1.1.3 La spécificité de chaque conception de la visée concernant la « vie physique »

Pour un nouvel examen de la visée concernant la « vie physique » dans les conceptions en présence
Il s’avère, en définitive, que les visées de sécurité, de santé et d’autonomie sont prises en compte au plan de chaque conception en présence. Il apparaît, de plus, qu’elles le sont de façon relativement spécifique à une conception donnée. Aussi la définition de la visée relative à la « vie physique » de D. Delignières et C. Garsault n’intègre-t-elle pas celle qui a cours dans les trois autres. Cela infirme dès lors ce qu’on pouvait penser, en première analyse. Ces observations invitent, en outre, à envisager que chaque conception de la visée concernant la « vie physique » diffère des trois autres. Cela est plausible, mais néanmoins à vérifier. Il en va d’un nouvel examen des quatre conceptions considérées. Il s’agit, d’une part, de s’enquérir de la prise en compte, en chacune, d’autres visées que celles relatives à la sécurité, la santé ou l’autonomie. Cette approche se justifie au regard de l’analyse conduisant à la comparaison effectuée entre la conception de D. Delignières et C. Garsault et les trois autres. Seules, en effet, les visées qui ont cours dans la conception de D. Delignières et C. Garsault ont été considérées de façon systématique. Il est à noter, en outre, que deux autres visées que celles concernant la santé, la sécurité et l’autonomie ont été repérées en celle-ci. Il convient, d’autre part, de déterminer les rapports entre les différentes visées qui ont cours dans une conception. Elles fondent des cohérences à confronter : il s’agit de trancher quant à leur similarité.

Selon D. Delignières et C. Garsault : relation de plaisir avec les APS et préparation aux problèmes relatifs à la pratique sportive
La visée concernant la « vie physique » correspond, dans la conception de D. Delignières et C. Garsault, à une visée de formation d’une citoyenneté sportive. Il s’agit, en premier lieu, selon les auteurs, que l’élève mette en place une relation de plaisir avec les activités physiques et sportives. Cela suppose, à leurs yeux, que chaque élève puisse vivre, en EPS, ‘« la satisfaction d’avoir atteint un niveau significatif de maîtrise dans au moins une activité sportive ».’ D. Delignières et C. Garsault envisagent en outre de permettre à l’élève d’accéder à des ‘« compétences relatives à la gestion de ses loisirs physiques »’ 450. Il est question, en ce cas, de développer ‘« des compétences relatives à des thèmes qui transcendent les APS pratiquées »’. Les auteurs considèrent qu’il s’agit ainsi de préparer à ‘« des grandes classes de problèmes auxquels devra faire face la pratique sportive dans les années à venir »’ 451. Ils comptent, parmi ceux-ci : la sécurité au plan des « activités à risque », l’entretien et la gestion de « son capital santé », une prévention des risques liés à l’« autodidaxie ». Ils ajoutent à cet inventaire : ‘« une sensibilisation, voire une formation des futurs cadres des associations » ’et l’‘« apprentissage du rôle de spectateur, d’amateur critique du sport ».’

Selon G. Cogérino : des visées pour un accès aux pratiques physiques de loisir, subordonnées à une visée de santé
Pour G. Cogérino, la visée relative à la « vie physique » en EPS correspond à une transformation de la finalité santé. À ses yeux, les pratiques physiques et sportives participent du style de vie qui contribue à la « prévention primaire »452. Selon elle, ‘« Faire en sorte que davantage d’individus se livrent à une pratique physique renvoie nécessairement à la thématique des loisirs. »453 ’ Elle ajoute que ‘« Le loisir renvoie à une double thématique : celle des modalités de pratique (orientées vers le dépassement de soi, la détente, la reconstruction personnelle, etc.) ; celle des pratiques physiques particulières (les gymnastiques de forme et d’entretien, les pratiques aquatiques, les pratiques non-sportives entre autres...) »’ 454. G. Cogérino observe en outre : ‘« Considérer [...] qu’il est nécessaire, utile, indispensable accessoire... d’avoir une pratique physique durant ses loisirs en vue de maintenir son état de santé [...] est une opinion socialement distribuée et qui ne va pas de soi. »455 ’ Elle indique que cela implique d’‘« aborder la nature des investissements individuels à l’égard de la pratique physique »’ 456. On peut comprendre, dès lors, les propositions qu’elle fait quant à la « formation de l’élève à la G.S.V.P. »457. Il s’agit, en effet, de l’accès à la pratique de pleine nature, d’entretien corporel. Est aussi recherchée une approche de modalités de pratique concernant la détente, le bien-être, la convivialité. Il est question, encore, de la connaissance de ses besoins, de ses capacités et limites. Celle-ci est recherchée au travers d’un enseignement permettant des apprentissages en situation d’autonomie. Ces visées sont ainsi subordonnées à celle concernant la santé. Elles se révèlent complémentaires, en outre, au plan d’un accès aux pratiques physiques de loisir dans une visée de santé. Il n’est ainsi que deux visées (concernant la santé et l’autonomie) qui ont rapport à celles qu’inventorient D. Delignières et C. Garsault. Elles sont, de plus, associées d’une façon différente de celle qui a sied, aux yeux de ces deux auteurs.

Selon J. Eisenbeis et Y. Touchard : une visée d’éducation à la sécurité contribuant à la formation générale de l’enfant
J. Eisenbeis et Y. Touchard considèrent qu’une éducation à la sécurité en et par l’EPS vise à préparer à gérer sa « vie physique ». Ils jugent qu’elle permet de faire oeuvre d’éducation civique458. Un paragraphe de l’ouvrage en lequel ils explicitent leur conception s’intitule : ‘« L’éducation à la sécurité comme moyen de former des citoyens responsables’ »459. Ils précisent qu’‘« Elle contribue à développer l’esprit de responsabilité, de solidarité et constitue un moyen d’intégration sociale »’ 460. J. Eisenbeis et Y. Touchard indiquent aussi qu’elle participe de ‘« l’éducation d’un individu responsable et autonome »461.’ Il est ainsi, selon eux, question de ‘« formation pour un enfant autonome, sujet de ses décisions »462.’ Ils estiment, en définitive, que ‘« L’éducation à la sécurité prend place dans le champ général de l’éducation »463.’ Les acquisitions visées aux travers de l’éducation à la sécurité sont, en outre, centrées sur « la relation qui s’établit entre l’enfant et l’environnement »464. Les auteurs considèrent alors que l’acquisition de conduites de sécurité est contribution à la « formation générale de l’enfant »465. L’éducation à la sécurité est en effet censée jouer au plan de la citoyenneté, la responsabilité, la solidarité, l’autonomie... Plusieurs visées sont ainsi susceptibles d’avoir rapport à celles qui ont cours dans la conception de D. Delignières et C. Garsault ou dans celle de G. Cogérino. Elles sont cependant subordonnées à une visée d’acquisition de conduites valant au plan de la sécurité. Or, ces conduites de sécurité sont objets d’apprentissages seulement dans la conception de J. Eisenbeis et Y. Touchard.

Selon J. Le Boulch : l’« autonomie motrice » comme condition à l’autonomie dans l’apprentissage moteur, la sécurité, la santé
Pour J. Le Boulch, l’autonomie motrice et la connaissance de son propre fonctionnement donnent la possibilité de gérer sa « vie physique ». Il indique : ‘« Si l’école remplit son contrat de préparation à la vie, l’éducation du corps doit déboucher sur l’autonomie motrice, c’est-à-dire la possibilité pour le sujet de prendre en charge ses propres apprentissages moteurs, d’assurer sa sécurité et’ ‘de préserver sa santé dans l’exercice de son métier et dans les activités de loisir qu’il a choisies. »466 ’ J. Le Boulch considère que des « compétences fonctionnelles » sont, pour ce faire, à acquérir467. Les ‘« fonctions psychomotrices énergétiques-affectives »’ et les ‘« fonctions psychomotrices opératives »’ en constituent, selon lui, le fondement. Il y a à les développer pour pouvoir, ‘« au cours de l’adolescence passer de l’apprentissage à la connaissance de la façon d’apprendre. Non pas en raisonnant mais en agissant et en prenant conscience de son mode d’agir. »’ 468 Cela suppose l’accès à ‘« la programmation consciente de ses mouvements qui correspond à [...] l’ajustement cognitif rendant possible une véritable autonomie motrice »’ 469. La proposition de J. Le Boulch vise ainsi au développement de compétences fonctionnelles au travers d’une éducation corporelle. Il le conçoit en tant que condition à l’atteinte de visées concernant : l’autonomie dans ses apprentissages moteurs, la sécurité, la préservation de sa santé. Elles peuvent avoir rapport à des visées qui ont cours dans les conceptions de D. Delignières et C. Garsault, G. Cogérino ou J. Eisenbeis et Y. Touchard. La prise en compte de ces visées est néanmoins subordonnée, pour J. Le Boulch, à celle d’une visée d’autonomie motrice qui est spécifique à sa conception.

Des conceptions relativement spécifiques quant à la visée concernant la « vie physique »
Il apparaît ainsi qu’une visée ayant cours dans une conception peut avoir rapport à une visée présente dans une ou plusieurs des trois autres. Il est aussi des visées qui valent seulement dans l’une des quatre conceptions en présence. En tout état de cause, une visée prend place, en chacune, dans un ensemble de visées. Cela fait qu’elle est relativement spécifique à la conception en laquelle elle est intégrée. C’est ainsi, notamment, que la visée de sécurité que préconise J. Le Boulch correspond à une recherche d’acquisitions spécifique à sa conception. Celle-ci est, en outre, subordonnée à l’atteinte d’une visée d’« autonomie motrice ». Or, il n’en est rien dans les autres conceptions en présence. Ainsi n’est-il pas de point de vue quant à la visée relative à la « vie physique » de nature à intégrer les autres, parmi ceux considérés. Il s’avère plutôt que chacun est relativement spécifique à la conception en laquelle on le trouve. On peut envisager, dès lors, qu’ils sont assortis, en chaque cas, de positions quant aux mises en oeuvre qui le sont aussi, ce qui, toutefois, est à vérifier. Cela appelle une détermination des moyens envisagés en chaque conception pour atteindre la visée concernant la « vie physique ». Il convient, de plus, de les mettre en regard, pour trancher quant à leur similarité.

Notes
450.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 157

451.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 10

452.

Cogérino (G.), Op. Cit., pp. 4-5

L’auteur fait référence à :

Bury (J.A.), Education pour la santé, Concepts, enjeux, planification, Paris, Bruxelles : De Boeck, 1988, pp. 24-94

453.

Cogérino (G.), Apprendre à gérer sa vie physique, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, p. 42

454.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 47

455.

L’auteur l’indique dans deux écrits :

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 7

Cogérino (G.), Apprendre à gérer sa vie physique, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, p. 49

456.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 60

457.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, pp. 16-17

458.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. XVI

459.

Ibid., pp. 1-3

460.

Ibid., p. 2

461.

Ibid., p. 3

462.

Ibid., p. 3

463.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 3

464.

Ibid., p. 3

465.

Ibid., p. 5

466.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 121

467.

Ibid., pp. 258-259

468.

Le Boulch (J.), Mouvement et développement de la personne, Paris : Vigot, collection : Essentiel, 1995, p. 296

469.

Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, p. 121