Quatre conceptions pour une visée d’accès à la culture et d’intégration sociale
J. Le Boulch ambitionne de donner à l’élève ‘« la possibilité de gérer sa vie physique en vue d’une meilleure intégration sociale’ »580. Il s’agit de lui permettre d’accéder à une bonne gestion de ses compétences motrices581. Elle est censée, notamment, s’appliquer à un entraînement sportif une fois le temps de la scolarité révolu582. J. Eisenbeis et Y. Touchard jugent que l’éducation à la sécurité « constitue un moyen d’intégration sociale. »583 Ils considèrent, de plus, qu’elle vise, outre à préparer à gérer sa vie physique, à « ‘faciliter l’appropriation des pratiques culturelles (ex. natation [...])’ »584. D. Delignières et C. Garsault, quant à eux, ont le projet de « préparer l’élève à sa vie physique et sportive d’adulte »585. Il est ainsi question de faire oeuvre d’« utilité sociale »586. Selon eux, en effet, « le temps consacré aux loisirs sportifs est appelé à s’accroître. En outre, cette préparation aux loisirs sportifs requiert à leurs yeux l’‘« apprentissage de savoirs culturellement situés’ »587. G. Cogérino, enfin, considère qu’il s’agit de permettre à chaque élève de « ‘maintenir une pratique physique à tous les âges de l’existence’ »588. Pour elle, les pratiques physiques et sportives sont ‘« pratiques culturelles ayant effectué une percée importante depuis la décennie 60’ »589. Ainsi sa proposition en matière de « vie physique » a-t-elle rapport à l’accès à la culture. G. Cogérino précise, en outre, qu’il est question de la contribution de l’EPS « ‘à l’égard de problèmes sociaux préoccupants : préservation, voire amélioration de la santé, prévention à l’égard de facteurs de risques pouvant la compromettre’ »590. C’est ainsi que la visée concernant la « vie physique » qui a cours en chaque conception vaut au plan socioculturel. Est-il question de points de vue quant à l’au-delà de l’EPS différents de l’une à l’autre ? Un nouvel examen des conceptions en présence est à opérer pour le savoir.
Selon J. Le Boulch : une visée concernant la vie quotidienne, le travail, l’entraînement
J. Le Boulch annonce, à propos de son ouvrage publié en 1998 : « ‘L’objectif du programme de travail corporel proposé [...] est d’aboutir, à la fin de la scolarité, à la possibilité de gérer sa vie physique, tant dans le quotidien, qu’au travail, qu’au loisir.’ »591 Il précise : «
celles qui correspondent à l’engagement corporel dans une tâche de la vie quotidienne ou [...] une tâche professionnelle sollicitant une action corporelle exigeant de la précision, de la force ou de l’endurance ;
celles qui concernent des situations d’entraînement choisies par la personne pour entretenir son potentiel physique ou pour poursuivre sa formation éventuellement en vue d’objectifs compétitifs. »
J. Le Boulch indique en outre, dans son ouvrage de 1995 : « ‘Gérer sa vie physique à l’âge adulte signifie entre autres choses avoir la possibilité, dans une situation de la vie pratique, professionnelle, domestique ou sportive, de réajuster ses automatismes en vue de faire face à la diversité des situations’ . »592 Il est question d’un programme de travail corporel pour plusieurs domaines d’application. J. Le Boulch s’exprime quant à ceux-ci dans son ouvrage de 1998. Il est notamment question de ‘« La sécurité au travail »593. Il s’agit, aussi, du « contrôle de son propre entraînement’ »594. J. Le Boulch envisage ainsi l’au-delà de l’EPS au plan de la pratique physique. Il ne l’y réduit pas pour autant. Il y inclut aussi la vie quotidienne ou professionnelle. Il est à noter, enfin, que J. Le Boulch envisage la gestion de sa « vie physique » après le temps du collège et pour l’adulte595.
Selon J. Eisenbeis et Y. Touchard : une visée valant aux plans social, culturel, professionnel
J. Eisenbeis et Y. Touchard ont exposé leur point de vue quant aux visées de l’éducation à la sécurité. Il s’agit de rendre les élèves « ‘sûrs, responsables, réfléchis et autonomes’ »596. Selon eux, l’EPS ne peut prétendre à elle seule à y parvenir, mais elle peut y contribuer597. Ils affirment ainsi : « ‘L’éducation à la sécurité trouve dans l’éducation physique et sportive un support privilégié, en raison des situations que celle-ci propose et des compétences motrices, perceptives, cognitives, méthodologiques, sociales, qu’elle permet à l’enfant de construire’
. »598 Des « constats préoccupants » justifient cette mise à contribution de l’EPS599. Ils observent, par exemple, qu’un enfant sur dix est victime, avant d’avoir vingt ans, d’un accident sur la voie publique. Leur propos est à situer dans le prolongement d’une université d’automne qui a eu lieu en 1987. J. Eisenbeis et G. Domalain ont fait un compte rendu de cette manifestation. Ils y indiquent qu’il s’agit de « ‘Permettre à l’élève de mieux se situer dans son environnement social, culturel, et professionne’
l »600. L’aspect culturel de cette visée a trait à la pratique sportive. Le propos a en effet rapport au « ‘développement généralisé de nouvelles pratiques d’activités physiques et sportives’ »601. J. Eisenbeis et Y. Touchard reprennent ces idées à leur compte. Ils considèrent en effet que l’éducation à la sécurité a pour objet de « ‘faciliter l’appropriation des pratiques culturelles (ex. natation, trampoline, activités physiques de pleine nature...)’ »602. Il est ainsi des points communs entre l’au-delà de l’EPS qu’envisagent J. Eisenbeis et Y. Touchard et celui que considère J. Le Boulch. Il ne se limite, ni pour ceux-ci, ni pour celui-là, à la pratique de l’activité physique. Il a rapport, dans les deux cas, à la vie quotidienne ou professionnelle. Il concerne, dans les deux propositions, le temps de la scolarité ; il vaut aussi une fois celui-ci révolu. Il est à noter, cependant, que sa teneur diffère d’une conception à l’autre. C’est ainsi qu’il concerne le contrôle de son propre entraînement pour J. Le Boulch ; ce qui n’est pas le cas pour J. Eisenbeis et Y. Touchard.
Selon D. Delignières et C. Garsault : une visée valant au plan de la pratique physique, sportive et de loisir de l’adulte, considérée comme domaine social d’activité
Selon D. Delignières et C. Garsault, « ‘Le problème posé est de préparer l’élève à sa vie physique et sportive d’adulte’
. »603 C’est ainsi que leur proposition vise à former « ‘ceux qui dans l’avenir, à tous niveaux et dans toutes les fonctions nécessaires, vivront et feront vivre la pratique physique, sportive et de loisir ’»604. Ils précisent que « ‘Ceci ne saurait se limiter à la formation des futurs pratiquants ou consommateurs de loisirs sportifs : la pratique de référence à prendre en considération est la pratique sportive, non plus seulement en tant que mise en jeu du sportif, mais en tant que domaine social d’activité’
. » Sont concernés : « ‘les règlements [...] les organisations, les types de sociabilité, les motifs d’agir qui sous-tendent les loisirs physiques et sportifs, compétitifs ou non ’»605. D. Delignières et C. Garsault ajoutent en outre : « ‘si c’est aux loisirs futurs qu’il convient de préparer les élèves, une démarche prospective est nécessaire afin d’anticiper l’évolution de ces pratiques sociales ’». Il est ainsi question d’un au-delà de l’EPS qui consiste en « ‘la pratique physique, sportive et de loisir’ ». Aussi D. Delignières et C. Garsault jugent-ils qu’il convient, a minima, que « ‘les élèves aient envie de pratiquer une activité physique, au terme de leur scolarité et tout au long de leur vie’ ». Il apparaît, dès lors, qu’ils envisagent l’au-delà de l’EPS différemment de J. Eisenbeis et Y. Touchard ou J. Le Boulch. Il n’a, d’une part, pas trait, pour D. Delignières et C. Garsault, qu’à de la pratique de l’activité physique. Il concerne la pratique sportive « ‘en tant que domaine social d’activité ’». Il n’a, d’autre part, pas trait, pour eux, à la vie quotidienne ou professionnelle.
Selon G. Cogérino : une visée valant au plan d’un accès à une pratique physique de loisir à tous les âges de l’existence
G. Cogérino ambitionne, pour sa part, d’aider chaque élève à « maintenir une pratique physique à tous les âges de l’existence »606. Il est ainsi question de donner à chacun l’envie et les moyens de s’adonner, de façon profitable pour sa santé, aux loisirs sportifs. G. Cogérino prend acte d’une évolution au plan de la pratique physique des français. Elle l’indique très explicitement dans un écrit sorti en 1998. Elle y annonce : ‘« Les enquêtes sociologiques ont mis en évidence des tendances qui sont certainement irréversibles ’»607. Elle ajoute : « ‘la pratique physique de la majorité des français n’est plus essentiellement celle d’un pratiquant licencié qui poursuit une même et unique pratique’ ». Puis, elle précise : « ‘Les tendances sont aux activités multiples, pratiquées en dehors des structures fédérales traditionnelles [...] la pratique dite “individuelle”, en famille ou entre amis rassemble 47 % des pratiquants ». Selon elle, « Dans ce contexte, il semble “éducatif” de faire en sorte que chaque élève sortant du système scolaire dispose de connaissances et procédures pour s’entraîner seul ou même épisodiquement’
. » Il est aussi question d’acquérir le moyen de se déterminer « ‘face à la multiplicité des propositions du “marché’
” ». Il s’agit, dès lors, comme pour D. Delignières et C. Garsault, d’un au-delà de l’EPS concernant la pratique de l’activité physique à tous les âges, à l’occasion des loisirs. G. Cogérino le conçoit, cependant, différemment. Cette similarité relative indique en outre qu’elle ne l’envisage pas comme J. Eisenbeis et Y. Touchard ou J. Le Boulch le font.
L’au-delà de l’EPS comme point commun et comme source de différences au plan des visées
Il est ainsi question, en chacune des conceptions en présence, d’une visée relative à la « vie physique » qui concerne un au-delà de l’EPS. Il s’avère que celui-ci est, selon la conception, restreint ou non à la pratique de l’activité physique. Il l’est pour ce qui concerne D. Delignières et C. Garsault ou G. Cogérino. J. Eisenbeis et Y. Touchard ou J. Le Boulch l’étendent, quant à eux, à certains aspects de la vie quotidienne ou professionnelle. Il est à noter que l’au-delà de l’EPS qui concerne l’exercice physique diffère d’une conception à l’autre. Il s’avère, aussi, que J. Eisenbeis et Y. Touchard envisagent différemment de J. Le Boulch, ce qui, en la matière, a trait à la vie courante ou professionnelle. Il est à observer, aussi, qu’il est question, en chaque conception, d’un au-delà du temps de la scolarité. Il est question, pour D. Delignières et C. Garsault, de préparation à la « vie physique et sportive d’adulte ». J. Le Boulch intitule le dernier chapitre qu’il consacre à « ‘la continuité de l’éducation du corps sur l’ensemble de la scolarité » : « Au-delà du collège. Gérer sa vie physique’ ». J. Eisenbeis et Y. Touchard ambitionnent, eux, « une transformation du comportement des enfants ». G. Cogérino vise, pour sa part, à permettre à l’élève « ‘de maintenir une pratique physique à tous les âges de l’existence’ ». Une visée relative à un au-delà de l’EPS vaut ainsi en chacune des quatre conceptions examinées. Celui-ci est considéré différemment d’une conception à l’autre. On peut envisager néanmoins qu’à chacune correspondent des mises en oeuvre pour des acquisitions valant au-delà de l’EPS. Qu’en est-il ?
L’auteur l’indique dans deux écrits :
Le Boulch (J.), Éducation Physique et Science de l’Éducation, Le mouvement, fil directeur du développement, in : Le corps à l’École, apprentissage et développement, Actes du colloque, 30 septembre et 1er octobre 1994, Saint Jacques de la Lande, Dossiers EPS, n° 22, 1995, p. 56
Le Boulch (J.), Education Physique, Education motrice psychocinétique (place de l’Education Physique en éducation par le mouvement), in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 68
Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, p. 343
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 348
Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., , p. 2
Ibid., p. 5
Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 10
Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 9
Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 161
Cogérino (G.), Op. Cit., p. 16
Ibid., p. 3
Cogérino (G.), Apprendre à gérer sa vie physique, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, p. 29
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 343
Le Boulch (J.), Mouvement et développement de la personne, Paris : Vigot, collection : Essentiel, 1995, p. 296
Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, pp. 344-348
Le Boulch (J.), Op. Cit., pp. 348-351
Ibid., pp. 343-378
Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. XVII
Ibid., p. XVI
Ibid., p. 3
Ibid., p. 1
Eisenbeis (J.), Domalain (G.), Op. Cit., p. 39
Ibid., p. 38
Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 5
Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 10
Les auteurs l’indiquent à deux reprises :
Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 10
Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 156
Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 157
Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 16
Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, p. 26
L’auteur précise, en note de bas de page :
« Enquête de juin 1997, L’équipe magazine, n° 794, juin 1997, supplément au n° 15.901. »