2.2 Le paradoxe relatif au traitement du problème de la vie physique en EPS

2.2.1 Le contexte dans lequel s’inscrit le problème de la vie physique

Pour une étude du contexte dans lequel s’inscrit le problème de la « vie physique » en EPS
Il apparaît ainsi que les conceptions relatives à la « vie physique » en EPS considérées concourent à signifier le problème de l’au-delà de l’EPS. Il s’agit d’en spécifier les termes. Il faut, dès lors, déterminer en quoi celui-ci fait problème. Il convient ainsi de s’enquérir de ce qui donne sens, en chacune des conceptions en présence, au problème de la « vie physique ». Il s’avère que les tenants de ces conceptions renseignent sur le contexte en lequel vaut leur propos. D. Delignières et C. Garsault se sont exprimés quant à la mise en place, au plan des textes officiels, d’une visée concernant la « vie physique ». Ils indiquent notamment : « ‘Cette apparition ne nous semble pas anodine, et reflète à notre sens une rupture profonde dans l’évolution de la discipline.’ »669 J. Le Boulch réfléchit, quant à lui, en regard des « ‘questions qui se posaient déjà en éducation physique en 1947 et qui n’ont pas encore reçu de réponse à l’orée du IIIe millénaire ’»670. J. Eisenbeis et Y. Touchard indiquent que l’« éducation à la sécurité » a été ‘« longtemps marginalisée [...] par de nombreux acteurs du système éducatif’ »671. G. Cogérino, enfin, considère que sa proposition « ‘constitue sans aucun doute un bouleversement pour l’EPS’ »672. Ces observations donnent à penser que le problème de la « vie physique » est à considérer au regard de l’EPS en son ensemble, voire au regard de l’EPS envisagée du point de vue de l’école en laquelle elle s’inscrit. Il en irait ainsi de ce qui fonde la communauté des approches en présence quant à la « vie physique ». Leur diversité réfracterait, alors, des divergences ou des différences concernant l’EPS, son objet ou les mises en oeuvre qui lui sont relatives. Il s’agit dès lors de vérifier si chaque conception procède d’une analyse de l’EPS qui lui est propre. Il convient aussi de déterminer si elle a rapport à une conception de l’EPS qui lui est particulière.

Selon D. Delignières et C. Garsault : trois catégories de conceptions de l’EPS dont une seule vaut au regard d’une EPS qui a visée en matière de « vie physique »
D. Delignières et C. Garsault ont donné leur point de vue quant aux trois objectifs généraux que l’arrêté du 24 mars 1993 assigne à l’EPS. Ils indiquent, dans un écrit publié en 1997 : « ‘Le premier est caractéristique de la période “eugénique” de l’EP, des origines aux années soixante’ »673. Ils ajoutent : « ‘Le second objectif renvoie quant à lui à la période “sportive”, notamment marquée par les Instructions Officielles de 1967’ . » Ainsi, selon eux : « ‘l’introduction d’un nouvel objectif correspond à une tentative de sauvegarde de la discipline à un moment où l’objectif précédent tend à perdre de sa pertinence, et entre en décalage avec les attentes de la société’ ». Ils considèrent ‘« les perspectives ouvertes par le troisième objectif comme une mesure de sauvegarde de la discipline, à un moment où les objectifs précédents risquaient de devenir caducs’ »674. C’est ainsi qu’ils estiment « ‘que l’avenir proche de la discipline va se structurer autour de son troisième objectif’ ». Ils défendent aussi ce point de vue dans un article publié dans la Revue EPS en 1993. Selon eux, « ‘chaque période ajoute ses objectifs, qui s’accumulent ainsi en strates successives sans remise en cause explicite des objectifs précédents’ »675. Dès lors, « ‘suivant les auteurs, l’un des objectifs est généralement valorisé et organise majoritairement la démarche’ ». Cela ‘« peut servir de support à une classification des diverses conceptions de l’EPS ’». Il est ainsi, d’après eux, trois catégories de conceptions de l’EPS. C’est la troisième qui trouve grâce à leurs yeux, au regard d’une EPS ayant visée en matière de « vie physique ». Il s’agit, en effet, selon eux, d’enseigner « ‘un ensemble de compétences larges, répondant à des problématiques transversales, et justifiées par le coût social correspondant’ »676.

Selon J. Le Boulch : l’EPS face à des problèmes d’identité, dans la seconde moitié du XX e siècle
Pour J. Le Boulch, la finalité propre de l’éducation physique « n’a jamais été précisée »677. Il indique que, sous le gouvernement de Vichy, l’éducation physique devait être « ‘la pièce maîtresse de la lutte contre “la dégénérescence de la race’  ». Il ajoute que les Instructions Officielles de 1945 ‘« proposent un programme éclectique fait d’un ensemble de méthodes jusqu’alors concurrentes ’». C’est alors qu’il a ‘« tenté de promouvoir une conception fonctionnelle d’éducation physique ’». Il précise que sa conception a été concurrente de celle de P. Seurin, qu’il qualifie d’hygiéniste, dans la « ‘période comprise entre 1952-1960’ ». La déroute française aux Jeux Olympiques de 1960 a alors, à ses yeux, mis en lumière « ‘les carences d’une éducation physique en proie à des conflits internes lui interdisant de définir une méthodologie claire ’»678. Cela, note-t-il, a eu pour conséquence la mise en place d’une doctrine du sport servant de base à la réforme de l’éducation physique. Il rappelle qu’en 1981 a eu lieu « ‘la réintégration de l’éducation physique au ministère de l’Éducation nationale’ ». Il ajoute que cette discipline a, dès lors, « ‘tenté de devenir une matière intellectuelle comme les autres’ ». Cela s’est fait, d’après lui, au détriment de la spécification de son identité. Il signale, à ce propos, les difficultés relatives à la mise en place des programmes, pour signifier : ‘« C’est donc comme matière transversale qu’elle doit maintenant définir son identité’ . » Cela conduit, selon lui, à ‘« la situer dans le domaine de la santé’ »679. La conséquence est « ‘un retour pur et simple aux conceptions hygiénistes de Pierre Seurin et à celles encore plus traditionnelles de la santé par le sport ».’

Selon J. Le Boulch : la « psychocinétique », pour répondre aux questions qui se posent traditionnellement quant à l’EPS
Selon J. Le Boulch, ‘« un observateur superficiel pourrait penser que l’éducation physique a progressé depuis 1960.’ »680 Or, indique-t-il : « ‘les problèmes fondamentaux qui étaient les siens à cette date restent entiers en cette fin de siècl’ e ». Il fait l’inventaire des « 

‘questions qui se posaient déjà en 1947 et qui n’ont pas encore reçu de réponse [...]
  • L’incapacité d’apporter une réponse claire à la définition de la finalité de la discipline.

  • La difficulté qu’elle rencontre à proposer un contenu cohérent dans une chronologie allant de l’école maternelle à l’Université.

  • L’impossibilité de s’appuyer sur une méthodologie scientifique de l’apprentissage moteur qui fasse appel à la fois aux sciences humaines et aux neurosciences. »681

La psychocinétique lui apparaît de nature à apporter réponses à ces questions. Les travaux relatifs à l’élaboration de programmes en EPS, initiés à la suite des Instructions Officielles de 1985 et 1986 ont, souligne J. Le Boulch, procédé d’une logique autre682. Il ajoute : « ‘L’échec de l’élaboration d’un programme de savoirs ou de savoir-faire a pour conséquence la remise en question de l’importance de ces acquisitions. ’»683 Cela, souligne-t-il, a eu pour conséquence une définition de l’EPS en tant que discipline transversale. Il poursuit, en indiquant : « ‘Nous nous retrouvons donc dans la position historique traditionnelle de l’éducation physique qui est unanimement reconnue comme indispensable, voire fondamentale, sans que l’on puisse préciser ce qu’elle apporte concrètement dans le processus éducatif. » ’

Selon J. Eisenbeis et Y. Touchard : l’EPS, support privilégié de l’éducation globale, par le biais de l’éducation à la sécurité
M. Duhamel, Directeur des Ecoles, indique, dans l’avant-propos de l’ouvrage de J. Eisenbeis et Y. Touchard relatif à l’éducation à la sécurité : « ‘L’accueil des élèves est une des fonctions premières de l’école. Ce faisant, elle se doit d’assurer leur sécurité. [...] Par ailleurs, l’école doit préparer à l’approche du risque, doit familiariser l’enfant avec le danger sans pour autant le négliger ou le sous-estimer’ . »684 On comprend alors que J. Eisenbeis et Y. Touchard annoncent que « 

‘Deux objectifs ont été poursuivis en priorité :
  1. “Étudier les conditions d’une meilleure sécurité lors de la pratique des activités liées à l’enseignement de l’EPS”.

  2. “Étudier l’influence des compétences acquises grâce à l’enseignement de l’EPS, sur la transformation du comportement des enfants”. »685

J. Eisenbeis et Y. Touchard considèrent, qu’ainsi, l’éducation à la sécurité s’inscrit dans une « logique d’éducation globale ». Si bien qu’à leurs yeux, « ‘le projet ne saurait se réduire [...] ni aux modalités de la sécurité en EPS, ni même à la gestion d’une plus grande sécurité en EPS ». Il est question de « la sécurité en EPS et par l’EPS ’». J. Eisenbeis et Y. Touchard défendent ainsi que ‘« L’éducation à la sécurité trouve dans l’éducation physique et sportive un support privilégié ’»686. Ils expliquent qu’elle permet en la matière l’acquisition de compétences qui lui sont propres. Qu’elle concourt, aussi, à celle de compétences qui présentent un caractère transversal.

Selon J. Eisenbeis et Y. Touchard : une place première pour l’EPS, au regard d’un principe organisateur de son enseignement et de celui des autres disciplines
Ils indiquent, en outre, qu’il n’y a pas en EPS, de ‘« contenu matière spécifique à l’éducation à la sécurité ’»687. Pour eux, ‘« la diversité et la complémentarité’ » des « A.P.S. » sied à l’affaire688. C’est ainsi qu’il est question de « ‘La “sécurité” [...] principe organisateur des pratiques physiques’ »689. Ils annoncent, par ailleurs, que l’éducation à la sécurité a rapport à la polyvalence du maître. Selon eux, en effet, elle « ‘ne peut se faire sans un instituteur polyvalent dont la cohérence d’attitudes et de discours est un gage d’enseignement’ »690. Elle appelle, à leurs yeux, une « approche pluri, inter et trans-disciplinaire »691. Ils indiquent ainsi : « ‘Il ne peut y avoir dans l’école un temps ou un espace particulier pour l’éducation à la sécurité’ »692. Ils ajoutent : « ‘un contexte pluridisciplinaire, dans lequel l’éducation physique joue un rôle primordial, est nécessaire’ ». Ils précisent : « ‘Elle n’a pas l’apanage de l’acquisitions de règles – d’ordre méthodologique et comportemental – au service de la sécurité, mais son originalité réside dans l’appropriation des principes d’action et de gestion grâce à des conduites motrices.’ » Puis, ils concluent en ces termes : « ‘Sommes-nous les seuls à penser que, dans ce domaine aussi, l’unicité et la polyvalence de l’enseignant semblent être une des chances du 1° degré ’ ? » L’EPS prend alors une importance cardinale au regard d’un principe organisateur des enseignements.

Selon G. Cogérino, une conception relative à la vie physique en EPS qui engage une conception de l’EPS
G. Cogérino indique, dans la Revue EPS de janvier-février 1995, qu’il est deux représentations dominantes chez les enseignants d’EPS quant à la « G.S.V.P. »693. Pour certains, ‘« La prise en compte distincte d’une formation de l’élève à la gestion de sa vie physique ne s’impose pas. Pratique physique et gestion de sa vie physique sont ici confondues.’ » Pour d’autres, il convient de valoriser « ‘une voie essentiellement motivationnelle : il s’agit de donner le goût à l’élève d’une pratique physique ’». G. Cogérino précise que les moyens à employer pour y parvenir « sont difficilement identifiés ». Elle juge que les uns rejettent « ‘la poursuite du troisième objectif ’»694. Elle considère que les autres « ‘s’inquiètent des bouleversements qui pourraient naître si l’EPS prenait le problème à bras le corps’ . » Aussi annonce-t-elle, lors des Rencontres Chercheurs / Praticiens de 1996 : ‘« l’adaptation [...] se fait à l’économie (changer le moins possible)’ . »695 Selon elle, « ‘L’approche des représentations construites par les enseignants à propos de la GSVP met en évidence leur difficulté à cerner précisément la notion et à l’intégrer dans leur conception antérieure de l’EPS.’ »696 Elle signifie, en outre, suite à un tour d’horizon des « ‘conceptions de la GSVP » : « Elles n’engagent pas [...] les mêmes conceptions de l’EPS, son but ultime et son objet véritable ’»697. Ce qui vaut aussi pour sa propre conception. Ainsi, d’après elle, « ‘La valorisation actuelle du pôle cognitif, de la construction rationnelle des apprentissages’ » empêche peut-être de « ‘considérer l’individu au plan de ses attitudes et motivation’ s ». Elle observe, de plus, que les enseignants d’EPS gardent leurs distances à l’égard du thème de l’accès aux activités de loisir698. Or, le ‘« bouleversement profond pour l’enseignement de l’EPS’ » qu’il s’agit, à ses yeux, de générer prend en considération ces deux clés699. C’est ainsi qu’elle défend les propositions d’enseignement présentées dans un numéro des Dossiers EPS sorti en 1998 à deux niveaux. D’une part, en regard des arguments contre l’intégration de certaines activités et modalités de pratique en EPS700. D’autre part, du point de vue de la pertinence qu’il y a à les mettre en place en EPS701.

Des conceptions relatives à la « vie physique » en EPS qui induisent une conception de l’EPS ou s’inscrivent dans une conception de l’EPS
Il s’avère ainsi que les tenants des différentes conceptions examinées réfléchissent au regard de l’EPS en son ensemble. Il est question, pour D. Delignières et C. Garsault, d’une EPS désormais sommée de faire la preuve de son utilité sociale. De cette situation résulte, à leurs yeux, l’assignation à l’EPS d’une visée concernant la « vie physique ». Celle-ci est dès lors visée essentielle de l’EPS. Cela appelle la mise en place d’une EPS faisant face à des problématiques transversales, justifiées par un coût social. J. Le Boulch considère, lui, que l’EPS est à la recherche de son identité, d’une cohérence, au regard du développement de l’élève, d’une science de référence. Cela appelle d’après lui une éducation du corps et par le corps au moyen de la psychocinétique, la place de l’EPS étant majeure au plan des moyens relatifs à cette éducation. Cette discipline est dès lors nécessaire quoique non suffisante à l’affaire. J. Eisenbeis et Y. Touchard voient pour leur part en l’EPS une pièce maîtresse du processus éducatif : ils l’estiment support privilégié au regard d’un principe organisateur qui concerne l’ensemble des disciplines. Pour G. Cogérino, l’EPS doit contribuer à la santé. Or, elle pense que cette discipline ne remplit pas sa mission de préparation aux loisirs, dans une perspective de santé. Elle estime en effet que son enseignement n’intègre ni les activités physiques, ni les modalités de pratique, ni les procédures qui le permettraient. C’est ainsi que les conceptions relatives à la « vie physique » considérées procèdent d’analyses concernant l’EPS qui ont leurs particularités. On peut envisager que chacune a rapport à une conception de l’EPS qui, elle aussi, est particulière.

Notes
669.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 155

670.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 86

671.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 2

672.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 17

673.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 155

674.

Ibid., p. 156

675.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 10

676.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 11

677.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 45

678.

Ibid., p. 46

679.

Ibid., p. 47

680.

Ibid., p. 84

681.

Ibid., p. 86

682.

Ibid., pp. 70-84

683.

Ibid., p. 82

684.

Duhamel (M.), Avant-Propos, in : Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. XIII

685.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 2

686.

Ibid., p. 3

687.

Ibid., p. 69

688.

Ibid., p. 69, 71

689.

Ibid., pp. 65-68

690.

Ibid., p. 3

691.

Ibid., p. 70

692.

Ibid., p. 75

693.

Cogérino (G.), Gestion de la vie physique, Revue EPS, n° 251, janvier-février 1995, p. 21

694.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 22

695.

Cogérino (G.), Quelle contribution des enseignants d’EPS à la santé ?, in : Comité d’études et d’informations pédagogiques de l’éducation physique et du sport, Op. Cit., p. 58

696.

Cogérino (G.), Gestion de la vie physique, Revue EPS, n° 251, janvier-février 1995, p. 22

697.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 23

L’auteur reprend ce point de vue dans :

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 11

Cogérino (G.), Apprendre à gérer sa vie physique, Paris : PUF, collection : Pratiques corporelles, 1999, pp. 71, 82-83

698.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 6

699.

Cogérino (G.), Op. Cit., pp. 16-17

700.

Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, pp. 11-12, 26

701.

Cogérino (G.), Op. Cit., pp. 10, 27-28