1.2.3 La question des modalités d’enseignement

Pour une étude des conceptions relatives aux modalités d’enseignement
Il s’avère que chaque conception intègre un point de vue quant aux activités à pratiquer différent de celui qui vaut dans les autres. Il en est de même pour ce qui concerne les modalités de pratique de ces activités. Il peut en résulter des incompatibilités. Ainsi J. Le Boulch considère-t-il que les pratiques d’« Activités opératives » et d’« Activités d’expression et de communication » se complètent. Or, il n’est a priori pas hérésie, d’après D. Delignières C. Garsault, de faire pratiquer seulement celles que J. Le Boulch nomme « Activités opératives ». J. Eisenbeis et Y. Touchard envisagent, eux, la pratique d’une diversité d’activités, à des fins de complémentarité au regard de l’éducation à la sécurité. La pratique de l’athlétisme, de la gymnastique ou des sports collectifs peut avoir cours dans cette optique. G. Cogérino considère, quant à elle, qu’il faut de renouveler les « APS massivement présentes en EPS » ; est concernée « la résistante trilogie athlétisme-gymnastique-sport collectif ». On pourrait donner d’autres exemples illustrant la spécificité de chaque conception. Ainsi, chacune suggère des mises en oeuvre visant à des acquisitions qui lui sont propres. On peut envisager également que chaque conception invite à des modalités d’enseignement qui lui sont particulières. Une mise en regard, sur ce plan, des conceptions en présence, à opérer pour déterminer s’il en est ainsi.

Selon D. Delignières et C. Garsault : différenciation, projets des élèves et climat motivationnel de maîtrise, en EPS
D. Delignières et C. Garsault observent : « ‘Il nous semble [...] qu’il n’y a pas de relation évidente [...] entre EPS et plaisir. Cette relation est à construire’ »513. Cela les conduit à réfléchir à la question en référence à des « ‘travaux réalisés en psychologie d’orientation expérimentaliste’ »514. Ils en viennent à trois types de propositions. L’un a trait à la différenciation pédagogique. Les auteurs annoncent en effet : « ‘Sur le plan didactique, ces travaux suggèrent l’intérêt de différencier la nature des activités pratiquées [...], mais également de proposer, à l’intérieur d’une même activité, des entrées différenciées en regard des sensations attendues ’». Il est un autre type de propositions qui concerne « ‘une prise en compte plus attentive des projets des élèves’ ». Un autre, encore, est relatif à la mise en place d’un ‘« climat motivationnel de maîtrise’ » plutôt que de « compétition ». Il s’avère que ces perspectives sont cohérentes avec ce qui est proposé quant à l’enseignement des compétences. Selon D. Delignières et C. Garsault, l’enseignement des compétences ‘« nécessite une délégation aux élèves de certaines responsabilités (organisation, matériel, etc.). L’adoption de stratégies de type pédagogie du projet semble particulièrement adapté.’ »515 Ils ajoutent qu’il s’agit de « ‘viser à l’implication des élèves dans des activités signifiantes, à forte résonance affective, orientées vers la réalisation de projets à plus ou moins long terme.’ » Il est à noter que ces modalités d’enseignement valent au plan d’un enseignement disciplinaire visant à doter l’élève de compétences « ‘répondant à des problématiques transversales ’»516.

Selon J. Eisenbeis et Y. Touchard : « Modèle appropriatif », et « Prévention expérimentation », dans une approche pluri, inter, et trans-disciplinaire
J. Eisenbeis et Y. Touchard indiquent, pour leur part : « ‘La qualité de l’enseignement suppose que les démarches choisies [...] laissent à l’enfant une large part d’initiative et de choix ’»517. Ils prônent « ‘une “pédagogie de l’expérience” fondée essentiellement sur le modèle appropriatif’ »518. Ce dernier se rapporte, précisent-ils, à J. Houssaye519. Valoriser le modèle appropriatif ne revient pas, pour eux, à ‘« exclure des pratiques d’enseignement relevant d’autres modèles’ »520. Ils indiquent certes : « ‘L’espace et le groupe seront organisés le plus souvent possible en unités de fonctionnement autonome.’ »521 C’est, cependant, « d’autonomie évolutive » dont il est question522. Il s’agit d’une « ‘sécurité “subie” au début des apprentissages puis [...] maîtrisée et intégrée dans l’étape suivante’ »523. L’enseignant doit ainsi « ‘envisager les ruptures possibles, pour permettre à l’enfant de prendre un risque optimal sans être en situation de danger’ »524. Il convient de « ‘construire deux types de stratégies qui sont [...] antagonistes’ »525 qui renvoient à la « ‘notion de Prévention expérimentation’ »526. Ce, dans une perspective d’éducation à la sécurité en laquelle l’EPS n’est pas seule à oeuvrer : il est question d’une approche « pluri, inter, et trans-disciplinaire ». J. Eisenbeis et Y. Touchard, comme D. Delignières et C. Garsault, ont le souci que l’élève apprenne activement. L’autonomie laissée à l’enfant dans l’apprentissage concerne essentiellement, pour les premiers, « ‘la relation qui s’établit entre l’enfant et l’environnement’ »527. Les seconds l’envisagent au plan du choix des activités et des modes de pratique. On observe, de plus, que leur proposition concerne seulement l’EPS. J. Eisenbeis et Y. Touchard situent la leur dans un « ‘contexte pluridisciplinaire [...] nécessaire’ »528.

Selon J. Le Boulch : une éducation du corps par le mouvement, suivant une méthodologie issue de l’analyse fonctionnelle
J. Le Boulch a, quant à lui, le projet d’‘« Assurer la continuité de l’éducation du corps sur l’ensemble de la scolarité’ »529. Il indique : « ‘L’interaction du corps et de l’environnement passe par le mouvement, fil directeur autour duquel se forge l’unité de la personne corporelle et mentale’ . »530 Il est ainsi question d’une ‘« éducation par le mouvement » qui « s’appuie sur l’analyse fonctionnelle’ »531. Il s’agit, en EPS, de proposer « ‘un enseignement des APS [...] qui s’inspire de l’analyse fonctionnelle et non de l’analyse technique spécifique à chacune des spécialités’ »532. Cela a des implications quant à « ‘L’apprentissage moteur applicable à la didactique de l’éducation physiqu’ e »533. C’est ainsi que J. Le Boulch distingue les niveaux d’apprentissage « perceptivo-moteur » et « cognitif »534. Il précise la « Méthodologie » relative à chacun535. Il considère que le premier niveau appelle la confrontation de l’élève à une « situation-problème ». Il juge que le second correspond à un « ‘apprentissage par dissociation [...] avec programmation consciente du schéma moteu’ r ». Ces modalités d’enseignement sont fonction du développement psychomoteur de l’élève. Le stade ultime de l’« autonomie motrice » correspond en effet à « la programmation consciente de ses mouvements »536. La méthodologie envisagée vise à des « acquis fonctionnels qui ne peuvent être assurés à l’école par la seule éducation physique. »537 C’est ainsi que J. Le Boulch traite, notamment, de « ‘L’apprentissage de l’écriture comme éducation psychomotrice’ »538. Il estime que l’élève doit aussi, en fin de cursus, approfondir ‘« certaines données théoriques, en particulier physiologiques et neurophysiologiques’ »539. Il est, en définitive, question d’une éducation du corps, à laquelle l’EPS doit contribuer. Les modalités de sa contribution sont spécifiées au regard de l’« analyse fonctionnelle ». Ni D. Delignières et C. Garsault, ni J. Eisenbeis et Y. Touchard ne s’inscrivent dans cette logique. Ce, qu’il s’agisse de la place de l’EPS dans l’enseignement ou des modalités d’enseignement de cette discipline.

Selon G. Cogérino : connaissance de soi au regard de l’activité physique et climat de maîtrise
G. Cogérino prône, elle, la mise en place de « ‘procédures d’enseignement mettant l’accent sur la connaissance de ses besoins, ses capacités et limites et permettant des apprentissages en situation d’autonomie’ »540. Elle songe à des ‘« stratégies différenciées pour gagner les élèves à une pratique physique régulière et adaptée ’»541. C’est ainsi qu’elle fait référence à J.-P. Callède pour considérer une diversité de « dimensions et registres » quant à la pratique de l’activité physique542. Elle envisage aussi des « ‘temps de verbalisation, d’échanges subjectifs, afin de permettre aux élèves de découvrir en l’énonçant la nature de leurs préoccupations à l’égard de la pratique physique, les registres de sensations qu’ils recherchent ou qu’ils craignent’ »543. Elle suggère également « ‘des moments, des séances où la pratique physique est conçue comme un moment de retour sur soi, de recentration personnelle’ ». G. Cogérino a le souci, de plus, de permettre aux élèves d’apprécier les diverses composantes de leur condition physique544. Elle estime, par ailleurs, qu’il s’agit de créer un « climat de maîtrise » pour que chaque élève tire plaisir de sa pratique. Elle s’interroge, enfin, quant à d’éventuelles collaborations avec d’autres disciplines545. Il est à noter, cependant, que ses propositions concernant la formation de l’élève à la « G.S.V.P. » ne concernent que l’EPS546. Comme D. Delignières et C. Garsault, elle prône la mise en place d’un « climat de maîtrise ». Elle propose cependant des procédures relatives à la connaissance de soi, au regard de l’activité physique, que ceux-ci n’évoquent pas. J. Eisenbeis et Y. Touchard n’en font pas mention non plus. Le propos de G. Cogérino, en tout état de cause, n’a pas rapport à l’« analyse fonctionnelle » selon J. Le Boulch. Elle ne propose pas, en outre, de perspective d’enseignement mettant à l’oeuvre plusieurs disciplines alors que J. Eisenbeis et Y. Touchard ou J. Le Boulch le font.

Pour un nouvel examen des conceptions en présence
Il s’avère que les modalités d’enseignement préconisées en une conception ne sont pas identiques à celles qui le sont dans les autres. Il en est ainsi, d’une part, pour ce qui est de l’enseignement de l’EPS, d’autre part, en ce qui concerne les rapports que cette discipline peut entretenir avec les autres disciplines. Il est question, en outre, de la pratique d’activités physiques dont le choix dépend de critères différents d’une conception à l’autre. Les modalités de pratique de ces activités envisagées sont, de plus, discriminantes. Il n’est, par surcroît, pas de consensus concernant la nature des acquisitions à viser. Ces dernières renvoient à des points de vue particuliers à chaque conception relative à la visée concernant la « vie physique ». Ces constatations invitent à penser qu’on a affaire à des opinions sensiblement différentes quant à la question de la « vie physique » en EPS. Elles conduisent, en outre, à considérer chaque conception en présence, par rapport aux autres, comme un tout ayant sa spécificité. Cela invite à les envisager en tant que conceptions concurrentes plutôt que comme options complémentaires. Il s’agit ainsi de repérer ce qui fonde les différences constatées pour spécifier les termes du problème de la « vie physique » en EPS.

Notes
513.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 158

514.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., pp. 158-160

515.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 12

516.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 11

517.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 4

518.

Ibid., p. 5

519.

Ibid., p. 72

Les auteurs font référence à :

Houssaye (J.), La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, Paris : ESF éditeurs, collection : Pédagogies, 1993

520.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 71

521.

Ibid., p. 74

522.

Ibid., p. 3

523.

Ibid., p. 70

524.

Ibid., p. 66

525.

Ibid., pp. 67-68

526.

Ibid., p. 70

527.

Ibid., p. 5

528.

Ibid., p. 75

529.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 151

530.

Ibid., p. 136

531.

Ibid., p. 118

532.

Ibid., p. 156

533.

Ibid., p. 140

534.

Ibid., pp. 140-141

535.

Ibid., pp. 141-150

536.

Ibid., p. 121

537.

Ibid., p. 245

538.

Ibid., pp. 198-208

539.

Ibid., p. 343

540.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 17

541.

Ibid., p. 8

542.

Ibid., p. 10

L’auteur fait référence à :

Callède (J.-P.), La sociologie du sport et l’expérience F.S.G.T., D.I.R.E. en APS, n° 56, 1996, pp. 3-10

543.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 9

544.

Ibid., p. 10

545.

Ibid., pp. 5, 14-16

L’auteur fait référence à :

Mérand (R.), Dhellemmes (R.), Education à la santé, Endurance aérobie, contribution de l’EPS, Paris : INRP, 1988, 82 p.

Motta (D.), Les disciplines contre le S.I.D.A. : un îlot de rationalité dans un océan de sensibilité, Communication aux journées internationales de l’enseignement scientifique, Chamonix, 1996

546.

Cogérino (G.), Op. Cit., pp. 16-17