1.1.2 Des conceptions diverses de la visée concernant la « vie physique »

Visée de sécurité et divergence entre D. Delignières et C. Garsault, d’une part,J. Eisenbeis et Y. Touchard, d’autre part
La visée concernant la sécurité est, en première approche, à envisager au plan des conceptions de D. Delignières et C. Garsault, d’une part, de J. Eisenbeis et Y. Touchard, d’autre part (Tableau n°10). Il s’agit, selon les premiers, de rendre l’élève ‘« capable de s’investir dans des activités à risques en respectant sa propre sécurité et celle d’autrui »411.’ Cela appelle l’acquisition d’un niveau minimal dans l’activité pratiquée. Les auteurs indiquent en effet ‘: « développer une compétence assurée en matière de sécurité n’a de sens que si le niveau d’habileté de l’élève lui permet de prendre des risques réels »’ 412. Il convient toutefois que l’objectif visé relève ‘d’un « compromis entre [...] exigences méthodologiques et attitudinales, et l’activité »’. Les auteurs précisent leur point de vue pour ce qui est d’une approche de la sécurité au travers de l’escalade : ‘« on peut fixer pour objectif final que les élèves soient capables de réaliser une grande voie de difficulté modérée en cordées autonomes. »’ 413 J. Eisenbeis et Y. Touchard écrivent pour leur part : ‘« Dans un souci d’éducation à la sécurité, c’est la relation qui s’établit entre l’enfant et l’environnement qui est importante. »’ 414 Elle doit occasionner la mise en oeuvre de « conduites sécuritaires » ainsi que permettre leur mise en place415. D. Delignières ne cautionne pas cette visée d’acquisition. Écrivant à propos des conduites de sécurité qu’envisagent J. Eisenbeis et Y. Touchard, il annonce : ‘« La sécurité serait affaire de perceptions, de traitements d’information et de décisions rationnelles et judicieuses. Il nous semble que la prise de risque et même les comportements de sécurité ne renvoient pas à ce type de rationalité »’ 416. Selon D. Delignières et C. Garsault, en effet : ‘« Les fondements de l’attitude apparaissent relativement imperméable à la rationalité consciente. »’ 417 Ainsi ne conçoivent-ils pas ce qui est à viser en EPS au plan de la sécurité de la même manière que J. Eisenbeis et Y. Touchard.

Tableau n°10 : Le point de vue de J. Eisenbeis et Y. Touchard quant à la visée concernant la sécurité et la critique de D. Delignières
Les « conduites sécuritaires » selon :
Eisenbeis (J.), Touchard (Y.),
L’éducation physique et sportive à l’école, L’éducation à la sécurité,
Paris : Editions Revue EPS, 1995, pp. 3, 6, 65-68
Critique de l’ouvrage de J. Eisenbeis et Y. Touchard par :Delignières (D.),
A propos de : L’éducation à la sécurité,
Revue EPS, n° 255, septembre-octobre 1995, p. 60
« L’objectif central de l’éducation à la sécurité est d’amener l’enfant à se doter d’un ensemble de conduites sécuritaires [...]
Certaines compétences, liées à des savoirs, sont spécifiques du domaine de l’EPS, plus particulièrement en raison des situations qui favorisent la gestion de la motricité au regard de l’analyse et de la maîtrise des risques, objectifs et subjectifs, inhérents aux activités considérées.
D’autres compétences communes à un ensemble de champs disciplinaires, présentent un caractère transversal. Ces dernières relèvent d’opérations intellectuelles qui, dans un contexte donné de risque ou d’incertitude, permettent d’effectuer quasi instantanément l’identification de la situation, le recueil d’informations, leur traitement et leur interprétation, la prise de décision. »
« Certains aspects des propositions peuvent être critiqués.
[...]
Quelques positionnements théoriques mériteraient [...] d’être discutés : il nous semble notamment que les auteurs envisagent les “conduites de sécurité” dans une optique cognitiviste bien stricte. La sécurité serait affaire de perceptions, de traitement d’information et de décisions rationnelles et judicieuses.
Il nous semble que la prise de risque et même les comportements de sécurité ne revoient pas à ce type de rationalité, mais sont régis avant tout par des processus motivationnels et émotionnels qui échappent en grande partie au contrôle intentionnel du sujet.
Cette remarque n’est pas accessoire, car elle touche à la nature des acquisitions qui sont susceptible de constituer le support réel de l’éducation à la sécurité. »
« Pour engager l’analyse, une première réponse, très grossière, peut être esquissée. Une conduite de sécurité, c’est :
- être attentif et vigilant dans toute situation, habituelle ou inconnue ;
- percevoir et repérer l’incertitude et le risque ;
- identifier le problème à résoudre ;
- recueillir et traiter les informations en vue de l’action ;
- prendre une décision judicieuse par rapport à son intégrité et à celle d’autrui. »
« Eduquer à la sécurité : c’est aider l’enfant à organiser sa prise de décision [...] c’est aider l’enfant à organiser son action »

Visée de sécurité et conceptions propres à G. Cogérino et J. Le Boulch
L’écrit donnant à connaître la conception de G. Cogérino quant à la « vie physique » en EPS a, par ailleurs, rapport à la sécurité. Il en est ainsi, toutefois, essentiellement au plan du tour d’horizon qu’elle fait des « conceptions de la gestion de la vie physique ». C’est le cas dans la description qu’elle donne de celle que D. Delignières et C. Garsault exposent dans leur article publié en 1993418. Il en va aussi de l’explicitation qu’elle fournit de la « conception préventive et sécuritaire »419. Or, G. Cogérino n’intègre pas explicitement la sécurité dans sa définition de la visée concernant la « vie physique ». G. Cogérino envisage cependant la question de la sécurité lorsqu’elle écrit à propos de l’accès aux pratiques d’entretien corporel420. Une « contribution à la sécurité des pratiquants » est alors présentée en tant qu’effet connexe de la « contribution à la santé ». Il en est autrement pour ce qui concerne J. Le Boulch (Tableau 11). Un paragraphe de son ouvrage édité en 1998 s’intitule notamment : ‘« Éducation corporelle et sécurité’ »421. L’auteur y propose ‘« une éducation physique de base mettant l’accent sur la disponibilité corporelle véritable compétence fonctionnelle, qui rend le corps susceptible de réagir de façon immédiate aux situations imprévues. »’ 422 Selon lui, ‘« Il faut expliquer à l’adolescent qui arrive en fin d’études qu’il est indispensable d’entretenir cette forme de motricité globale ».’ Il convient aussi de l’acquérir ou de l’exercer effectivement. D’après J. Le Boulch, ‘« C’est la fonction d’ajustement dans sa forme globale mettant en jeu le module réflexe qui est le support de cette compétence. »’ Il faut la solliciter pour entraîner de « bons réflexes de protection »423. Il s’agit aussi de rendre le sujet capable de prévenir ‘« les douleurs vertébrales et d’origine musculaire en général »’ 424. Or, il n’est pas d’objectif de développement et d’entraînement de la « disponibilité corporelle » dans la conception de D. Delignières et C. Garsault. Il n’en est pas, non plus, dans celle de J. Eisenbeis et Y. Touchard.

Tableau n°11 : La sécurité dans la conception de J. Le Boulch, en référence à : Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXIe siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, pp. 344-348
« Education corporelle et sécurité »
«  1 / Disponibilité motrice et tâche professionnelle
[...] Aux tous premiers temps de l’intérêt porté au problème de la sécurité au travail, on retenait en priorité les causes relatives aux conditions objectives de travail. [...] L’augmentation du nombre des accidents en dépit de l’adoption de précautions judicieuses fait orienter les recherches vers une nouvelle direction en portant l’attention sur le facteur humain. [...] Nous avons repris ces travaux dans les années 70 [...]. Ils ont servi de référence pour proposer une éducation physique de base, mettant l’accent sur la disponibilité motrice, véritable compétence fonctionnelle, qui rend le corps susceptible de réagir efficacement de façon immédiate aux situations imprévues. C’est la fonction d’ajustement dans sa forme globale mettant en jeu le module réflexe qui est le support de cette compétence. Il faut expliquer à l’adolescent qui arrive en fin d’études qu’il est indispensable d’entretenir cette motricité globale créative, non technique, dans laquelle les procédures motrices sont inconscientes. Le danger de l’apprentissage précoce des techniques sportives est de détruire cette motricité globale fondamentale. [...] »
« 2/ Fonction d’intériorisation et éducation posturale
Une importante fraction des interruptions de travail est due à des traumatismes portant sur le squelette, les articulations et la musculature. C’est la colonne vertébrale et plus particulièrement la région lombaire qui sont le plus souvent concernées. [...] L’adaptation de l’homme à la station debout est loin d’être parfaite, les efforts au cours du soulèvement d’une charge risquent d’entraîner des traumatismes articulaires ou musculaires si l’on fait confiance à l’attitude naturelle”. Il faut donc lui faire acquérir une attitude aisée, économique, différente de l’attitude qu’il prend spontanément.
La démarche proposée correspond à la méthodologie de l’apprentissage par dissociation [...]
- proposer une situation problème : soulever une barre à disque dont le poids est adapté aux possibilités musculaires du sujet, du sol à la hauteur des cuisses ;
- en partant de l’automatisme postural de l’étudiant, solliciter la fonction d’intériorisation, c’est-à-dire la perception de ses propres sensations corporelles, de façon globale. Découvrir par ses propres sensations les meilleures conditions d’équilibre possibles ;
- selon les suggestions du professeur, utiliser la fonction d’intériorisation sous sa forme parcellaire afin d’éliminer les risques. Porter successivement l’attention sur les points d’appuis des pieds, sur l’action musculaire abdominale et le contrôle du bassin, sur l’axe du mouvement qui doit passer par les deux articulations coxo-fémorale et non par la colonne vertébrale.
[...] L’apprentissage méthodique des techniques de manutention risque, si l’on n’y prend garde, de substituer à l’attitude naturelle impropre à éviter les accidents, une attitude rigide et figée qui peut éviter les accidents aigus dus “aux faux mouvements”, mais risque d’entraîner des raideurs chroniques, sources d’impotences fonctionnelles, de douleurs et de fatigue supplémentaire. [...]
- Nous donnons la priorité à l’entraînement des bons réflexes de protection plutôt qu’à l’apprentissage d’une techniques standard et qu’à un renforcement musculaire général.
Nous introduisons les techniques de la relaxation, du contrôle tonique et du contrôle respiratoire adaptées à la manutention manuelle.
- Nous rendons le travailleur capable d’utiliser lui-même certains moyens préventifs de lutte contre les douleurs vertébrales et d’origine musculaire en général. »

Visée de santé et divergence quant à l’accès aux pratiques physiques selon D. Delignières et C. Garsault, et selon G. Cogérino
La visée de santé, quant à elle, apparaît en première analyse dans la conception de D. Delignières et C. Garsault ainsi que dans celle de G. Cogérino (Tableau 12). Il s’agit, pour les premiers, de rendre l’élève ‘« capable d’entretenir et de gérer son capital santé »’ 425. Ils font référence à C. Perrin, pour indiquer : ‘« L’auteur a réalisé une analyse des relations entre le rapport aux A.P.S. et les conceptions de la santé. Cette recherche met notamment en évidence un axe opposant une perspective hédonique et une perspective hygiéniste. [...] Cette recherche indique en outre [...] que les sujets à profil hygiénique, bien que poussés par un sentiment de devoir, ne pratiquent en fait pas d’activités physiques »426.’ D. Delignières et C. Garsault indiquent alors : ‘« la meilleure formation que l’on puisse donner aux élèves en vue de leur permettre d’avoir dans l’avenir une vie physique positive n’est-elle pas de leur permettre de construire une relation de plaisir avec les APS ? »’ 427 Ils précisent, en outre, en conclusion de leur article : ‘« Il ne nous semble pas qu’un élève n’ayant pas été confronté à telle ou telle activité [...] n’ait eu qu’une EPS incomplète. Par contre, il nous semble nécessaire que chaque élève, au cours de son cursus scolaire, ait vécu la satisfaction d’avoir atteint un niveau de maîtrise significatif dans au moins une activité sportive. »’ 428 G. Cogérino se réfère, elle aussi, aux travaux de C. Perrin429. Elle en vient à signifier l’importance d’une visée qui concerne l’accès à une ‘« pratique physique conçue comme moment de retour sur soi, de recentration personnelle »430.’ G. Cogérino donne alors l’exemple d’une pratique de la relaxation. Cela est cohérent avec ce qu’elle indique quant à la ‘« formation des élèves à la G.S.V.P. »’ 431. Il s’agit notamment, en effet, de donner accès à l’élève aux pratiques d’entretien corporel. Or, G. Cogérino compte la relaxation, les gymnastiques douces parmi celles-ci432. L’option qu’elle défend diffère dès lors de celle de D. Delignières et C. Garsault.

Tableau n°12 : Le point de vue de D. Delignières et C. Garsault quant à la visée concernant la santé en regard de celui de G. Cogérino
Delignières (D.), Garsault (C.),
Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?,
in : René (B.-X.), A quoi sert l’éducation physique et sportive ?,
Dossiers EPS, n° 29, 1997, pp. 157-158, 161
Cogérino (G.),
Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS,
Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives,
mai 1997, pp. 8- 9, 16
« Néanmoins l’acquisition de compétences relatives à la gestion de ses loisirs physiques ne suffit certainement pas : encore faut-il que les élèves aient envie de pratiquer une activité physique, au terme de leur scolarité et tout au long de leur vie.
Ce problème de la motivation à la pratique a particulièrement été étudié dans le cadre des recherches sur la santé. Un certain nombre de travaux ont montré que si les préoccupations de santé peuvent dans un premier temps motiver les implications des individus dans la pratique physique, leur persévérance sur le long terme est liée aux sensations de plaisir et de bien-être qu’ils pourront en tirer [...].
Le travail de Perrin (1993) est particulièrement illustratif à cet égard. L’auteur a réalisé une analyse des relations entre le rapport aux A.P.S. et les conceptions de la santé. Cette recherche met notamment en évidence un axe opposant une perspective hédonique et une perspective hygiéniste. Dans un premier cas l’état de santé est vécu de manière positive, et les A.P.S. sont vécues sur un mode ludique, centré sur la recherche du plaisir. Dans le second l’état de santé est vécu de manière négative et le rapport aux A.P.S. est de nature utilitaire : la pratique est conçue comme un devoir hygiénique envers le corps, un “devoir de santé”. Cette recherche indique en outre, et ce n’est pas son moindre paradoxe, que les sujets à profil hygiénique, bien que poussés par un sentiment de devoir, ne pratiquent en fait pas d’activités physiques : “tout se passe comme si les règles de l’éducation sanitaire étaient assimilées et vécues comme des impératifs, sans pour autant passer dans les conduites, entraînant de ce fait une culpabilisation” (Perrin, 1993, p. 27).
Ces remarques nous amènent à la proposition suivante : la meilleure formation que l’on puisse donner aux élèves en vue de leur permettre d’avoir dans l’avenir une vie physique positive n’est-elle pas de leur faire vivre le plaisir de la pratique sportive, ou plutôt de leur permettre de construire une relation de plaisir avec les APS ? »
« Cette partie s’appuiera de manière plus approfondie sur les travaux de C. Perrin (1991, 1993, 1994, 1996). Il s’agit d’une investigation systématique de ce que pensent, savent et croient les consultants d’un Centre de Médecine Préventive à propos de leur santé et de leur pratique physique. [...]
Quatre profils sont identifiables : les Hédonistes (en bonne santé, cherchent avant tout le plaisir dans les pratiques physiques), les Hygiénistes (se perçoivent en mauvaise santé et en sont préoccupés), les Volontaristes (sur-attention portée au corps) et les Fatalistes (indifférents aux APS, négligents quant à leur corps).
Ces quatre grands profils présentent un rapport différencié à la pratique physique et à leur propre corps. [...] Ceux qui pratiquent invoquent le plaisir et non pas le devoir : chercher à enclencher une pratique plus importante auprès de ceux qui ne pratique pas supposerait de passer d’un “devoir de santé” (les Hygiénistes) à un “plaisir subjectif dans l’acte moteur”. [...]
L’action de sensibilisation dans le Centre de Médecine Préventive s’est poursuivie auprès d’un profil particulier : les Hygiénistes. Une séance de relaxation leur a été proposée, précédée d’un entretien pour une partie de ce groupe. L’entretien était conduit de façon de permettre à réfléchir à l’organisation du temps libre, des loisirs, de la pratique physique ; c’est avant tout “un temps de subjectivisation”, temps de parole et lieu d’écoute démédicalisée (Perrin, 1996, 85). La séance de relaxation a été proposée comme moyen de sensibilisation à la gestion personnelle de sa vie physique et occasion de mettre en jeu un ressenti du corps, de se centrer sur des “sensation corporelles autres que morbides”. »
« Il ne nous semble pas qu’un élève n’ayant pas été confronté à telle ou telle activité [...] n’ait eu qu’une EPS incomplète. Par contre, il nous semble nécessaire que chaque élève, au cours de son cursus scolaire, ait vécu la satisfaction d’avoir atteint un niveau significatif de maîtrise dans au moins une activité sportive. » « Concernant notre étude, nous retiendrons les questionnements suivants issus des travaux ci-dessus : [...]
- [Les enseignants] mettent-ils en place des moments, des séances où la pratique est conçue comme un retour sur soi, de recentration personnelle (comme par exemple la relaxation) ? »
« [...] la formation de l’élève à la G.S.V.P. engage :
- un renouvellement des APS massivement présentes en EPS (pratique de pleine nature, d’entretien corporel, [...] »

Visée de santéet conceptions propres à J. Eisenbeis et Y. Touchardet à J. Le Boulch
J. Eisenbeis et Y. Touchard, exposant leur conception, évoquent la question de la santé ; il en est de même pour ce qui concerne J. Le Boulch. Les premiers indiquent ‘: « L’éducation à la sécurité prend place dans le champ général de l’éducation, dans un réseau d’actions à la fois spécifiques et convergentes, dont certaines conduites sur la base d’autres thèmes comme santé’ »433. Une visée de santé est ainsi considérée compatible avec celle de sécurité. Elles sont néanmoins jugées distinctes, si bien que les auteurs ne s’étendent pas quant à celle concernant la santé. La conception de J. Le Boulch intègre, elle, une visée de santé (Tableau 13). Il indique en effet : ‘« Notre conception psychomotrice de l’éducation corporelle se rattache essentiellement à un souci d’économie qui se justifie pour des raisons de santé, de longévité dans l’action et finalement d’efficacité et de rendement. »’ 434 Il indique, au préalable : ‘« nous sommes plus intéressés à entraîner la personne, à agir sur le distributeur d’énergie, c’est-à-dire le système nerveux central plutôt que d’accumuler cette énergie au niveau des fibres musculaires sans donner au sujet la possibilité de la gérer. »435 ’ Il en va, selon lui, de l’accès à l’« autonomie motrice », qui nécessite à son stade ultime l’accès à ‘« la programmation consciente de ses mouvements ’»436. Or, ni D. Delignières et C. Garsault, ni G. Cogérino n’y font allusion.

Tableau n°13 : La santé dans la conception de J. Le Boulch, en référence à : Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXIe siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, pp. 348-351
« Psychocinétique et contrôle de son propre entraînement »
« 1 / Gérer sa vie physique implique l’autonomie motrice
L’autonomie motrice visée par la psychocinétique permet non seulement de faire le choix de ses activités physiques d’entretien et de développement en fonction de ses goûts ou de ses possibilités, mais encore bien de les gérer. Les pratiques offertes à chacun recèlent en effet de nombreux pièges, qu’elles s’adressent au praticien de haut niveau ou simplement au sportif qui suit au club des entraînements réguliers. Qu’elles concernent la personne soucieuse de son entretien physique et qui s’est laissée allécher par l’attrait des méthodes à la mode, venues des États-Unis : aérobic, stretching, fitness, body-building, ou diverses pratiques de mise en forme.
Ce qui caractérise l’ensemble de ces pratiques, c’est qu’elles reposent sur une conception de l’homme-machine, réduit à un ensemble de leviers articulés et soumis aux lois d’un rendement défini par des principes biomécaniques qui donnent la priorité, sinon l’exclusivité aux “facteurs d’exécution”. [...]
En d’autres termes, nous sommes plus intéressés à entraîner la personne, à agir sur le distributeur d’énergie, c’est-à-dire le système nerveux central plutôt que d’accumuler cette énergie de façon aveugle au niveau des fibres musculaires sans donner au sujet la possibilité de la gérer. Notre conception psychomotrice de l’éducation corporelle se rattache essentiellement à un souci d’économie qui se justifie pour des raisons de santé, de longévité dans l’action et finalement d’efficacité et de rendement. Les dernières années de la scolarité doivent répondre à cet objectif. »
« 2 / Savoir s’économiser est aussi un facteur d’efficacité
Ce qui frappe dans les méthodes d’entraînement modernes assujetties à une conception primaire du rendement, c’est l’énormité des efforts déployés pour l’obtention de résultats parfois modestes. D’autre part, si l’on comptabilise l’importance de la “déperdition” entraînée par cette pratique, elle est considérable. Il suffit d’observer, pour une équipe de football, le nombre de joueurs indisponibles pour claquages musculaires, entorses du genou, lésions du ménisque, toutes parties du corps fragilisées par l’entraînement, pour en être convaincu. [...]
Ma conviction est que cet accent placé sur la quantité d’effort occasionne une dépense d’énergie aveugle, peu rentable sur le plan de l’ensemble des résultats et parfois préjudiciable à leur qualité.
Ce que l’on observe au niveau compétitif se répercute dans l’entraînement physique de tout un chacun. C’est en s’appuyant sur le modèle du champion que les pratiques “d’entretien physique” se développent. Il suffit de circuler dans les salles de musculation pour observer les pratiquants surcharger de façon gratuite leur musculature en répétant religieusement les séries répertoriées sur les fiches d’entraînement. »
« 3 / L’adolescent et la musculation
C’est dans la pratique méthodique de la musculation que cette dépense gratuite et souvent négative d’énergie est la plus manifeste. [...] A l’adolescence, période narcissique, chez le garçon “la musculation” par le biais des modèles d’identification qu’elle suggère représente un puissant moyen de motivation. Chez l’adolescente, l’attirance se fait plus vers la forme d’intériorisation induite par la danse qui n’est pas non plus exempte de malmenage musculaire et articulaire. [...]
La fonction d’intériorisation sous ses deux aspects, global et segmentaire, représente le moyen propre à éviter la stéréotypie et la répétition et donne au sujet la possibilité d’exercer son contrôle sur sa motricité. La danse [...] est un moyen privilégié pour toucher cette fonction, mais la musculation offre également l’occasion de déplacer l’attention de la performance musculaire vers l’affinement de la sensibilité musculaire et articulaire qui exige la mise en jeu de cette forme “d’attention intériorisée”. Il est indispensable qu’à la fin de la scolarité chaque élève puisse disposer de cette compétence fondamentale. »

Visée d’autonomie et nature de ce qui est visé dans la conception de D. Delignières et C. Garsault et dans celle de J. Le Boulch
Il s’avère que la visée relative à l’autonomie est, en premier lieu, à envisager en ce qui concerne D. Delignières et C. Garsault ainsi que J. Le Boulch. Il est, à tout le moins, une compétence listée par D. Delignières et C. Garsault qui renvoie à une visée d’autonomie. Elle est libellée en ces termes : ‘« être capable de gérer de manière autonome un processus d’apprentissage »’ 437. D’après les auteurs, la compétence intègre l’« attitude »438. Aussi considèrent-ils que la visée d’autonomie a rapport à un changement d’attitude. Ils mentionnent à ce propos un article de D. Delignières concernant l’apprentissage de l’autonomie au travers de la gymnastique439. Il est question, en cet écrit, d’un compromis entre ‘« exigences méthodologiques et attitudinales, et l’activité gymnique ».’ Or, D. Delignières et C. Garsault considèrent que ‘« Les fondements de l’attitude apparaissent relativement imperméables à la rationalité consciente. »440 ’ Ils indiquent de fait : ‘« D’une manière générale, les recherches tendent à montrer que si l’attitude constitue le soubassement motivationnel du comportement, la manière la plus efficace de la modifier consiste à modifier dans un premier temps le comportement, le changement d’attitude intervenant par la suite comme une justification a posteriori du nouveau comportement adopté. »441 ’ J. Le Boulch, pour sa part, propose une méthode en vue de donner accès à l’autonomie motrice. Il s’agit, selon lui, d’autoriser ‘« la programmation consciente de ses mouvements qui correspond à [...] l’ajustement cognitif »442.’ Cette visée d’autonomie porte ainsi sur un objet de nature différente de celui ciblé dans la conception de D. Delignières et C. Garsault (Tableau 14).

Tableau n°14 : Le point de vue de D. Delignières et C. Garsault quant à la visée concernant l’autonomie en regard de celui de J. Le Boulch
La visée d’autonomie selon :
Delignières (D.), Garsault (C.),
Objectifs et contenus, réflexions prospectives,
Transversalité, utilité sociale et compétence,
Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, pp. 10, 11, 13
La visée d’autonomie selon :
Le Boulch (J.),
Mouvement et développement de la personne,
Paris : Vigot, collection : Essentiel, 1995, pp. 292-293, 296
« Si le temps consacré aux loisirs sportifs [...] est amené à s’accroître, il est [...] nécessaire de prévoir aux côtés des formations générale et professionnelle dispensées par l’école, une formation à usage sportif. [...] Une fois posé ce principe, la nature de cette formation reste à déterminer. Il est nécessaire à ce niveau d’identifier de grandes classes de problèmes auxquels devra faire face la pratique sportive dans les années à venir. [...] On peut tenter de dégager quelques problématiques pour orienter le réflexion :
[...]
L’enquête récente de Irlinger et coll. (1987) a montré un accroissement de la pratique non-institutionnalisée. Ceci peut entraîner un recours massif à l’autodidaxie avec tous les risques que cela peut comporter.
[...] Quelle est la nature des savoirs à acquérir pour assurer cette formation ? [...] il nous semble que l’on peut caractériser ces savoirs en tant que compétences [...] Il nous semble que l’on peut classer les ressources constitutives de la compétence selon quatre catégories principales : les habiletés motrices, les habiletés méthodologiques, les connaissances et les attitudes.
[...] Par rapport aux problématiques énoncées plus haut, l’EPS pourrait notamment envisager l’enseignement des compétences suivantes :
[...]
être capable de gérer de manière autonome un processus d’apprentissage,
[...]
D’une manière générale, les recherches tendent à montrer que si l’attitude constitue le soubassement motivationnel du comportement, la manière la plus efficace de la modifier consiste à modifier dans un premier temps le comportement, le changement d’attitude intervenant par la suite comme une justification a posteriori du nouveau comportement adopté. [...] Les fondements de l’attitude apparaissent relativement imperméable à la rationalité consciente.
[...] Dans notre article sur l’apprentissage de l’autonomie au travers de la gymnastique (Delignières 1989), [...] la démarche proposée [...] représente un compromis, entre nos exigences méthodologiques et attitudinales, et l’activité gymnique sans laquelle ces exigences n’auraient pas de sens. »
« L’affirmation de soi, condition fondamentale du développement de l’adolescent ne peut plus passer uniquement par une perspective de réalisation par le métier. [...] L’adolescent doit [...] être formé à gérer sa propre formation, afin de bénéficier au mieux des expériences rendues possibles par le contexte socio-culturel contemporain. L’école devrait avoir pour rôle d’apporter le savoir nécessaire à remplir ses tâches d’adulte, mais encore d’être le lieu où se forge son autonomie. Sans cette formation personnelle en vue de l’autonomie, la diversité des expériences risque d’être morcelante pour la personnalité et de provoquer dispersion et instabilité. [...] Gérer sa vie physique à l’âge adulte signifie entre autres choses avoir la possibilité, dans une situation de la vie pratique, professionnelle, domestique ou sportive, de réajuster ses automatismes en vue de faire face à la diversité des apprentissages. [...] Il faut donc au cours de l’adolescence passer de l’apprentissage à la connaissance de la façon d’apprendre. Non pas en raisonnant, mais en agissant et en prenant conscience de son mode d’agir. »
La visée d’autonomie selon :
Le Boulch (J.),
Le corps à l’école au XXIe siècle,
Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, pp. 121, 258, 343
« L’expérience vécue corporelle sollicite ce que nous appelons la fonction d’ajustement global qui n’implique pas nécessairement l’intervention de la cognitivité. Le passage du schéma corporel inconscient au schéma corporel conscient par l’effort d’intériorisation rend possible l’émergence de l’image du corps opératoire. Cette représentation mentale de son propre corps sera le support de la programmation consciente de ses mouvements qui correspond à ce que nous appelons l’ajustement cognitif rendant possible une véritable autonomie motrice. »
« [...] Chomsky parlait de compétence langagière, c’est-à-dire une compétence instrumentale qui, par analogie, correspondrait dans notre domaine au terme de compétence motrice. Ce que nous désignons sous le nom d’autonomie motrice, et qui peut représenter une finalité de l’éducation corporelle, en est l’équivalent. »
« L’objectif du programme de travail corporel proposé dans cet ouvrage est d’aboutir, à la fin de la scolarité, à la possibilité de gérer sa vie physique [...] La recherche de l’autonomie motrice et la connaissance de son propre fonctionnement est le moyen pratique pour y parvenir. »

Visée d’autonomie et conceptions propres à G. Cogérino et à J. Eisenbeis et Y. Touchard
La question de l’autonomie est abordée aussi dans la conception de G. Cogérino, ainsi que dans celle de J. Eisenbeis et Y. Touchard. Il s’agit, selon G. Cogérino, de mettre en place des ‘« procédures d’enseignement mettant l’accent sur la connaissance de ses besoins, ses capacités et limites et permettant des apprentissages en situation d’autonomie »443.’ Elle ne développe pas, en revanche, la question de l’accès à l’autonomie dans l’apprentissage. Elle ne le présente pas comme un changement d’attitude par rapport à l’apprentissage. Or, D. Delignières et C. Garsault considèrent que ce changement est, en la matière, essentiel. G. Cogérino n’associe pas, non plus, l’autonomie dans l’apprentissage à la programmation consciente de ses mouvements. J. Le Boulch affirme pourtant que l’autonomie motrice est la condition de l’autonomie dans les apprentissages moteurs444. J. Eisenbeis et Y. Touchard, quant à eux, considèrent que l’éducation à la sécurité appelle ‘« Un choix d’orientation de formation pour un enfant autonome, sujet de ses décisions »’ 445. L’autonomie concerne, en ce cas, la mise en place et en oeuvre de « conduites sécuritaires »446. Elle vaut ainsi au plan de la sécurité, ce qui n’est pas le cas, à tout le moins de façon première, dans la conception de G. Cogérino. D. Delignières, pour sa part, met en question le bien- fondé des conduites sécuritaires telles que J. Eisenbeis et Y. Touchard les conçoivent447. J. Le Boulch, quant à lui, envisage l’accès à l’autonomie motrice comme condition à la possibilité d’assurer sa sécurité448. J. Eisenbeis et Y. Touchard jugent, pour leur part, que ‘« c’est la relation qui s’établit entre l’enfant et l’environnement qui est importante »449.’ Il en va, à leurs yeux de l’organisation de la prise de décision et de l’action. Ainsi la visée concernant l’autonomie apparaît-elle envisagée différemment d’une conception à l’autre.

Notes
411.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 11

412.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 11

413.

Ibid., p. 13

414.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 5

415.

Ibid., p. 3

416.

Delignières (D.), Op. Cit., p. 60

417.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 12

418.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 12

419.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 13

420.

Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, p. 26

421.

Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, pp. 344-348

422.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 345

423.

Ibid., p. 347

424.

Ibid., p. 347

425.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 11

426.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 158

Les auteurs font référence à :

Perrin (C.), Analyse des relations entre le rapport aux APS et les conceptions de la santé, STAPS, n° 31, 1993, pp. 21-30

427.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 158

428.

Ibid., p. 161

429.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 8, 16

L’auteur fait référence à :

Perrin (C.), Les A.P.S. : plaisir de l’acte moteur ou devoir de santé ?, in : Performance et santé, A.F.R.A.P.S., 1991, pp. 116-123

Perrin (C.), Analyse des relations entre le rapport aux APS et les conceptions de la santé, STAPS, n° 31, 1993, pp. 21-30

Perrin (C.), APS et santé : étude des représentations sociales et expérimentation dans un centre de médecine préventive, Thèse S.T.A.P.S., 1994, Nancy

Perrin (C.), Bon (N.), Descahmps (J.-P.), Expérimentation d’une séance d’initiation à la pratique de la relaxation dans le cadre d’un examen de santé, Santé Publique, n° 1, 1996, pp. 81-90

430.

Cogérino (G.), Op. Cit.,  p. 9

431.

Ibid., pp. 16-17

432.

Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, p. 5

433.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 3

434.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 349

435.

Ibid., p. 349

436.

Ibid., p. 121

437.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 11

438.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., pp. 10-11

439.

Ibid., p. 13

Les auteurs font référence à :

Delignières (D.), A propos d’un cycle de gymnastique : réflexions sur la production didactique à destination du public scolaire, Echanges et controverses, n° 1, 1989, pp. 6-52

440.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 12

441.

Ibid., pp. 11-12

442.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 121

443.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 17

444.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 260

445.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 3

446.

Ibid., p. 3, 6

447.

Delignières (D.), A propos de : L’éducation à la sécurité, Revue EPS, n° 255, septembre-octobre1995, p. 60

448.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 260

449.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 5