2.2.3 Le paradoxe relatif au problème de l’au-delà de l’EPS

Pour une spécification de ce qui fait que le problème de la « vie physique » en EPS pose problème
Le problème de la « vie physique » en EPS apparaît ainsi comme celui de l’au-delà de l’EPS. Il est question des effets de l’enseignement de l’EPS qui valent au-delà de celle-ci, ainsi qu’au-delà du temps de la scolarité. Les avis diffèrent quant à ce que l’EPS doit viser en matière de « vie physique ». Il en est de même pour ce qui concerne les moyens à mettre en oeuvre relatifs à la visée concernant la « vie physique ». Chacune des quatre conceptions concernant la « vie physique » examinées apparaît présenter une cohérence qui lui est propre, qui la distingue des autres. Elle a rapport à des points de vue particuliers concernant : la visée relative à la « vie physique », les acquisitions à effectuer, les activités à pratiquer et leurs modalités de pratique, les procédures d’enseignement à employer. Elle se révèle, en outre, réfracter une conception de l’EPS. Il s’avère ainsi que chaque conception relative à la « vie physique » considérée induit une conception de l’EPS ou s’inscrit dans une conception de l’EPS. On ne peut l’en dissocier puisqu’elle est de nature à se trouver récusée par une autre conception de l’EPS. C’est ainsi que le problème de la « vie physique » en EPS est lié à celui de l’identité ou de l’essence de cette discipline. C’est alors qu’il est envisagé en fonction de deux pôles ou centres d’intérêt. L’un a trait à l’au-delà de l’EPS, l’autre concerne la définition de l’EPS. Il est à rappeler, en outre, que celui-ci pose problème. On peut dès lors envisager de déterminer ce qui fait qu’il pose problème en examinant la manière dont sont considérés les deux pôles repérés.

En chaque conception, on postule que les acquisitions envisagées valent au-delà de l’EPS
Au problème relatif à la « vie physique » en EPS sont proposées plusieurs réponses. On constate que les tenants des différentes conceptions examinées ont un point de vue bien arrêté quant à ce qui peut être acquis en EPS qui vaut au-delà. D. Delignières et C. Garsault affirment qu’il en est ainsi d’« ‘une relation de plaisir avec les APS’ »731. Ils considèrent que c’est le cas, aussi, pour la compétence : ils la jugent « ‘éminemment réinvestissable’ »732. J. Le Boulch affirme, lui : « ‘C’est l’analyse fonctionnelle qui permet de résoudre le problème du transfert qui se pose dans l’apprentissage moteur. Problème non résolu en éducation physique ’»733. C’est, de fait, au regard de celle-ci qu’il envisage la spécification et l’enseignement de ‘« compétences fonctionnelles’ »734. C’est un enseignement de « ‘conduites sécuritaires réinvestissable’ s » que J. Eisenbeis et Y. Touchard ambitionnent pour leur part735. G. Cogérino vise, elle, à des acquisitions stables et durables, en termes d’habitus et d’attitude736. Elle s’intéresse aussi à des « ‘contenus [...] porteurs d’un réinvestissement possible en dehors du cours d’EPS’ »737. Il est à observer que ces différents auteurs considèrent que les acquisitions qu’ils explicitent valent au-delà de l’EPS. Il est à noter, en outre, qu’ils n’ont guère le souci d’en apporter la preuve ou d’en faire la démonstration. Seul, J. Le Boulch tient un propos critique quant à la « Conception atomistique du transfert »738. Pour signifier son point de vue quant au problème du transfert. Il annonce : « ‘Mes premières recherches sur l’apprentissage moteur [...] m’ont très vite fait abandonner cette tentative vaine de rechercher des atomes de mouvements communs aux actions motrices de même nature’ . » La proposition qu’il argumente, cependant, demeure à questionner. On ne retrouve pas, en outre, un point de vue similaire au plan des conceptions relatives à la « vie physique » que défendent les autres protagonistes. On doit ainsi considérer que chacun postule que les acquisitions qu’il envisage valent au-delà de l’EPS.

L’au-delà de l’EPS en tant que « terre promise » pour l’élève, au plan des conceptions relatives à la « vie physique »
C’est ainsi que les acquisitions visées en chaque conception relative à la « vie physique » sont associées à des effets positifs pour l’individu. On affirme qu’il en va de son accès à la citoyenneté sportive, à l’autonomie, qu’il est question de sa sécurité, de sa santé. D’autres effets positifs pourraient être listés, par exemple, la possibilité d’un choix éclairé de ses loisirs... Ceux-ci sont censés valoir au plan d’un au-delà de l’EPS, c’est-à-dire, au-delà de cette discipline et du temps de la scolarité. On peut considérer, alors, qu’il est question d’un au-delà de l’EPS en tant que « terre promise » pour celui qui va quitter un âge de la vie. C’est ainsi que D. Delignières et C. Garsault affirment que leur proposition permettra à l’élève une meilleure insertion sociale. Elle est censée l’autoriser à s’adonner avec plaisir et de façon pertinente aux loisirs sportifs. Or, ceux-ci sont envisagés comme l’une des caractéristiques majeures de la société à venir. J. Le Boulch, quant à lui, annonce notamment : « ‘L’autonomie motrice visée par la psychocinétique permet non seulement de faire le choix de ses activités physiques d’entretien et de développement en fonction de ses goûts ou de ses possibilités, mais encore bien de les gérer.’ »739 Il ajoute que « ‘Les pratiques physiques offertes à chacun recèlent en effet de nombreux pièges’ ». Il s’agit, par exemple, des « ‘méthodes d’entraînement modernes assujetties à une conception primaire du rendement ’». J. Eisenbeis et Y. Touchard visent, quant à eux, à la mise en place d’une relation pertinente entre l’individu et son environnement. Il est ainsi question de « maîtrise de soi », de maîtrise de « ‘l’étendue effective de sa propre liberté’ »740. G. Cogérino ambitionne, pour sa part, la réalisation d’acquisitions autorisant la personne à intégrer l’activité physique à ses loisirs. Ce, dans une perspective de santé et pour sa vie durant. C’est ainsi l’explicitation d’une relation plausible entre un type d’acquisitions, voire d’enseignement, et un effet positif qui vaut en tant qu’argumentaire. Ce dernier peut alors être considéré comme affirmation d’un au-delà en tant que « terre promise » pour l’élève.

L’au-delà de l’EPS en tant que « spectre » pour l’EPS, au plan des conceptions relatives à la « vie physique »
Il convient de considérer, en outre, que chaque conception relative à la « vie physique » réfracte une conception de l’EPS. Or, celle-là dépend des problèmes auxquels est confrontée l’EPS. C’est ainsi que D. Delignières et C. Garsault jugent qu’il est nécessaire, pour l’EPS, de faire montre de son utilité sociale741. J. Le Boulch souligne que l’école est ‘« de plus en plus confrontée à la nécessité de justifier son efficacité’ »742. C’est alors en tenant compte de ce contexte qu’il développe sa conception. J. Eisenbeis et Y. Touchard s’enquièrent d’une éducation à la sécurité en EPS et par l’EPS. Ils observent que beaucoup d’accidents qui surviennent à l’école ont lieu à l’occasion des cours d’EPS743. Cela est de nature mettre en cause cette discipline. G. Cogérino, elle, s’inquiète de l’« ‘inadéquation du consensus actuel en EPS vis-à-vis de la demande des adultes sortis du système scolaire.’ »744 C’est alors qu’il est question, au plan des conceptions relatives à la « vie physique » d’une « terre promise » pour l’EPS. Elle procède du souci d’éviter que l’EPS ne passe dans l’au-delà. C’est ainsi au regard de l’au-delà en tant que « spectre » de la disparition de l’EPS que les conceptions en présence valent. En outre, l’opposition entre une conception de l’EPS et une conception concernant la « vie physique » en EPS peut être fonction de celui-ci. B.X. René, par exemple, affirme qu’une EPS ayant visée de santé ou de propédeutique au loisir n’a plus lieu d’être745. Il s’essaie alors à spécifier une EPS plus pertinente que celles qui sont, selon lui, passées dans l’au-delà.

La transformation d’une exigence en postulat comme source du problème de la « vie physique » en EPS
Le problème de la « vie physique » en EPS, qui réfracte celui de l’essence de l’EPS, peut ainsi être envisagé à la lumière du « spectre » de l’au-delà. Ou plutôt, du « spectre » du passage de l’EPS dans l’au-delà. Il est alors question d’éviter le pire pour l’EPS tout en s’enquérant d’un enseignement de l’EPS qui viserait le meilleur pour l’élève. C’est alors de l’au-delà en tant que « terre promise » pour l’élève dont il s’agit. Celui-ci est, en outre, envisagé de façon à éviter que l’EPS ne passe dans l’au-delà. Cela revient alors à poser telle conception quant à la « vie physique » en EPS en tant qu’exigence, pour l’EPS et pour l’élève. Ce qui conduit à considérer, en chacune, que les acquisitions visées valent au-delà du contexte qui les a occasionnées. S’il en est ainsi, c’est qu’on postule que ce qui est acquis en EPS vaut au-delà, a des effets au-delà. Le débat peut ainsi de porter de façon essentielle sur la spécification de cet au-delà et sur la caractérisation de l’EPS correspondante. Cela explique que le problème de la « vie physique » en EPS semble insoluble. Sauf à ce qu’un point de vue ne s’impose face aux autres. Ce n’est pas tant le principe du débat, éventuellement contradictoire, qui fait problème que la manière dont il se déroule. Le problème de la « vie physique » tient à une exigence : il faut que ce qui est acquis en EPS ait des effets au-delà. Or, on postule que ce qui est acquis en EPS vaut au-delà. Dès lors, ne débat-on pas de façon première à propos de ce qui peut être acquis en EPS qui vaudrait au-delà et quant à la manière de l’enseigner. Ce qui fait que la question de la « vie physique » en EPS pose problème résulte ainsi de la transformation d’une exigence en postulat.

Face à un paradoxe : la question de l’au-delà en tant qu’exigence, pour l’EPS
Les deux pôles du problème de la « vie physique » sont : l’accès à un au-delà de l’EPS et la question de l’identité ou de l’essence de l’EPS. Ils sont envisagés au regard de l’au-delà en tant que « spectre » et de l’au-delà comme « terre promise ». Ils le sont de façon sensiblement moindre du point de vue de l’au-delà en tant qu’exigence. Il en va ainsi d’un paradoxe. On postule que ce qui est acquis en EPS vaut au-delà alors qu’il faut faire en sorte que ce qui est acquis en EPS ait des effets au-delà. Il est en effet question de la spécification d’un enseignement au regard de l’assignation à l’EPS d’une visée relative à la « vie physique ». Postuler que ce qui est acquis en EPS vaut au-delà revient à considérer implicitement que l’EPS aura l’au-delà qu’elle aura mérité. Dès lors, le débat peut-il se porter de façon principale sur les caractéristiques de cet au-delà. La confrontation des conceptions en présence invite à envisager différemment le problème de la « vie physique » en EPS. Chacune présente une cohérence qui lui est propre. Toutes concourent, en revanche, à signifier qu’il est question d’armer l’élève pour l’au-delà de l’EPS et du temps de la scolarité. Il est alors question d’éducation. Ce, en tant que M. Develay indique : « ‘Éduquer, c’est au premier sens ex-ducere, conduire hors d’un lieu donné, de l’intérieur vers l’extérieur’ »746. Il s’agit alors de se demander ce qui peut être acquis en EPS qui vaudrait au-delà, dans une perspective d’éducation. Il est question d’une exigence pour l’EPS.

Notes
731.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), A quoi sert l’éducation physique et sportive ?, Dossiers EPS, n° 29, 1997, pp. 157-158

732.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 13

733.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 106

734.

Ibid., pp. 258-259

735.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 3

736.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 17

737.

Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, p. 26

738.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 113

739.

Ibid., p. 348

740.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., pp. 2-3

741.

Les auteurs l’indiquent dans :

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., pp. 9, 10

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., pp. 155-156

742.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 84

743.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 1

Plusieurs auteurs font mention du problème :

Mestejanot (D.), Le traitement juridique des accidents d’EPS, Revue EPS, n° 251, janvier février 1995, pp. 33-37

« Un accident sur deux au lycée professionnel et trois accidents sur cinq au collège et au lycée se produisent en cours d’éducation physique. [...] En maternelle un accident sur sept a lieu lors d’une activité sportive. En primaire, un accident sur cinq. »

Martinet (P.-H.), Le risque en toute sécurité, Revue EPS, n° 255, septembre-octobre 1995, pp. 58-59

« 35 % des accidents qui ont lieu dans les lycées et collèges se produisent lors des séances d’éducation physique. »

744.

Cogérino (G.), Gestion de la vie physique, Revue EPS, n° 251, janvier-février 1995, p. 22

745.

René (B.-X.), Les effets de l’éducation physique, in : René (B.-X.), A quoi sert l’éducation physique et sportive ?, Dossiers EPS, n° 29, 1997, pp. 108-109, 117-118

746.

Develay (M.), De l’apprentissage à l’enseignement, Paris : ESF éditeurs, collection : Pédagogies, 1992, p. 96