2 . Les conceptions relatives à la vie physique : point commun et paradoxe

La « psychocinétique » donne à la conception de J. Le Boulch sa cohérence
J. Le Boulch propose « ‘une éducation du corps sur l’ensemble de la scolarité’ »547. Il vise, au travers de celle-ci, à donner à l’individu la « ‘possibilité de gérer sa vie physique’ »548. Il est question d’une éducation du corps fonction de la psychocinétique. Cette dernière est « ‘science du mouvement humain appliquée au développement de la personne ’»549. Selon J. Le Boulch,« ‘L’action dans le milieu, condition de l’adaptation au réel et facteur du développement, précède la réflexion et en est la condition’ . »550 Ainsi, à ses yeux,« ‘L’autonomie de la pensée passe par l’autonomie motrice’ . » La possibilité de gérer sa « vie physique » est alors, pour lui, effet d’une éducation du corps sur le développement. Il précise qu’elle correspond à une bonne gestion de ses compétences motrices. Il envisage la mise en place et la mise en oeuvre de celles-ci au regard de l’« analyse fonctionnelle ». Il est alors question du versant théorique de la psychocinétique551. Celui-ci porte sur le « module psychomoteur ». Il s’agit, plus précisément, de son étude au plan du développement et au regard du « système organique total »552. Aussi J. Le Boulch annonce-t-il : « ‘Ce type d’analyse permet de comprendre l’importance du facteur temps pour définir la stratégie de l’intervention’ . » Il induit des modalités d’enseignement différenciées suivant le stade du développement. Le choix des activités pratiquées et des disciplines mises à contribution dépendent aussi des possibilités qu’elles offrent pour la mise en jeu des fonctions psychomotrices553. C’est ainsi que la psychocinétique donne à la conception de J. Le Boulch sa cohérence.

Les acquisitions visées comme clé de voûte de la conception de J. Eisenbeis et Y. Touchard
J. Eisenbeis et Y. Touchard s’intéressent, quant à eux, à l’éducation à la sécurité. L’un des objectifs principaux de celle-ci est, indiquent-ils, de préparer l’élève à gérer sa « vie physique ». Selon eux, « ‘L’éducation à la sécurité trouve dans l’éducation physique et sportive un support privilégié’ »554. Ils jugent que la pratique des activités physiques et sportives permet l’acquisition de compétences « ‘nécessaires à la sécurité de l’enfan’ t »555. Elle est censée lui permettre de s’exercer à organiser sa prise de décision556 et son action557. Cet exercice requiert, aux yeux de J. Eisenbeis et Y. Touchard, ‘«  une “pédagogie de l’activité et de l’expérience” fondée essentiellement sur le modèle appropriatif ’»558. Ils considèrent que l’EPS peut ainsi oeuvrer en synergie avec les autres disciplines559. Leur définition des acquisitions visées est de fait susceptible de valoir au regard de l’analyse de l’incertitude et du risque relatifs à toute situation. Cela est cohérent avec les « constats préoccupants » qui justifient à leurs yeux la mise en place d’une éducation à la sécurité560. Ceux-ci ont trait à l’importance quantitative des accidents dont les enfants sont victimes sur la voie publique, à la maison, dans les parcs de jeux publics, en récréation, en EPS. Ces constatations appellent, selon J. Eisenbeis et Y. Touchard, une réflexion « ‘sur les voies à développer pour faire des enfants et adolescents des acteurs de leur propre sécurité’ »561. Un modèle pédagogique impliquant l’élève au plan de sa sécurité apparaît dès lors cohérent au regard de la réflexion engagée. Il s’avère ainsi que les acquisitions visées constituent la clé de voûte du système de pensée des auteurs.

Les acquisitions visées comme clé de voûte de la conception de D. Delignières et C. Garsault
D. Delignières et C. Garsault envisagent, eux, la mise en place d’une « formation à usage sportif »562. Il en va, de leur point de vue, d’une EPS ayant visée en matière de « vie physique ». Ils précisent : « ‘la pratique de référence à prendre en considération est la pratique sportive [...] en tant que domaine social d’activité ’». La formation envisagée vise à l’acquisition de compétences. D. Delignières et C. Garsault entendent par « ‘compétence » : « ensemble structuré et cohérent de ressources, qui permet d’être efficace dans un domaine social d’activité’ »563. Ils considèrent qu’une formation à usage sportif doit valoir au regard des attentes sociales. Elle doit avoir rapport à « ‘des grandes classes de problèmes auxquels devra faire face la pratique sportive dans les années à veni’ r »564. C’est ainsi qu’ils définissent ‘« un ensemble de compétences larges, répondant à des problématiques transversales, et justifiées par le coût social correspondan’ t »565. L’enseignement des compétences requiert, en outre, d’après eux, des procédures pédagogiques particulières566. Il apparaît qu’ils les jugent de nature à permettre à l’élève « ‘de construire une relation de plaisir avec les APS’ »567. Or, ils considèrent que cette construction est fondamentale au plan d’une formation à usage sportif. Il s’agit, en effet, en premier lieu, d’inciter à la pratique de l’activité physique568. Il est ainsi une cohérence entre le domaine en fonction duquel cette formation vaut et leur définition de la compétence. Il en est une autre qui concerne les deux axes de formation qu’ils envisagent. Les acquisitions visées constituent dès lors la pierre angulaire de la conception de D. Delignières et C. Garsault.

Une mise en regard entre ce qui a trait à l’engagement dans la pratique physique de loisir et ce qui a cours en EPS comme ossature de la conception de G. Cogérino
G. Cogérino assimile, pour sa part, la visée relative à la « vie physique » assignée à l’EPS à la « transformation de la finalité Santé »569. Il s’agit dès lors, selon elle, de viser au maintien d’une pratique physique à tous les âges de l’existence570. Elle cite G. Roger pour indiquer : « ‘Le loisir c’est la situation naturelle qui permet de pratiquer le sport toute la vie, en dehors et après l’école’ »571. Ainsi, pour elle, une EPS relative à la « vie physique » a-t-elle rapport à « la thématique des loisirs »572. Or, observe-t-elle, « ‘il semble bien que les enseignants d’EPS gardent leurs distances à l’égard de ce thème’ »573. Elle note aussi que les pratiques physiques et les modalités de pratique relatives au loisir sont, d’après elle, particulières574. Cela, juge-t-elle, a des implications quant à celles qui sont à retenir en EPS575. Elle indique, par ailleurs, que l’« attitude » est l’ossature des représentations qu’ont les individus de la santé, de leur santé576. Celles-ci sont, précise-t-elle, « ‘avant tout un système de valeurs, de notions et de pratiques intégrant de l’irrationnel et du symbolique’ ». Elle ajoute que la manière d’envisager les rapports entre activité physique et santé est de nature à varier d’un individu à l’autre577. Il est dès lors question de la perception, par l’individu, de bénéfices et d’un besoin relatifs à une pratique physique578. Il en va, pour G. Cogérino, de procédures d’enseignement particulières, liées à la connaissance de soi au regard de la pratique physique579. Ses propositions impliquent, annonce-t-elle, un bouleversement pour l’enseignement de l’EPS. Celui-ci procède d’une mise en regard de ce qui a trait à l’engagement dans les pratiques physiques de loisir et de ce qui a cours en EPS.

Pour une nouvelle confrontation des conceptions en présence
Ainsi la psychocinétique donne-t-elle son unité à la conception de J. Le Boulch. La cohésion de celle de J. Eisenbeis et Y. Touchard tient à leur spécification des acquisitions visées. La logique de la conception de D. Delignières et C. Garsault tient à une autre définition de celles-ci. Une confrontation entre la pratique physique de loisir et l’enseignement de l’EPS constitue l’axe vertébral de celle de G. Cogérino. Il en résulte que ce qui donne son homogénéité à une conception lui est propre. Or, il est, en chacune, un point de vue quant à la visée relative à la « vie physique » qui lui est particulier. Il en est de même, en outre, pour ce qui est des mises en oeuvre concernant la « vie physique ». Cela autorise à juger que chaque conception présente une cohérence qui lui est propre. Il convient toutefois de noter que ces différentes conceptions ont toutes trait à un même problème. Celui de la « vie physique » en EPS. Il s’agit dès lors de considérer qu’elles procèdent d’analyses divergentes quant à un même objet. C’est alors qu’il y a à s’enquérir de ce qui fonde leur communauté tout en étant à la source de leurs différences. Or, il semble que la visée relative à la « vie physique » a rapport, en chaque cas, à l’au-delà de l’EPS. J. Le Boulch s’inscrit dans une visée d’aide au développement. J. Eisenbeis et Y. Touchard visent à une contribution de l’EPS à l’éducation à la sécurité. D. Delignières et C. Garsault recherchent l’accès de l’élève à la pratique sportive conçue comme domaine social d’activité. G. Cogérino a le projet de permettre à chaque élève d’intégrer une pratique physique à ses loisirs. On peut penser, de plus, que les propositions faites en chaque conception quant à l’enseignement de l’EPS visent l’accès à un au-delà de l’EPS. Les divergences entre conceptions tiendraient alors à la spécification de celui-ci ainsi qu’aux moyens envisagés pour y accéder. Cela est certes cohérent, mais est néanmoins à vérifier.

Notes
547.

Le Boulch (J.), Op. Cit., pp. 151-378

548.

Ibid., p. 343

549.

Ibid., p. 104

550.

Ibid., p. 117

551.

Ibid., p. 104

552.

Ibid., p. 118

553.

Ibid., p. 259

554.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 3

555.

Ibid., p. 70

556.

Ibid., pp. 65-67

557.

Ibid., pp. 67-68

558.

Ibid., pp. 5, 71-74

559.

Ibid., p. 70, 75

560.

Ibid., p. 1

561.

Ibid., p. 2

562.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 10

563.

Ibid., p. 12

564.

Ibid., p. 10

565.

Ibid., p. 11

566.

Ibid., pp. 11-13

567.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 158

568.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., pp. 157-158

569.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 3

570.

Ibid., p. 16

571.

Ibid., p. 44

L’auteur fait référence à :

Roger (G.), Perspectives d’avenir pour les loisirs, Revue EPS, n° 72, novembre 1964, pp. 7-13

572.

Cogérino (G.), Apprendre à gérer sa vie physique, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, p. 42

573.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 6

574.

Cogérino (G.), Apprendre à gérer sa vie physique, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, p. 47

575.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, pp. 16-17

576.

Cogérino (G.),  Op. Cit., p. 5

577.

Ibid., pp. 6-10

578.

Ibid., p. 16

579.

Ibid., p. 17