Question de la « vie physique », problème de la « vie physique » et problématique de l’au-delà
La question de la « vie physique » en EPS s’avère faire problème. Elle appelle en effet la spécification d’un moyen au service d’une fin qui est à redéfinir. Une mise en regard des différentes conceptions en la matière permet de pointer le problème. Il a rapport à l’accès à un au-delà de l’EPS, voire du temps de la scolarité. Les points de vue diffèrent quant à cet au-delà ainsi qu’en ce qui concerne les moyens à employer pour y accéder. Ils se révèlent reposer sur deux catégories essentielles d’arguments. Les uns consistent en l’affirmation d’un au-delà en tant que « terre promise » pour l’élève. Les autres ont trait au « spectre » du passage de l’EPS dans l’au-delà. Ces arguments ont lieu d’être au regard d’un postulat implicite : ce qui est acquis en EPS vaut au-delà (et l’EPS aura l’au-delà qu’elle aura mérité). Sa mise en place est à la source du problème de la « vie physique » en EPS. Elle est en effet transformation d’une exigence en postulat. Ce sont les textes officiels qui légitiment la question de la « vie physique ». Or, ce qui a rapport, en ceux-ci, à la « vie physique » n’y est pas affirmé, mais exigé. Il est question d’une visée assignée à l’EPS. C’est ainsi qu’on lit, dans l’arrêté du 18 juin 1996 : « ‘L’EPS vise chez tous les élèves [...] l’accès aux connaissances relatives à l’organisation et à l’entretien de la vie physique ’»747. On observe ainsi un paradoxe qui conduit au repérage de la problématique de l’au-delà.
Des appellations diverses quant aux acquisitions à opérer qui réfractent des conceptions différentes quant à leur nature
Il est alors question d’éducation. Il s’agit en effet de préparer l’élève à un au-delà de l’EPS qui se prolonge en un au-delà du temps de la scolarité. C’est ainsi qu’on a à s’enquérir de ce qui peut être acquis en EPS qui vaut au-delà, dans une perspective d’éducation. Le questionnement envisagé est dès lors doublement pertinent. Il intéresse, d’une part, l’interface des deux dimensions de chaque conception relative à la « vie physique ». Il est fondé, d’autre part, en regard du postulat implicite relatif à l’au-delà qui y a cours. Les acquisitions visées en chacune tiennent en effet tout à la fois de la cible qui y est tracée et des moyens élaborés pour l’atteindre ; il est en outre affirmé qu’elles valent au-delà de l’EPS. Ainsi la question considérée a-t-elle rapport au noeud Gordien du problème de la « vie physique » en EPS. Force est de constater, en tout état de cause, que les appellations des acquisitions visées fluctuent d’une conception à l’autre. Il s’agit ainsi, pour J. Le Boulch, d’accéder à « ‘l’autonomie motrice » et à « la connaissance de son propre fonctionnement’ »748. L’élaboration de « compétences fonctionnelles » est, selon lui, le support de ces acquisitions749. Or, les tenants des autres conceptions relatives à la « vie physique » ne reprennent pas ces dénominations à leur compte. Ces différences au plan des désignations signifient, par surcroît, des points de vue différents quant à la nature des acquisitions. Ainsi les « compétences fonctionnelles » qu’explicite J. Le Boulch ne sont-elles pas « compétences » telles que D. Delignières et C. Garsault les entendent750.
Le problème afférent à la qualité des acquisitions à opérer
Il s’avère, par ailleurs, que le problème de la constitution des acquisitions à opérer se double de celui afférent à leur propriété. Ainsi G. Cogérino s’interroge-t-elle : « ‘Dans quelle mesure l’activité physique des adolescents peut-elle garantir celle des futurs adultes qu’ils seront dans vingt ou trente ans ?’ »751. Elle fait alors référence à M. Piéron pour annoncer que « ‘La relation n’est que plausible et non vérifiée’ ». Celui-ci indique en effet : « ‘On suppose habituellement, mais cette supposition est loin d’être confirmée d’une manière expérimentale ou épidémiologique, que les habitudes d’exercice ou que la condition physique pendant l’enfance et l’adolescence se transfèrent automatiquement à l’âge adulte. ’»752 J. Le Boulch annonce, pour sa part, que « ‘l’autonomie motrice exige que le transfert d’inconscient devienne conscient’ »753. Or, il observe : « ‘Le transfert est le monstre du Loch Ness de l’éducation physique qui surgit périodiquement dans les écrits des chercheurs mais que l’on n’arrive jamais à cerner’
. »754 D. Delignières et C. Garsault avouent, eux, leur incertitude quant aux orientations de la formation à dispenser en matière de « vie physique ». Ils notent : ‘« Cette démarche prospective est délicate, tant l’évolution future des pratiques est difficilement prévisible. ’»755 Il est par ailleurs question à leurs yeux d’une conception de l’EPS dont relève notamment un écrit de F. Vedel756. Or, celui-ci fait part, en l’article cité, de ses doutes : ‘« Mais, peut-on en déduire que les conduites élaborées en éducation physique sont transférables aux problèmes de la sécurité dans la vie de tous les jours ?’ »757 J. Eisenbeis et Y. Touchard ne s’interrogent pas explicitement en la matière. Plusieurs auteurs le font cependant ; on peut mentionner, par exemple, un article de R. Boulard, J. Keller et M. Welter sorti en 1990758, un écrit de J.-A. Lagarrigue publié en 1995759...
La question première de la qualité des acquisitions relatives à la « vie physique »
Un autre problème s’ajoute à celui de la nature des acquisitions relatives à la « vie physique » et à celui afférent à leur qualité. D. Delignières et C. Garsault affirment que « ‘la compétence est [...] éminemment réinvestissable ’»760. J. Le Boulch annonce quant à lui : « ‘Notre conception psychomotrice de l’apprentissage moteur [...] s’appuie sur le transfert d’apprentissage et [...] favorise le passage rapide de la pratique d’une activité à une autre ’»761. On observe ainsi qu’il n’est pas de terminologie véritablement arrêtée quant à la qualité des acquisitions visées. Divers types de causes sont susceptibles d’être à la source de cette constatation. On peut envisager qu’elle procède de conceptions différentes de la nature des acquisitions en matière de « vie physique ». Il est possible, alors, qu’elle réfracte des points de vue différents en ce qui concerne la qualité de ces acquisitions. Il se peut aussi que différents termes soient employés pour désigner une même qualité les caractérisant. Cette alternative apparaît à trancher en tout premier lieu. Il en va d’un préalable à l’étude du problème afférent à la qualité des acquisitions. Il s’agit en effet d’élucider leur propriété pour poser les termes de celui-ci avant que d’en envisager le traitement. Il convient en outre de s’enquérir de la nature des acquisitions relative à la « vie physique » à la lumière de la spécification de leur qualité. Cette détermination est donc à opérer de façon première, pour formuler à nouveau la question des acquisitions relatives à la « vie physique ». On est alors convié à préciser ce qu’il en est d’une acquisition valant au-delà de l’EPS ainsi qu’au regard de la question de la « vie physique ».
Des points de vue divers quant aux modalités d’acquisition
Ce faisant, on s’intéresse seulement à l’un des deux aspects de la problématique considérée. À la question de la détermination de ce qui est à acquérir s’ajoute en effet celle des modalités d’acquisition. On ne peut que constater, là encore, que les opinions diffèrent d’une conception relative à la « vie physique » en EPS à l’autre. D. Delignières et C. Garsault, par exemple, proposent que le choix d’une activité physique à pratiquer soit fonction de la compétence qui est à développer762. Ils prônent aussi la mise en place d’« ‘un traitement didactique particulier, orienté par la nature de la compétence à enseigner’ ». C’est alors que la programmation des activités physiques peut se départir du recours systématique à une « classification “exhaustive” ». Cette manière de concevoir le choix des activités physiques supports des enseignements n’est pas de nature à trouver grâce aux yeux de J. Le Boulch. Il considère en effet qu’il est des classes d’activités physiques dont la pratique est nécessaire au plan éducatif. C’est ainsi que selon lui les pratiques d’« activités opératives » et d’« activités d’expression et de communication » sont complémentaires763. Il s’agit ainsi, au regard des impératifs d’aide au développement, de veiller à tirer parti de ce potentiel synergique. C’est encore au nom de ceux-ci que J. Le Boulch affirme la nécessité de conjuguer les apports de l’EPS avec ceux d’autres disciplines scolaires764. D. Delignières et C. Garsault n’en font pas de même, qui envisagent la mise en oeuvre de leur proposition au sein d’un cadre disciplinaire strict.
Pour la prise en compte des relations qu’entretiennent les deux dimensions constitutives de la problématique de l’au-delà
On observe dès lors que la question des modalités d’acquisition est de nature à susciter le débat quant aux découpages disciplinaires. Il apparaît que la polémique évoquée est susceptible d’avoir trait aux activités physiques à pratiquer en EPS. Il s’avère aussi qu’elle peut concerner l’ensemble des disciplines scolaires conviées à faire oeuvre d’éducation. Il est alors question, sinon de l’identité de l’EPS, à tout le moins de son statut au sein du système éducatif. C’est-à-dire, de l’EPS en tant que discipline scolaire, de ses rapports éventuels avec les autres disciplines scolaires ou de son apport à l’entreprise éducative. Le titre d’un article publié en 1997 et signé de J. Le Boulch est, par exemple, évocateur en la matière. Il s’intitule en effet : « ‘Education Physique, Education motrice psychocinétique (place de l’éducation physique en éducation par le mouvement) ’»765. Ces constatations ont des conséquences quant à l’étude de la problématique de l’au-delà. On peut songer à inférer les modalités d’acquisition de la spécification des acquisitions à opérer et de leur propriété. Ce qui peut reposer sur l’illusion qu’il est une question première et une question, sinon secondaire, du moins seconde. Il est envisageable que la réflexion aux modalités d’acquisition joue au plan de la caractérisation des acquisitions qui leur sont relatives. Elle procède en effet pour partie de considérations relatives au statut de l’EPS à l’école. Si bien qu’il apparaît judicieux de s’enquérir des relations qu’entretiennent la question de l’objet d’enseignement et celle de la manière d’enseigner. Ce, au plan de la cohérence du système qu’elles constituent au regard du problème de la « vie physique ».
Arrêté du 18/06/1996, Programmes de la classe de sixième des collèges, BO n° 29 du 18/07/1996, p. 1964
Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques corporelles, 1998, p. 343
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 258
Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 11
Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 7
Piéron (M.), Qu’attendre des activités physiques en matière de santé ?, in : René (B.-X.), A quoi sert l’éducation physique et sportive ?, Dossiers EPS, n° 29, 1997, p. 91
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 258
Ibid., p. 113
Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 10
Les auteurs reviennent sur cette observation dans un écrit publié ultérieurement à celui-ci. Il s’agit de :
Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 157
Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 10
Les auteurs indiquent en bibliographie : « Vedel F. (1990), Escalade : traitement didactique de la sécurité, Revue EPS, 221, 73-76. »
Vedel (F.), Escalade, Traitement didactique de la sécurité, Revue EPS, n° 221, janvier-férvrier 1990, p. 76
Boulard (R.), Keller (J.), Welter (M.), L’éducation à la sécurité en/et par l’éducation physique et sportive, Course d’orientation au L.P.R. d’Aix-en-Provence, Revue EPS, n° 223, mai-juin 1990, p. 20
Lagarrigue (J.), A.P.P.N., La sécurité par l’EPS, Revue EPS, n° 256, novembre-décembre 1995, p. 38
Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 11
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 315
Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 13
Le Boulch (J.), Op. Cit., pp. 257-258, 314-315
Ibid., p. 245, 351
Le Boulch (J.), Education Physique, Education motrice psychocinétique (place de l’éducation physique en éducation par le mouvement), in : René (B.-X.), Op. Cit., pp. 62-69