2.2.2 Les conceptions quant à la vie physique au regard des conceptions de l’EPS

Pour une mise en regard des conceptions relatives à la « vie physique » et de points de vue concernant l’EPS en son ensemble
Quatre conceptions relatives à la « vie physique » ont été repérées. Chacune a trait à la transversalité. D. Delignières et C. Garsault penchent pour un enseignement disciplinaire fonction de « problématiques transversales »702. J. Le Boulch indique, quant à lui : ‘« La psychocinétique, en s’appuyant sur l’analyse fonctionnelle, offre [...] la possibilité de pratiquer de nombreuses activités, non pas de façon contradictoire ou chaotique, mais dans une cohérence qui renforce l’unité et l’autonomie de la personne. C’est la définition même de ce que l’on appelle aujourd’hui la transversalité. ’»703 Il précise même : ‘« La transversalité d’une éducation par le mouvement s’exerce [...] de discipline à discipline, mais également au fil du temps [...] en fonction des impératifs de développement de l’enfant, différents selon les stades de son évolution psychomotrice. ’»704 J. Eisenbeis et Y. Touchard envisagent, pour leur part, l’enseignement de compétences à « ‘caractère transversal’ »705. L’EPS serait, au plan de celui-ci, un support privilégié. Ils considèrent, en outre, qu’il en va d’une « ‘approche pluri, inter et trans-disciplinaire’ »706. Ils estiment, par surcroît, que la sécurité est « ‘un principe organisateur des pratiques’ » en EPS707. G. Cogérino, elle, vise à permettre à l’EPS de remplir une mission en matière de santé, au moyen d’« apprentissages spécifiques »708. Cela donne à l’EPS une place irremplaçable en la matière. Il semble alors qu’on a affaire à des conceptions différentes de l’EPS. Ce qui suppose que chaque conception concernant la « vie physique » en EPS se heurte à un point de vue quant à l’EPS en son ensemble. Qu’en est-il ?

La conception « citoyenneté sportive » de D. Delignières et C. Garsault s’avère peu compatible avec la conception de l’EPS de P. Parlebas
La proposition de D. Delignières et C. Garsault quant à la « vie physique » concerne des acquisitions qui n’ont pas trait qu’à la motricité de l’élève. C’est ainsi que D. Delignières a indiqué, lors d’une université d’été qui s’est tenue en 1993 : « ‘il n’est [...] pas certain que l’apprentissage moteur soit quantitativement le plus fréquent, ni même politiquement le plus pertinent. D’autres acquisitions, telles que l’apprentissage de méthodes d’apprentissage, de méthodes de gestion, la transformation des attitudes, sont fondamentales pour la discipline, et peut-être davantage encore dans la perspective du “savoir gérer sa vie physique” (Delignières et Garsault, 1993). ’»709 P. Parlebas, pour sa part, a annoncé, à propos de l’EPS : « ‘Les effets éventuels sur la santé ou sur les valeurs morales peuvent être importants, mais ce ne sont que des effets seconds, qui peuvent d’ailleurs être négatifs et qui, de toute façon, sont les objectifs directs d’autres disciplines (médecine, instruction civique...). L’objet propre de l’éducation physique, son noyau dur qu’aucune discipline ne peut lui contester, c’est la conduite motrice, et plus généralement l’action motrice.’ »710 Il est ainsi question d’une conception quant à l’EPS en son ensemble. Il s’avère qu’elle est peu compatible avec celle de D. Delignières et C. Garsault.

La conception « autonomie » de J. Le Boulch s’avère peu compatible avec la conception de l’EPS de C. Pineau
J. Le Boulch donne son point de vue en matière de « vie physique » dans un ouvrage au titre évocateur : « ‘Le corps à l’école au XXIe siècle ’». Il préconise la mise en place d’une éducation par le mouvement, en laquelle l’EPS aurait place de choix. La psychocinétique est censée autoriser la résolution des problèmes que l’entreprise relative aux programmes d’EPS n’a pu surmonter711. Il fait ainsi une analyse critique de l’oeuvre de C. Pineau. Ce dernier s’est exprimé quant aux « ‘problématiques de l’éducation physique’ » dans un article de la revue EPS sorti en 1993. Selon lui, ‘« Un simple regard sur l’évolution des conceptions de l’éducation physique et sportive permet de reconnaître, dans les deux premiers objectifs généraux de cette discipline [...] les deux problématiques auxquelles l’éducation physique et sportive a été confrontée ces cinquante dernières années.’ »712 Il précise : « ‘La première est caractérisée par une conception qui trouve sa traduction dans les différentes méthodologies prônant le seul exercice du mouvement comme moyen de formation. Ce sont d’abord les méthodes à visées adaptatives ou utilitaires. [...] Viennent ensuite les méthodes prenant en compte l’individu dans sa totalité. [...] Il s’agit essentiellement, en France, de la psychocinétique (Jean Le Boulch) ’». Il ajoute : « ‘La seconde problématique est caractérisée par une référence aux pratiques sociales et aux données culturelles’ . » C. Pineau annonce, enfin, qu’« une problématique nouvelle » tient à « ‘La prise en compte, ces dernières années, d’un troisième objectif’ »713. Il souligne : « ‘Cette nouvelle problématique correspond aux mises en oeuvre imposées par le troisième objectif. Toutefois, elle fait également appel aux deux premiers [...] Nous comprenons bien, en effet, que l’éducation physique et sportive est un enseignement constitué d’éléments qui composent un tout au regard des finalités qui sont les siennes’ . » Il est dès lors question d’une conception de l’EPS en laquelle la « méthode » de J. Le Boulch n’a pas sa place.

La conception « sécurité » de J. Eisenbeis et Y. Touchard s’avère peu compatible avec la conception de l’EPS de L. Collard
J. Eisenbeis et Y. Touchard ambitionnent, pour leur part, la mise en place d’une éducation à la sécurité « en EPS et par l’EPS ». Pour ces auteurs, « ‘Chaque pratique possède des caractéristiques qui peuvent, en fonction de l’objectif sécurité, être retenues comme critères éventuels de choix’ . »714 Il est question des « ‘ressources qu’elles développent », des « types de relations qu’elles provoquent’ », de ‘« la nature des informations qu’elles dispensent’ ». J. Eisenbeis et Y. Touchard considèrent que « ‘variété et complémentarité des activités sont nécessaires à une programmation’ ». Leur enseignement est, lui, envisagé en fonction d’un « ‘principe organisateur’ »715. Il s’agit d’aider l’enfant à organiser sa prise de décision ainsi que son action. L. Collard s’inscrit, lui, dans la logique de P. Parlebas. Il envisage donc les activités physiques au regard de « ‘la Science de l’action motrice’ »716. Il considère, citant P. Parlebas, que « ‘Le maître du jeu n’est pas le maître mais le jeu’ . »717 C’est ainsi qu’il propose « ‘une classification des risques sportifs relative aux grands traits de logique interne des sports et quasi-sports »718.’ Il s’avère qu’elle fait apparaître « ‘quatre catégories de processus stochastiques’ »719. Il est, pour chacune, un « objectif de l’Education physique » particulier. L. Collard indique, par exemple : « ‘La première, pour les jeux sportifs sans incertitude liée au milieu et sans adversaire en interaction, correspond en fait à la non-présence de processus stochastique. [...] L’objectif de l’Education physique sera ici de construire des stéréotypes en toute sécurité, par adaptations progressives et définitives.’ »720 C’est ainsi que L. Collard envisage un enseignement différent de celui que proposent J. Eisenbeis et Y. Touchard. Cet enseignement vaut au regard d’une ‘« perspective scientifique neuve, créée par Pierre Parlebas’ »721. Or, celle-ci a rapport à une conception particulière de l’EPS.

La conception « santé » de G. Cogérino s’avère peu compatible avec la conception de l’EPS de B.X. René
G. Cogérino, enfin, envisage la mise en place d’une EPS permettant un accès aux activités physiques de loisir, dans une perspective de santé. Il en va, selon elle, d’une EPS remplissant sa mission en matière de « G.S.V.P. ». B.X. René s’est interrogé quant à l’utilité de l’EPS pour les élèves. Il indique : « ‘Ce que je veux leur apprendre [...] c’est pourquoi je fais cela avec eux, et pas autre chose ; et pourquoi comme cela et pas autrement. Qu’ils aient l’intelligence de ce qu’ils font pour pouvoir le maîtriser et aussi pour devenir capables de l’autogérer, à terme. [...] Que dans le même temps s’installe en eux un besoin de sens. [...] Ce que je veux leur apprendre, autrement dit, c’est à se servir de leur corps d’une façon raisonnée et réfléchie.’ »722 Il est question de préparer les élèves à ‘« être des hommes et des citoyens dans une société différente où ils auront à faire face à des problèmes inédits [...] à faire preuve d’intelligence et d’équilibre’ . »723 Selon B.X. René, « ‘l’EPS n’est plus [...] l’auxiliaire de la médecine. Même si, par tradition, l’on persiste à mentionner la santé parmi ses objectifs. [...] La santé n’est plus qu’une préoccupation folklorique de l’EPS. [...] c’est surtout parce que les médecins n’en attendent plus rien. ’»724 Il ajoute : « ‘Il y a un moment que l’on sait que ce n’est pas dans les cours de gym que se préparent les champions. Que l’on distingue le sport d’élite des loisirs de masse et que le secteur des loisirs n’attend rien non plus de l’EPS. [...] Qu’on se le dise, l’EPS n’est plus là pour servir d’antichambre au club méd ! ni à aucun autre club, d’ailleurs..’ . »725 La conception relative à la « G.S.V.P. » de G. Cogérino s’avère, dès lors, peu compatible avec le propos de B.X. René.

Le problème de la « vie physique » en EPS réfracte celui de l’identité ou de l’essence de l’EPS
C’est ainsi qu’à chaque conception relative à la « vie physique » en présence on peut opposer un propos relatif à l’EPS en son ensemble. Chacune, en outre, est apparue avoir rapport à une conception de l’EPS particulière. On peut alors considérer que le problème de la « vie physique » en EPS réfracte celui de l’identité ou de l’essence de cette discipline. Les propos de M. Delaunay quant à l’EPS sont, par exemple, relativement significatifs en la matière. Il indique : « ‘Les connaissances, les savoirs et les modes d’action fondamentaux sont de trois ordres en EPS. [...] principes et règles opérationnels [...] principes et règles de gestion [...] méthodes d’apprentissage et principes et règles hodologiques. La synergie de ces trois types de contenus est l’“alchimie” à réussir dans chaque leçon d’EPS. »726 Il précise : « Pour construire une véritable éducation physique par les activités physiques et sportives, notre discipline dispose de contenus de structure tels que les principes opérationnels et les rôles moteurs tirés des pratiques motrices instituées ou non. Mais acquérir un principe opérationnel [...] en vue d’un niveau d’utilisation [...] ne suffit pas. Encore faut-il apprendre à gérer ces principes opérationnels et en apprenant à les gérer, et en apprenant à les apprendre. L’EPS doit inclure dans ses contenus de programmes non seulement des structures, des relations motrices, mais également des stratégies de gestion de la vie physique, obéissant à des principes’ »727. Est alors présentée une « ‘définition des douze principes de gestion “élémentaires” à enseigner’ »728. Sont aussi listées et explicitées neuf « méthodes »729. En définitive, « ‘La cohérence est donnée par les principes opérationnels, principes de gestion, principes de méthodes à transposer, combiner, généraliser et non par les APS elles-mêmes.’ »730 Cet exemple illustre ainsi relativement bien le fait qu’une conception de la « vie physique » a rapport à une conception de l’EPS.

Notes
702.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 10, 11

703.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 106

704.

Ibid., p. 134

705.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 3

706.

Ibid., p. 70

707.

Ibid., pp. 65-68

708.

Cogérino (G.), Gestion de la vie physique, Revue EPS, n° 251, janvier-février 1995, p. 22

L’auteur présente ici la sytnhèse des travaux d’une université d’été qu’elle a animé avec B. Paris en 1993 (Actes de l’université d’été « EPS, santé et gestion de sa vie physique tout au long de l’existence », Houlgate, Rectorat de Caen, p. 38). Elle envisage aussi que des « apprentissages en situation d’autonomie » soient faits au plan de la « G.S.V.P. » dans un document diffusé en 1997 (Cogérino (G.) : Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 17). Elle a, en outre, coordonné un numéro des Dossiers EPS en lequel ceux relatifs aux « pratiques d’entretien corporel » sont explicités (Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, 141 p.)

709.

Delignières (D.), Entretien avec D. Delignières, in : Amicale des enseignants EPS, Op. Cit., p. 95

710.

Parlebas (P.), Crise et méprise en éducation physique, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 85

711.

Le Boulch (J.), Op. Cit., pp. 68-87

712.

Pineau (C.), Des principes opérationnels aux programmes, 2 e partie, Les données d’accompagnement de l’action, Revue EPS, n° 240, mars-avril 1993, p. 41

713.

Pineau (C.), Op. Cit., p. 42

714.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 71

715.

Ibid., pp. 65-68

716.

Collard (L.), Sports, enjeux et accidents, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, p. 212

717.

Collard (L.), Op. Cit., p. 67

718.

Ibid., p. 212

719.

Ibid., pp. 96-98

720.

Ibid., p. 96

721.

Ibid., p. 212

722.

René (B.-X.), Les effets de l’éducation physique, in : René (B.-X.), A quoi sert l’éducation physique et sportive ?, Dossiers EPS, n° 29, 1997, p. 117

723.

René (B.-X.), Op. Cit., p. 118

724.

Ibid., p. 108

725.

Ibid., p. 109

726.

Delaunay (M.), EPS, Académie de Nantes, n° 6, CRDP des Pays de Loire, 1991-1992, p. 14

727.

Delaunay (M.), Op. Cit., p. 18

728.

Ibid., p. 19

729.

Ibid., p. 23

730.

Ibid., p. 18