation à la santé29 : D. Delignières et C. Garsault jugent leur propos pertinent pour ce qui est de la « vie physique »30. J. Le Boulch, dont les publications s’étaient faites rares, reprend par ailleurs la plume pour s’exprimer quant à la « vie physique ». C’est ainsi qu’il a produit deux ouvrages, sortis en 199531 et 199832, qui y ont rapport. Il indique notamment, dans le dernier à avoir paru : ‘« L’objectif du programme de travail corporel proposé dans cet ouvrage est d’aboutir, à la fin de la scolarité, à la possibilité de gérer sa vie physique tant dans le quotidien qu’au travail, au loisir. »’ 33 Ainsi la question de la « vie physique » en EPS semble-t-elle de nature à mobiliser les énergies.

La « vie physique » en EPS : à la recherche d’une solution
Bientôt, de fait, les uns et les autres s’organisent. Des universités d’été sont mises en place : l’une d’elles, par exemple, à l’initiative de l’amicale des enseignants EPS, s’est tenue à Marseille en 199334. B. Paris, intervenant en 1994 dans un colloque relatif au corps à l’école a donné pour titre à sa communication ‘: « L’école prépare-t-elle les adultes de demain à bien gérer leur vie physique ? »35 ’ Les participants à l’un des ateliers des Rencontres Chercheurs / Praticiens qui se sont déroulées en septembre 1996 ont eu notamment à réfléchir à la question : ‘« Quels obstacles rencontrent les enseignants d’EPS lorsqu’ils tentent de transmettre la gestion de la vie physique à tous les âges de la vie ? »’ 36. G. Cogérino a même produit un ouvrage, sorti en 1999, dont le titre est sans équivoque : « Apprendre à gérer sa vie physique »37. Ainsi s’affaire-t-on au nom de la « vie physique » en EPS. Les enjeux sont jugés importants quant à l’avenir de l’EPS ainsi qu’en ce qui concerne le devenir de l’élève. Il est, en outre, peut-être surtout, question d’une exigence institutionnelle. Dès lors, si difficultés il y a, elles sont à surmonter. Le mouvement ainsi constaté contribue à ériger la question de la « vie physique » en question incontournable pour l’EPS. Mais voit-on pour autant se dessiner une perspective claire ?

La « vie physique » en EPS : un objet à spécifier ?
Il semble plutôt que chacun y aille de son opinion. Ainsi G. Cogérino a-t-elle repéré sept « conceptions de la gestion de la vie physique »38. Elle donne à penser qu’il est effectivement question de points de vue hétérogènes ; selon elle, en effet, ‘« Ces conceptions différentes engendrent des modalités différentes d’enseignement de la discipline : diversité dans les priorités données aux objectifs, types de contenus d’enseignement, voire statut de la discipline elle-même. »39.’ On peut considérer qu’il y a là le signe du dynamisme d’un débat. La question se pose, cependant, de l’objet du débat. Cherche-t-on à spécifier une EPS qui oeuvrerait en matière de « vie physique » ? S’attache-t-on à repérer ce qui dans une conception donnée de l’EPS aurait trait à la « vie physique » ? Peut-être est-on bien en peine pour déterminer ce qu’est la « vie physique »... Cette dernière serait alors à inventer en même temps que l’EPS qui lui serait relative. Il est vrai que l’expression « vie physique » n’est guère parlante. Il semble bien ne pas être de dictionnaire en lequel le nom « vie » et l’épithète « physique » seraient explicitement associés. L’expression « vie physique » ferait ainsi partie du jargon du monde de l’EPS et sa signification y serait incertaine. On pressent que la question de la « vie physique » est de nature à faire problème.

Notes
24.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 1

25.

Teissié (J.), Education physique et sportive, essai d’une systématique, Revue EPS, n° 37, novembre 1957, p. 9

26.

Arrêté du 24/03/1993, Epreuves d’éducation physique et sportive aux baccalauréats, brevets de techniciens, brevets d’études professionnelles et certificat d’aptitude professionnelle, B.O. n° 24 du 08/07/1993, pp. 1999-2000

27.

Cogérino (G.), Gestion de la vie physique, Revue EPS, n° 251, janvier-février 1995, p. 20

28.

Bernardet (P.), Lacroix (E.), De la pratique scolaire à « un après l’école... », Le C.O.V.R.A. coefficient de variation et de régulation d’allure, Revue EPS, n° 232, novembre-décembre 1991, pp. 13-16

29.

Mérand (R.), Dhellemmes (R.), Education à la santé, Endurance aérobie, Contribution de l’EPS, Paris : INRP, 1988, 82 p.

30.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 10

31.

Le Boulch (J.), Mouvement et développement de la personne, Paris : Vigot, collection : Essentiel, 1995, 309 p.

32.

Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, 382 p.

33.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 343

34.

Association des enseignants EPS, Actes de l’université d’été EPS 1993, AEEPS / Université Aix-Marseille II, 1993, 123 p.

35.

Paris (B.), Op. Cit., p. 28

36.

Comité d’Etudes et d’Informations de l’Education Physique et du Sport, Rencontres Chercheurs / Praticiens 1995-1996, Créer le dialogue entre chercheurs et praticiens, Journées nationales, 27-28-29 septembre 1996, INJEP – Marly-Le-Roy, Revue EPS, n° 263, janvier-février 1997, p. 59

37.

Cogérino (G.), Apprendre à gérer sa vie physique, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, 261 p.

38.

Cogérino (G.), Op. Cit., pp. 71-83

39.

Ibid., p. 71