2.1.2 Visée concernant la « vie physique » et évolution ou ajustement de l’EPS

La question des raisons expliquant que la visée de l’EPS relative à la « vie physique » fait débat à la fin du XX e siècle
A. Hébrard a émis, en 1995, un point de vue quant aux finalités de l’EPS. Plusieurs textes officiels ont paru de 1993 à 1998, qui assignent à cette discipline visée concernant la « vie physique ». Chacun d’eux alloue à l’EPS trois visées. Si l’on suit A. Hébrard, leur mise en place vise à un accomplissement pour l’EPS, à partir d’un projet qui a vu le jour à la révolution française. La visée relative à la « vie physique » correspond à celle qualifiée d’utilitaire par A. Hébrard. Ce dernier considère qu’une visée de ce type valait pour ce qui concerne la gymnastique en 1791. Il estime aussi qu’elle présente une grande stabilité dans le temps. La question se pose alors des raisons expliquant qu’elle fait débat à la fin du vingtième siècle. Deux personnes se sont exprimées quant à celles-ci, en tant que représentants de l’institution. Il s’agit, d’une part, de G. Klein, d’autre part, de C. Pineau. G. Klein l’a fait à l’occasion d’une université d’été qui s’est déroulée en 1993. J. Metzler, qui l’a présenté à l’auditoire, a indiqué : ‘« Pour ceux qui ne le savent pas, Gilles Klein était membre de la commission verticale EPS entre 1983 et 1986 ; par la suite il a été participant au groupe technique disciplinaire en EPS de 1990 à aujourd’hui »257.’ C. Pineau a signé des écrits en tant qu’Inspecteur Général de l’Education Nationale, Doyen du groupe EPS, qui concernent la visée relative à la « vie physique ». Il convient dès lors d’analyser les propos de G. Klein et de C. Pineau, ainsi que de les mettre en regard et de les confronter à ceux d’A. Hébrard. Il s’agit de s’enquérir de la signification de la réflexion à la visée de l’EPS concernant la « vie physique ».

Selon G. Klein, la visée concernant la « vie physique »a trait à un bien-être à conquériret vaut au plan de l’évolution du système éducatif
G. Klein a discouru, en 1993, quant aux ‘« types de rapports à la gestion de sa vie physique qui apparaissent dans les différents programmes »258.’ Son propos concerne huit pays. Selon lui, la conception française a essentiellement trait à « un bien-être à conquérir ». Cela la différencie de deux autres, l’une relative à « l’entretien d’un capital », l’autre à l’atteinte d’« un état permanent positif ». G. Klein précise : ‘« Ce bien-être à conquérir suppose un certain style de vie, une certaine façon individuelle d’aborder l’activité physique, les activités sportives. Il passerait par des ressources à développer et [...] est sous-jacente l’idée d’une construction perpétuelle. »259 G. Klein situe cette conception au regard des « différentes conceptions de l’EPS d’après-guerre ». Il indique : « si on regarde de quelle façon est formalisée l’EPS par les organismes supranationaux, comme l’UNESCO (la dernière enquête internationale date de 1988, à partir des programmes de 61 pays) [...] L’EPS par la gymnastique a d’abord consisté en un maintien du capital, de l’intégrité corporelle, elle a par la suite permis de développer un certain nombre de fonctions (fonctions relationnelles, fonctions symboliques, physiologiques) [...], de façon tout à fait récente, l’idée de gestion de sa vie physique, [...] de ressources à conquérir apparaît comme un des objectifs prioritaires fixés aux 61 pays qui ont participé à ces enquêtes. »260

Selon G. Klein, la visée concernant la « vie physique » vaut au plan d’une évolution de l’EPS en relation avec une évolution du contexte dans lequel elle s’inscrit
Selon G. Klein, la conception française ne correspond pas à une idée nouvelle. Il ajoute : ‘« à un certain moment de leur évolution, les systèmes éducatifs valorisent cette idée de ressources à développer pour affronter des situations ultérieures. »’ 261  Il considère ainsi que la visée relative à la « vie physique » induit une perspective pour l’EPS, qui joue au plan de l’évolution de cette discipline. Il juge alors qu’elle correspond à une problématique nouvelle pour l’EPS, sinon de l’EPS. G. Klein estime la mise en place de cette problématique est liée à une évolution du contexte dans lequel s’insère cette ‘discipline. Ayant repéré trois conceptions quant à la visée concernant la « vie physique », il indique : « Si on avait à tisser un lien entre ces trois dimensions [...] je dirais que cela reprend les différentes conceptions de l’EPS depuis l’après-guerre. »262 ’ Il ajoute : ‘« Je crois qu’il y a là un thème qui n’est pas nouveau, mais qui est dans l’air du temps des organisations supranationales et qui est relayé par un certain nombre de programmes. »263 Selon G. Klein, « les propositions françaises du GTD s’inscrivent dans cette dynamique qui a débuté à partir du début des années 80 pour le Québec, l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre.’ »264 Il est ainsi question d’une dynamique en laquelle vaut la conception française quant à la visée de l’EPS concernant la « vie physique ». Cela signifie qu’elle est promesse de réussite pour l’EPS en France.

Selon Pineau, la visée concernant la « vie physique » correspond à une problématique nouvelle pour l’EPS
C. Pineau considère que cette visée induit une orientation nouvelle pour l’EPS. Il l’indique dans un article édité en 1993. Il écrit :

‘« Un simple regard porté sur l’évolution des conceptions de l’éducation physique et sportive permet de reconnaître, dans les deux premiers objectifs généraux de cette discipline [...] les deux problématiques auxquelles elle a été confrontée ces cinquante dernières années.
  • La première est caractérisée par une conception qui trouve sa traduction dans les différentes méthodologies prônant le seul exercice du mouvement comme moyen de formation. [...]

  • La seconde problématique est caractérisée par une référence aux pratiques sociales et aux données culturelles. [...]
    La prise en compte, ces dernières années d’un troisième objectif [...] nous permet de dégager une orientation nouvelle [...]

  • [...] la troisième problématique [...] répond à une très forte demande sociale, induite [...] par une transformation des moeurs et des représentations. Il s’agit [...] des connaissances et des savoirs qui accompagnent et optimisent l’action et permettent d’en gérer les mises en oeuvre. Ce sont ceux, également, qui sous-tendent les principes relatifs à l’organisation de la vie physique aux différents âges. [...] Cette problématique correspond aux mises en oeuvre imposées par le troisième objectif. »265

Selon C. Pineau, l’assignation à l’EPS d’une visée concernant la « vie physique » contribue à lui donner le statut de discipline d’enseignement
C. Pineau ajoute : ‘« Toutefois, elle fait également appel aux deux premiers [...] Nous comprenons bien en effet que l’éducation physique et sportive est un ensemble constitué d’éléments qui composent un tout au regard des finalités qui sont les siennes. »266 ’ C’est après la parution des instructions officielles de 1967 que cette problématique nouvelle a, selon lui, eu lieu d’être. Il donne ce point de vue dans un article édité dans la Revue EPS en 1987. Cet écrit est le premier à paraître parmi ceux relatifs à la « vie physique » que signe C. Pineau dans ce périodique. L’auteur signale qu’il a pour objet d’apporter un éclairage sur les lignes directrices auxquelles se réfèrent les instructions officielles de 1985 et 1986267. Il y précise les enjeux liés à la mise en place d’une visée concernant la « vie physique ». Il considère que ceux-ci participent d’une évolution. Selon lui, ‘« Cette évolution substitue à l’idée d’une éducation physique et sportive, discipline d’éveil et d’épanouissement physique, celle de discipline d’enseignement en prise avec les réalités sociales et trouvant ses racines culturelles dans les activités physiques et sportives. »’ 268 On trouve alors une phrase que C. Pineau reprend au plan de l’intitulé de son article : ‘« Au dessein de former s’ajoute désormais celui d’enseigner. ’»269 Il affirme alors que l’EPS doit désormais enseigner ‘« les connaissances relatives à l’organisation de la vie physique et à la gestion du “droit à l’effort” »270.’

Selon C. Pineau, l’assignation à l’EPS d’une visée concernant la « vie physique » correspond à un ajustement au regard des IO de 1985 et 1986
Aussi C. Pineau annonce-t-il :

‘« L’éducation physique et sportive ne saurait se réduire, pour essentiel qu’aie été cet objectif, à l’aide qu’elle apporte par l’éducation du mouvement à la conservation et au développement des fonctions de vie et de relation, ainsi qu’à l’élaboration de conduites motrices. »271 On comprend alors qu’il annonce, dans la Revue EPS de mars-avril 1989 : « deux objectifs généraux regroupent les objectifs particuliers de l’EPS tels qu’ils sont énumérés dans les instructions officielles.
  • le premier est de développer [...] les capacités organiques, foncières et motrices. [...]

  • le second [...] est d’assurer l’appropriation des pratiques corporelles qui constituent des faits de civilisation et de permettre ainsi l’accès à une partie de la culture. Cette appropriation [...] doit offrir à chacun la possibilité de mieux gérer sa vie physique aux différents âges de son existence. »272

On saisit aussi les raisons pour lesquelles il juge que le premier objectif « était jusqu’ici le plus apparent. » On perçoit également celles qui le conduisent à considérer qu’il en est un second, à propos duquel il écrit : « justifiant, pensons-nous le premier ». On conçoit encore qu’il ajoute à l’énoncé de celui-ci : « Ceci est ce qui est attendu d’une discipline d’enseignement. » Ainsi, la mise en place d’une visée concernant la « vie physique » correspond-elle, si on suit C. Pineau, à un ajustement. Celui-ci se situe au plan de l’explicitation des visées de l’EPS ; il est voulu conforme aux lignes directrices auxquelles se réfèrent les Instructions Officielles de 1985 et 1986.

Notes
257.

Klein (G.), Entretien avec Gilles Klein, in : Association des enseignants EPS, Op. cit., p. 91

258.

Klein (G.), Op. cit., p. 89

259.

Ibid., p. 90

260.

Ibid., p. 90

261.

Ibid., p. 90

262.

Ibid., p. 90

263.

Ibid., p. 91

264.

Ibid., p. 91

265.

Pineau (C.), Des principes opérationnels aux programmes d’EPS, 2 ème partie, Les données d’accompagnement de l’action, Revue EPS, n° 240, mars-avril 1993, p. 42

266.

Pineau (C.), Op. cit., p. 42

267.

Pineau (C.), EPS, discipline d’enseignement, « Au dessein de former s’ajoute désormais celui d’enseigner », Revue EPS, n° 205, mai-juin 1987, p. 23

268.

Pineau (C.), Op. cit., p. 23

269.

Ibid., p. 23

270.

Ibid., p. 23

271.

Ibid., p. 23

272.

Pineau (C.), Programme et savoirs en EPS, Revue EPS, n° 216, mars-avril 1989, p. 25