2.1 La visée relative à la « vie physique » selon les représentants de l’institution

2.1.1 Assignation de trois visées à l’EPS et accomplissement pour l’EPS

Le point de vue d’A. Hébrard, co-président du GTD EPS, quant à la question des origines des finalités de l’EPS en France
A. Hébrard s’est exprimé quant aux visées de l’EPS lors d’un colloque qui s’est tenu en 1995. Il s’est, à cette occasion, présenté en tant qu’acteur institutionnel ce dont rend compte le texte qui rapporte son intervention244. Il indique qu’il a été « président de la “commission verticale EPS” ». Il ajoute qu’il a ensuite rempli la fonction ‘de « président du “GTD EPS” (Groupe technique disciplinaire, attaché à la direction des collèges et lycées) ».’ Il précise qu’il est, au moment où il tient son propos, « co-président du “GTD EPS” ». C’est alors en tant que représentant de l’institution qu’il donne son point de vue. Il indique : ‘« Mon hypothèse est qu’il y aurait une très grande permanence dans la représentation que notre société se forge du pourquoi de l’EPS. Les finalités affichées, au-delà des variations de vocabulaire présentent une grande stabilité dans le temps. »’ 245 A. Hébrard s’exprime alors quant à l’origine des finalités assignées à l’EPS contemporaine. Il considère que ces visées ont vu le jour à la révolution française, avec la naissance de l’école républicaine.

Selon A. Hébrard, les finalités éducative et utilitaire de l’EPS actuelle tirent leurs origines de la «  période révolutionnaire  » (1791, 1792, 1793)
A. Hébrard se réfère à un rapport sur l’Instruction publique de 1791, produit par Talleyrand ; il indique, à propos de ce document : ‘« Ainsi, dès cette époque, deux finalités émergent. L’une que nous qualifierons de strictement éducative dans le sens où il s’agit du développement des potentialités du sujet comme une possibilité offerte par la nature que nous ne saurions négliger sans être coupable vis-à-vis d’elle. Nous retrouvons cette finalité sous divers vocables : développement des qualités physiques, des facteurs de la motricité ou plus récemment des ressources biologiques et psychologiques. L’autre que nous pourrions appeler utilitaire. Ce qui est visé ici est la préparation à un métier, à une fonction sociale qui peut être la défense du pays. Il n’est pas ici avancé la gestion de la vie physique future, terminologie contemporaine, mais l’esprit y est, à cela près qu’il s’agit d’une gestion au service de la société plus qu’à son propre service, l’hédonisme n’a pas encore cours. »246 ’ A. Hébrard fait référence à deux autres textes. Il s’agit, d’une part, d’un rapport sur l’organisation générale de l’Instruction Publique de 1792 ; il émane de Condorcet. Il est question, d’autre part, du plan d’éducation nationale préparé par Lepelletier de Saint Fargeau ; la présentation en a été faite par Robespierre en 1793. A. Hébrard conclut son analyse en ces termes : « Ainsi, nous le constatons, pas d’éducation nationale sans une éducation physique éducative et utilitaire. »247

Selon A. Hébrard, les visées éducative et utilitaire, respectivement inspirées de Platon et Rousseau, perdurent
Il émet alors deux hypothèses qui ont rapport aux fondements philosophiques de ces deux finalités. Selon lui, la visée qu’il qualifie d’éducative procède d’« une idée Platonicienne ». La visée qu’il dit utilitaire, quant à elle, lui paraît inspirée de la pensée de J.-J. Rousseau. A. Hébrard ajoute qu’à ses yeux, ‘« Nous sommes les héritiers de ces courants philosophiques et ces deux grandes finalités persistent. »248 ’ Il considère, par ailleurs, qu’on retrouve ces deux finalités dans un texte officiel qui a paru au début du vingtième siècle. Il annonce en effet : ‘« J. Gotteland dans un traité pour “L’Education physique, intellectuelle et morale” paru en 1928 [...] signale que pour retrouver cette conception rationnelle de l’EP prônée par les illustres révolutionnaires, il faudra attendre plus d’un siècle et arriver aux instructions ministérielles relatives au nouveau plan d’étude dans les écoles primaires et élémentaires du 20 juin 1923. »’ 249 A. Hébrard fait alors référence à ce texte officiel, pour indiquer : ‘« “Toute gymnastique doit être utile en même temps qu’elle doit être éducative”, les exercices ne doivent pas être abstraits peut-on lire, “on ne grimpe pas pour grimper mais pour franchir un obstacle”. »250 ’ 

Selon A. Hébrard, aux visées éducative et utilitaire s’ajoute une visée culturelle, formalisée dans les IO de 1967, qui vaut en référence à J. Ulmann
A. Hébard note cependant : ‘« Certes le dualisme a reculé et l’utilité ne s’arrête pas à l’utilitarisme professionnel ou militaire, mais nos visionnaires ne pouvaient imaginer tous les développements de leurs thèses et, en particulier, l’avènement d’une civilisation faisant une place aux loisirs, ou plus encore l’apparition d’une culture sociale dépassant la culture individuelle et considérée comme un patrimoine que chacun serait convié à partager démocratiquement. »’ 251 Il en vient alors à envisager l’émergence d’une troisième finalité. Il précise : ‘« Aux finalités que nous avons qualifiées rapidement d’éducatives et d’utilitaires va s’ajouter une finalité que nous appellerons culturelle, au sens où l’institution scolaire se propose de faire accéder chacun [...] aux pratiques qu’elle estime significativement importantes, c’est-à-dire ayant un statut de fait de civilisation. »252 ’ A. Hébrard ajoute : ‘« Cette troisième finalité est historiquement formalisée dans les IO de 67 »’ 253. Il annonce ensuite : ‘« Ainsi, il y a plus de trente ans, l’idéologie dominante dont j’ai pris conscience et que d’une certaine façon je continue à véhiculer ne me semble pas avoir varié depuis que J. Ulmann en donnait sinon une justification du moins une brillante explication dans son article de 1966 [...] et dont des phrases entières seront pratiquement reprises mot à mot dans les instructions de 67.’ »254 A. Hébrard paraphrase alors un propos de J. Ulmann qu’on trouve dans la Revue EPS de septembre 1966. L’auteur y indique : ‘« L’éducation physique trouve donc une double justification. Elle est indispensable à toute éducation. Elle est un aspect de notre culture. »255

La mise en place de trois finalités pour un accomplissement au regard des grands projets d’éducation nationale explicités à la révolution française
Le colloque dans lequel A. Hébrard s’est ainsi exprimé a trait à l’utilité de l’EPS. Il donne alors son point de vue quant à cette question. Ainsi annonce-t-il que l’EPS

‘« permet :
  1. le développement et la santé (finalité éducative essentiellement tournée vers l’individu),

  2. la participation à une culture par la pratique d’activités sportives socialement reconnues (finalité culturelle dans sa dimension sportive),

  3. le développement de pouvoirs d’action immédiats et différés (gérer son capital corporel et physique, finalité utilitaire, personnelle ou sociale voire professionnelle). »256

D’après A. Hébrard, deux finalités ont été assignées à la gymnastique, à la naissance de l’école républicaine. Il considère qu’elles sont encore pertinentes au moment où il s’exprime, c’est-à-dire en 1995. Il qualifie l’une d’éducative. Il juge que l’autre est utilitaire, dont il estime qu’elle a rapport à la « gestion de la vie physique future, terminologie contemporaine ». Une troisième visée s’est, selon lui, par la suite ajoutée à celles-ci : il affirme qu’elle « est historiquement formalisée dans les IO de 67 ». Il incline à penser qu’elle tient à une évolution de civilisation et de culture. Or, il la juge en phase avec les thèses de ceux qu’il nomme « nos visionnaires », même s’ils convient que ceux-ci ne pouvaient l’imaginer. Les trois finalités de l’EPS que présente A. Hébrard valent ainsi au plan d’un accomplissement pour cette discipline.

Notes
244.

Hébrard (A.), À toutes fins utiles, in : René (B.-X.), Op. cit., p. 47

245.

Hébrard (A.), Op. cit., pp. 47-48

246.

Ibid., p. 48

247.

Ibid., p. 48

248.

Ibid., p. 48

249.

Ibid., p. 48

250.

Ibid., p. 48

251.

Ibid., pp. 48-49

252.

Ibid., p. 49

253.

Ibid., p. 49

254.

Ibid., p. 49

255.

Ulmann (J.), « Sur quelques problèmes concernant l’éducation physique », Revue EPS, n° 82, septembre 1966, p. 11

256.

Hébrard (A.), Op. cit., p. 49