Chapitre 2 : La problématique de l’au-delà, pour l’EPS

1 . Les conceptions relatives à la vie physique : cohérences propres

Pour le repérage des conceptions relatives à la « vie physique » en EPS
Les textes officiels publiés de 1993 à 1998 qui assignent à l’EPS visée en matière de « vie physique » légitiment la question de la « vie physique ». Cette dernière s’avère réflexion à un enseignement de l’EPS relatif à la « vie physique ». La spécification des orientations à donner à cet enseignement se révèle faire problème. On peut alors considérer que l’existence de plusieurs conceptions quant à la « vie physique » en EPS réfracte cet état de fait. Cela invite à s’enquérir des termes du problème de la « vie physique » en EPS à partir d’une mise en regard des conceptions explicitées. Plusieurs conditions sont requises ici pour qu’un propos ait valeur de conception. Il s’agit qu’il concerne explicitement la « vie physique » en EPS. Il convient, en outre, qu’il vaille en référence à un texte officiel, publié de 1993 à 1998, allouant à l’EPS visée relative à la « vie physique ». Il faut, par surcroît, qu’il consiste a minima en l’indication d’une fin et d’un moyen quant à la « vie physique » en EPS. Une proposition d’enseignement ne vaut en effet, en ce cas, qu’au regard de la définition d’une visée : la question de la « vie physique » invite à redéfinir une fin et à déterminer un moyen au service de celle-ci. On repère alors quatre conceptions. G. Cogérino en explicite une dans un document diffusé en 1997357. On en trouve une autre dans un ouvrage de J. Eisenbeis et Y. Touchard publié en 1995358. J. Le Boulch en présente une autre encore dans un écrit qui a paru en 1998359. D. Delignières et C. Garsault exposent la dernière en deux articles sortis en 1993360 et 1997361. Ce repérage est à justifier.

La conception de G. Cogérino
Il est ainsi une conception qui émane de G. Cogérino. Cette dernière précise, en guise de préalable à son propos : ‘« La gestion de sa vie physique dont il sera question ici renvoie à la formulation d’un des objectifs assignés à la discipline “Education Physique et Sportive” »’ 362. Elle précise que cet objectif est indiqué dans les « textes concernant les épreuves d’EPS au baccalauréat » ; elle ajoute qu’il l’est aussi dans les « programmes pour les classes de sixième ». Un « postulat de départ » est, quelques lignes après, présenté. On lit : ‘« nous considérons le troisième objectif mentionné dans les textes officiels comme la transformation de la finalité santé [...] qui a été de tout temps liée à l’enseignement de la Gymnastique, puis de l’Education Physique et enfin de l’Education Physique et Sportive. »’ 363 L’auteur considère que, dans cette optique,

‘« la formation de l’élève à la G.S.V.P. engage :
  • un renouvellement des APS massivement présentes en EPS (pratique de pleine nature, d’entretien corporel [...])

  • une prise en compte des motivations à l’égard de la pratique physique chez les adultes (détente, bien-être, convivialité [...])

  • la mise en place d’autres procédures d’enseignement mettant l’accent sur la connaissance de ses besoins, ses capacités et limites et permettant des apprentissages en situation d’autonomie »364.

La conception de J. Eisenbeis et Y. Touchard
J. Eisenbeis et Y. Touchard sont, eux aussi, les tenants d’une conception à considérer. Selon eux, ‘« Dans la mesure où la sécurité devient un thème prioritaire qui, notamment en EPS [...], doit orienter la réflexion des enseignants [...] il s’avère indispensable de s’interroger sur les contenus d’enseignement au regard de cette préoccupation. Ces contenus d’enseignement qui contribuent à organiser l’action éducative des instituteurs, visent trois objectifs principaux : [...] préparer à gérer sa vie physique [...] »’ 365. L’arrêté du 22 février 1995, de plus, ne concerne la « vie physique » qu’au plan d’une visée de l’EPS, au cycle trois de l’enseignement primaire366. Les auteurs envisagent, par ailleurs, les moyens d’éduquer à la sécurité : il s’agit d’aider l’enfant à organiser « sa prise de décision »367 et « son action »368. Il est précisé que la proposition d’enseignement faite ‘« s’articule autour de la notion de Prévention expérimentation’ »369. Il est indiqué aussi que le choix des activités pratiquées est à opérer « en fonction de ce dont elles sont porteuses en matière de sécurité »370. Ce choix est à opérer suivant : ‘« les ressources qu’elles développent », « les types de relations qu’elles provoquent », « la nature des informations qu’elles dispensent »’ 371. Les situations à valoriser sont, d’après J. Eisenbeis et Y. Touchard, celles qui donnent aux élèves une grande part d’initiative, de responsabilité372. Il s’agit d’acquérir des « conduites sécuritaires »373 : certaines sont jugées « spécifiques du domaine de l’EPS », d’autres, ‘« communes à un ensemble de champs disciplinaires »374. ’

La conception de J. Le Boulch
La conception qu’explicite J. Le Boulch est, en outre, à étudier. Il indique, dans un écrit édité en 1998 : ‘« L’objectif du programme corporel proposé [...] est d’aboutir [...] à la possibilité de gérer sa vie physique tant dans le quotidien qu’au travail, qu’au loisir. »375 ’ La proposition vise à ‘« une bonne gestion de ses compétences motrices »’ dans ces domaines. La spécification de ces compétences vaut au regard d’une analyse que l’auteur qualifie de fonctionnelle376. Il a pour projet d’assurer la continuité de l’éducation du corps sur l’ensemble de la scolarité377. Ce projet est, selon lui, en phase avec une évolution qui « se manifeste dans les programmes d’éducation physique »378. J. Le Boulch indique qu’un aspect de ce changement concerne l’assignation à l’EPS de trois finalités dont l’une a trait à la « vie physique »379. Il ajoute qu’un autre est relatif à une réflexion au statut de « discipline transversale » de l’EPS380. Selon lui :

‘« L’éducation du corps à l’école s’applique en deux étapes :
  • Une éducation psychomotrice méthodique qui concerne l’école primaire [...]

  • L’enseignement du sport éducatif, des activités de pleine nature, des activités d’expression et artistiques. Ce programme peut débuter dès le troisième cycle de l’école élémentaire et se prolonge jusqu’à la fin de la scolarité. »381

Au travers de ce cursus, il s’agit de permettre à l’élève d’acquérir ‘« l’autonomie motrice et la connaissance de son propre fonctionnement »’ 382. J. Le Boulch précise : ‘« Cependant, pour que les activités sportives demeurent au collège un moyen de développement et non un but en soi, leur pratique nécessite des acquis fonctionnels qui ne peuvent être assurés à l’école par la seule éducation physique. »’ 383 Il ajoute que ‘« La fin de la scolarité pourrait, à partir de l’expérience corporelle, créer l’opportunité de regrouper [...] des connaissances physiologiques demeurées jusqu’alors parcellaires. Cette synthèse implique non seulement une réflexion de nature biologique, mais introduit de façon concrète l’éternel problème philosophique de la dualité corps-mental. »384

La conceptionb de D. Delignières et C. Garsault
Le point de vue de D. Delignières et C. Garsault est, lui aussi, à prendre en compte. Ils ambitionnent de ‘« préparer l’élève à sa vie physique et sportive d’adulte. »385 ’ Ils ajoutent ‘: « si le temps consacré aux loisirs sportifs [...] est amené à s’accroître, il est en effet nécessaire de prévoir, à côté des formations générale et professionnelle dispensées à l’école, une formation à usage sportif. »’ Les auteurs jugent judicieux que celle-là consiste en ‘« la formation d’une “citoyenneté sportive” pour ceux qui dans l’avenir, à tous niveaux et dans toutes les fonctions nécessaires, vivront et feront vivre la pratique physique, sportive et de loisir. »’ Ils indiquent que cette formation vise à l’acquisition de ‘« compétences relatives à des thèmes qui transcendent les APS pratiquées »’ 386. Il s’agit, par exemple, de former l’élève à une « autodidaxie », à une pratique associative... Des précisions sont fournies quant aux modalités de formation à mettre en place. Les auteurs observent ‘« qu’une entrée par les compétences met en avant les objectifs dits de méthode et d’attitude »’ 387. Ils ont initialement présenté ce point de vue en référence aux objectifs généraux de l’EPS qu’explicite C. Pineau dans un écrit publié en 1991388. Ils réitèrent leur propos dans un article édité en 1997, qui rend compte d’une intervention faite en mai 1995389. Celui-ci vaut alors en référence aux « textes officiels récents » qui assignent à l’EPS trois visées dont l’une a trait à la « vie physique »390. D. Delignières et C. Garsault ajoutent en cette communication que l’acquisition de compétences relatives à la gestion de ses loisirs ne suffit pas à l’affaire ‘: « encore faut-il que les élèves aient envie de pratiquer une activité physique, au terme de leur scolarité »391.’ Les auteurs signifient alors l’intérêt de permettre aux élèves « de construire une relation de plaisir avec les APS »392.

Des écrits susceptibles de renseigner quant aux conceptions repérées
Quatre conceptions quant à la « vie physique » en EPS ont ainsi été repérées. Il est à observer que les auteurs dont elles émanent ont produit d’autres écrits relatifs à la « vie physique » en EPS. G. Cogérino en a rédigé plusieurs qui ont rapport à des enquêtes sur la manière dont les enseignants d’EPS oeuvrent au plan de la « vie physique ». Il est notamment parmi eux un article publié en 1995, deux autres, en 1997, un numéro des Dossiers EPS sorti en 1998 et un ouvrage publié en 1999393. J. Eisenbeis et Y. Touchard, quant à eux, signalent que leurs propositions ont été produites à la suite d’une université d’automne qui s’est tenue en 1987394. Or, J. Eisenbeis a fait, avec G. Domalain, un compte rendu de cette manifestation, dans la Revue EPS de janvier-février 1989395. J. Le Boulch, pour sa part, a rédigé un ouvrage, publié en 1995, qui préfigure celui sorti en 1998. Cette parution de 1995 comprend un chapitre qui a pour sous-titre : ‘« De l’autonomie motrice à la gestion de sa vie physique »’ 396. J. Le Boulch a aussi signé deux articles, édités en 1995397 et 1997398, en lesquels il évoque le moyen de donner ‘« la possibilité de gérer sa vie physique »’. On peut signaler, encore, que D. Delignières s’est exprimé, en 1993, quant au problème de la « vie physique » en EPS399. Il apparaît aussi qu’il a rédigé une critique de l’ouvrage de J. Eisenbeis et Y. Touchard considéré ici400. Ces auteurs ont ainsi produit d’autres écrits que ceux en lesquels les conceptions présentées ont été repérées. Ces productions-ci, cependant, ne remplissent pas toutes les conditions autorisant à juger qu’elles diffusent des conceptions quant à la « vie physique » en EPS. Elles sont toutefois susceptibles de renseigner quant aux conceptions repérées. Ce qui est indiqué en ceux-ci, cependant, ne peut se substituer aux explicitations de celles-là dont la cohérence est à préserver à des fins d’examen.

Pour l’examen des conceptions relatives à la « vie physique » en EPS
La lecture de ces écrits peut fournir des informations aidant à l’analyse des quatre conceptions repérées. Les modalités de cette analyse sont, en tout état de cause à indiquer. Il est envisageable, en première approche, de caractériser grossièrement chaque conception en mettant en regard les différentes orientations préconisées. On peut ainsi considérer qu’il est question des conceptions ‘« santé », « sécurité », « autonomie » et « citoyenneté »,’ dont les tenants respectifs sont : G. Cogérino, J. Eisenbeis et Y. Touchard, J. Le Boulch, D. Delignières et C. Garsault. Ces dénominations invitent à penser que les conceptions en présence ne convergent pas en tout point. Cela serait cohérent avec les conclusions de l’analyse relative à la question de la « vie physique » en EPS. Il s’agit, dès lors, de déterminer si chacune des conceptions repérées présente une cohérence qui lui est propre, qui la distingue des autres. Il convient, en outre, de considérer que ces conceptions ont à tout le moins un point commun : toutes ont rapport au problème de la « vie physique » en EPS. Cela invite à envisager qu’elles sont complémentaires. Il s’agit ainsi de mettre en regard les conceptions en présence. L’objet de cette confrontation est de déterminer ce qui est de nature à distinguer chacune d’elles par rapport aux autres. Il s’agit aussi de trancher quant à leur complémentarité. L’analyse à opérer doit porter sur ce qui caractérise la teneur des conceptions examinées. La visée relative à la « vie physique » y est, d’une part, définie, les moyens à employer pour l’atteindre y sont, d’autre part, indiqués. Ce sont alors sur ces deux dimensions que l’examen envisagé doit porter.

Notes
357.

Cogérino (G.),  Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, 132 p.

358.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), L’éducation physique et sportive à l’école, L’éducation à la sécurité, Paris : Editions Revue EPS, collection : Activité Physiques et Sports, Recherche et Formation, 1995, 247 p.

359.

Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, 382 p.

360.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, pp. 9-13

361.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), A quoi sert l’éducation physique et sportive ?, Dossiers EPS, n° 29, 1997, pp. 155-162

362.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 1

363.

Ibid., p. 3

364.

Ibid., pp. 16-17

365.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 5

366.

Arrêté du 22/02/1995, Programmes de l’école primaire, BO n° 5 du 09/03/1995, pp. 42-43

367.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., pp. 65-67

368.

Ibid., p. 67-68

369.

Ibid., p. 70

370.

Ibid., p. 5

371.

Ibid., p. 71

372.

Ibid., p. 71

373.

Ibid., p. 3

374.

Ibid., p. 70

375.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 343

376.

Ibid., pp. 258-259

377.

Ibid., pp. 151-378

378.

Ibid., p. 153

379.

J. Le Boulch se réfère à :

Malvezin (G.), L’éducation physique et sportive à l’école primaire aujourd’hui, EPS1, mars-avril 1993

380.

J. Le Boulch se réfère à :

Malvezin (G.), Un nouveau contrat pour l’EPS, in : René (B.-X.), Op. Cit., pp. 70-73

381.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 156

382.

Ibid., p. 343

383.

Ibid., p. 245

384.

Ibid., p. 351

385.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 10

386.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 10

387.

Ibid., p. 11

388.

Pineau (C.), Introduction à une didactique de l’éducation physique, Dossiers EPS, n° 8, 1991, p. 13

389.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., pp. 155-157

390.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 155

391.

Ibid., p. 157

392.

Ibid., pp. 158-161

393.

Il s’agit de :

Cogérino (G.), Gestion de la vie physique, Revue EPS, n° 251, janvier-février 1995, pp. 19-23

Cogérino (G.), Les savoirs d’accompagnement, repérage des problèmes posés, Revue EPS, n° 264, mars-avril 1997, pp. 25-28

Cogérino (G.), Quelle contribution des enseignants d’EPS à la santé ?, in : Comité d’Etudes Pédagogiques de l’Education Physique et du Sport, Actes de rencontres Chercheurs / Praticiens, 27-28-29 septembre 1996, Dossiers EPS, n° 35, pp. 54-58

Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, 141 p.

Cogérino (G.), Apprendre à gérer sa vie physique, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, 261 p.

394.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. XV

395.

Eisenbeis (J.), Domalain (G.), L’éducation à la sécurité en / et par l’Education Physique et Sportive, Université d’automne, Montpellier, novembre 1987, Apprends-moi le risque, Revue EPS, n° 215, janvier-février 1987, pp. 38-39

396.

Le Boulch (J.), Mouvement et développement de la personne, Paris : Vigot, collection : Essentiel, 1995, pp. 281-306

397.

Le Boulch (J.), Education Physique et Science de l’Education, Le mouvement, fil directeur du développement, in : Le corps à l’école, apprentissage et développement, Actes du colloque 30 septembre et 1er octobre 1994, Saint Jacques de la Lande, Dossiers EPS, n° 22, 1995, p. 56

398.

Le Boulch (J.), Education physique, Education motrice psychocinétique (place de l’éducation physique en éducation par le mouvement), in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 68

399.

Delignières (D.), Entretien avec Didier Delignières, in : Amicale des Enseignants EPS, Actes de l’université d’été 1993, AEEPS / Université Aix-Marseille II, pp. 93-99

400.

Delignières (D.), A propos de : L’éducation à la sécurité, Revue EPS, n° 255, septembre-octobre1995, p. 60