4.A la recherche d’une EPS concernant la vie physique

La « vie physique » en EPS : l’élément d’une alchimie ?
L’expression « vie physique » paraît de nature à embarrasser le profane. Ainsi le célèbre N. Hulot, interrogé par la Revue EPS à propos des activités physiques de pleine nature, a-t-il indiqué : ‘« Il ne faut surtout pas décourager tous ceux qui ne courront jamais très vite, ne sauteront jamais très loin. Ceux-là, ils ont besoin qu’on les familiarise et les initie à pratiquer, qu’on leur apprenne par le biais d’activités physiques à gérer non seulement leur vie physique mais leur vie tout court. »40 ’ Il est vrai qu’on peut ne pas très bien saisir cette insistance du monde de l’EPS à associer le qualificatif « physique » au nom « vie ». La « vie physique » peut paraître « pierre philosophale » de l’enseignant d’EPS. Ce dernier est vraisemblablement en quête de la formule qui garantirait le bien-être de l’élève comme celui de l’adulte qu’il sera un jour. La demande sociale, les textes officiels et son souci d’éduquer l’y prédisposent. La recherche de la formule adéquate est cependant délicate, peut-être même est-elle périlleuse : elle vise certes à des effets sur l’élève, elle est aussi de nature à en avoir sur l’EPS. Suivant la formule choisie, c’est l’EPS elle-même qui est susceptible de se trouver transformée. On peut comprendre alors que le profane ait bien du mal à saisir ce qui se joue au plan de cette alchimie.

La « vie physique » en EPS : une alchimie pour faire de la vie avec de la mort ?
L’élève, cependant, n’est pas matière inerte, comparable au plomb que les alchimistes tentèrent de transmuter en or ! P. Meirieu et M. Develay soulignent que, lorsqu’on parle d’éducation, « c’est de “pierres vives” qu’il s’agit »41. L’éducation est avant tout affaire d’hommes et les matières, en cette entreprise, sont matières d’enseignement. Aussi M. Develay signifie-t-il ‘que « Les savoirs à enseigner constituent l’héritage qu’une génération souhaite léguer aux suivantes, le capital que des pères souhaitent transmettre à leurs enfants. »42 ’ S’il est question d’alchimie, c’est au plan de la transmission de cet héritage. P. Meirieu indique de fait qu’‘« en s’interrogeant sur l’usage autonome des savoirs acquis en formation, on est bien au coeur de l’alchimie étrange de tout processus éducatif : comment faire de la vie avec de la mort ? »43.’ Selon lui, les connaissances inscrites dans la mémoire d’un élève sont des objets morts... ‘« morts jusqu’à ce qu’il [...] vive avec elles, par elles, et les fasse vivre ainsi à son tour. »’ Or, la question de la « vie physique » en EPS tient à la prise en compte d’une demande sociale ainsi qu’à un souci d’éducation. Sa résolution semble alors en appeler à l’alchimie qu’explicite P. Meirieu. On peut se demander si les pratiques qui ont le plus souvent cours en EPS se prêtent à cette alchimie. B.X. René a indiqué, lors de journées d’études qui se sont déroulées en mai 2000, que la pratique de l’athlétisme en EPS ne lui a guère été utile dans sa vie. Il a ajouté, non sans humour, que le lancer du poids l’a peut-être aidé un peu à lancer des pavés, en mai 1968. Il a toutefois précisé que son geste n’était, à cette occasion, pas des plus académiques.

La « vie physique » en EPS : à la recherche de la formule adéquate
Ces considérations sont autant d’invitations à rechercher la formule correspondant à la « vie physique » en EPS. Sa spécification doit valoir au regard des textes officiels qui, dans les années quatre-vingt-dix, ont assigné à l’EPS trois visées. On peut, pour faire vite, considérer que la première, V1, concerne le développement de capacités qui ont trait à la motricité. La deuxième, V2, est relative, quant à elle, à l’accès aux pratiques physiques en tant que faits de civilisation. La troisième, V3, a rapport à la « vie physique ». Ainsi l’arrêté du 24 mars 1993 indique-t-il que

‘« Les objectifs généraux de l’éducation physique et sportive visent à :

Quelles sont, en relation, les formules proposées, censées apporter réponse à la question de la « vie physique » en EPS ?

La « vie physique » en EPS : une diversité de formules
Elles se révèlent, là encore, diverses, voire hétérogènes. L’une d’elles est le fait d’une majorité des enseignants d’EPS que G. Cogérino a interrogé en 1993 : ‘« si l’on mène à bien les deux objectifs (développer l’ensemble des capacités organiques et motrices de l’élève et l’ouvrir à une culture sportive), celui-ci dispose de tous les éléments nécessaires à la conduite d’une pratique physique autonome, adéquate à ses possibilités pour les phases ultérieures de son existence. »45 ’ Ce point de vue ne paraît pas de nature à trouver grâce aux yeux de C. Pineau. S’exprimant à propos de la problématique de l’EPS qu’induit la question de la « vie physique » il indique, dans un article sorti en 1993 : ‘« Cette nouvelle problématique correspond aux mises en oeuvre imposées par le troisième objectif. Toutefois, elle fait également appel aux deux premiers [...] Nous comprenons bien, en effet, que l’éducation physique et sportive est un enseignement constitué d’éléments qui composent un tout au regard des finalités qui sont les siennes. »46 ’ D. Delignières et C. Garsault, pour leur part, soutiennent que la visée relative à la « vie physique » est appelée à devenir visée prioritaire de l’EPS. Sa formalisation tient, selon eux, à ce que les deux autres visées considérées n’ont plus véritablement raison d’être47. On s’aperçoit d’emblée de la diversité des formules suggérées.

La « vie physique » en EPS : à la recherche d’une formule d’EPS
On remarque aussi que ces différentes formules, si elles concernent la « vie physique » en EPS, correspondent en fait à autant de formules d’EPS. Aussi peut-on se risquer à rendre compte de celles-ci en usant de signes qui pourraient avoir pleur place dans les grimoires de l’EPS. La compréhension des indications fournies tient à la connaissance de la signification de trois signes : « / » signifie « fonction de », « = » veut dire « correspond à », « + » a pour sens « et ». Il est alors possible de proposer les trois formalisations suivantes :

On pourrait sûrement trouver d’autres propositions conduisant à l’élaboration d’autres formules. Il est, bien entendu, possible de s’essayer à en inventer de nouvelles. C’est, peut-être, ce à quoi s’emploient certains parmi ceux qui réfléchissent à la « vie physique » en EPS... Toujours est-il que la question de la « vie physique » semble susceptible d’occasionner une modification de l’« écosystème » de l’EPS. Ce changement éventuel paraît en outre relativement indéterminé.

Notes
40.

Hulot (N.), Entretien avec Nicolas Hulot, Revue EPS, n° 259, mai-juin 1996, p. 11

41.

Meirieu (P.), Develay (M.), Emile, reviens vite... ils sont devenus fous, Paris : ESF éditeur, collection : Pédagogies, 1993, p. 14

42.

Develay (M.), De l’apprentissage à l’enseignement, Paris : ESF éditeur, collection : Pédagogies, 1992, p. 17

43.

Meirieu (P.), Relecture d’une démarche et genèse d’un colloque, in : Develay (M.), Meirieu (P.), Le transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue, Actes du colloque organisé à l’université Lumière Lyon 2, 29 septembre – 2 octobre 1994, Lyon : CRDP, Documents, actes et rapports pour l’éducation, 1996, p. 7

44.

Arrêté du 24/03/1993, Op. Cit., p. 1999

45.

Cogérino (G.), Gestion de la vie physique, Revue EPS, n° 251, janvier-février 1995, p. 21

46.

Pineau (C.), Des principes opérationnels aux programmes d’EPS, 2 ème partie, Les données d’accompagnement de l’action, Revue EPS, n° 240, mars-avril 1993, p. 42

47.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 10