1.1 La propriété des acquisitions relatives à la « vie physique »

1.1.1 Une volonté de contribuer à des acquisitions transférables

Pour des acquisitions dont la qualité serait d’être réinvestissables ?
Il s’avère ainsi que le questionnement relatif à la problématique de l’au-delà est à affiner. Il apparaît qu’il convient en premier lieu, pour ce faire, de spécifier la propriété requise aux acquisitions relatives à la « vie physique ». La terminologie qui a cours, dans les différentes conceptions relatives à la « vie physique » se révèle variée. On observe cependant que le thème du réinvestissement apparaît de façon récurrente dans les discours. C’est ainsi que J. Eisenbeis et Y. Touchard annoncent : ‘« L’objectif central de l’éducation à la sécurité est d’amener l’enfant à se doter d’un ensemble de conduites sécuritaires, réinvestissables dans la vie quotidienne’ . »766 Ils érigent en outre le réinvestissement en tant que principe d’enseignement. Parmi les quatre « temps forts » de la démarche d’enseignement qu’ils inventorient ils préconisent en effet : ‘« un réinvestissement assurant l’utilisation des acquis dans des situations nouvelles ’»767. D. Delignières et C. Garsault annoncent, eux : « ‘Tout d’abord, et parce que la compétence est conçue comme éminemment réinvestissable, il serait logique que son évaluation ne se déroule pas dans les situations (ni même les activités) où elle a été acquise.’ »768 G. Cogérino, quant à elle, a recours au thème du réinvestissement à deux niveaux de son propos. D’une part, lorsqu’elle analyse l’existant en matière de « G.S.V.P. »769 ou de ‘« pratiques d’entretien en milieu scolaire’ »770. D’autre part, et cela est plus significatif, lorsqu’elle donne explicitement son propre point de vue en la matière : « ‘[...] ces contenus doivent être porteurs d’un réinvestissement possible en dehors du cours d’EPS’ »771.

Des acquisitions réinvestissables, généralisables, ou / ou bien transférables, ... ?
Cette homogénéité au plan du vocabulaire peut cependant masquer une hétérogénéité au niveau de la signification. On observe, en tout état de cause, qu’aucun des auteurs cités ne définit le nom « réinvestissement » ou l’adjectif « réinvestissable ». On peut noter, en outre, que ces termes ne figurent pas dans l’index du « Lexique thématique en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives » de D. Delignières et P. Duret772. Or, D. Delignières et C. Garsault emploient le qualificatif « réinvestissable » pour signifier la propriété des « compétences » relatives à la « vie physique ». Ces incertitudes quant au signifié s’accompagnent, par surcroît, d’une utilisation du signifiant qui n’est pas systématique. On lit ainsi, dans les exposés d’unités d’apprentissage qu’ont compilés J. Eisenbeis et Y. Touchard, que les « ‘attitudes de sécurité » sont « généralisables à d’autres pratiques en éducation physique mais aussi à d’autres moments de la vie de l’enfant’ »773. Un texte, relatif aux stratégies pour élaborer un projet en matière d’éducation à la sécurité, renferme une autre indication. Il y est précisé : « ‘L’EPS a toujours été définie par les C.P.D. du département comme [...] étant une discipline [...] permettant l’acquisition de compétences transférables – dans la vie quotidienne ou dans d’autres domaines’ »774. Il est par ailleurs annoncé, en annexe de l’ouvrage de J. Eisenbeis et Y. Touchard : « ‘Éduquer à la sécurité, c’est aussi [...] aider l’enfant à construire la capacité de généralisation (savoir passer d’une situation particulière à un ensemble de situations semblables pour arriver à formuler des règles).’ »775 Des remarques du même ordre peuvent, en outre, être faites pour ce qui est des propos de D. Delignières et C. Garsault776 ou de G. Cogérino777.

Des acquisitions que J. Le Boulch présente comme transférables
Le thème du transfert apparaît par ailleurs relativement stabilisé dans le propos de J. Le Boulch. Il y a recours au plan de l’analyse critique de différentes conceptions de l’EPS ou de son enseignement. Il indique notamment, à propos de l’oeuvre de C. Pineau en matière d’élaboration de programmes d’EPS : « ‘L’autre obstacle qui surgit, semblable au monstre du Loch Ness, est l’éternel problème du transfert d’acquisition d’une activité à l’autre. [...] Mon expérience me permet d’affirmer que cette hypothétique recherche des fondamentaux passant d’une activité à l’autre est une illusion [...] J’ai moi-même, dès 1954, tenté cette démarche dans la recherche des exercices clés. J’en ai conclu que seule une acquisition fonctionnelle [...] était susceptible de se traduire par une amélioration dans un domaine différent. ’»778 J. Le Boulch affirme que les « ‘compétences fonctionnelles » sont le « support de la transversalité’ »779. Il signifie par là que leur développement est à la base de la possibilité de gérer sa « vie physique ». Ce qu’il indique précédemment concernant « ‘L’éducation psychomotrice au cycle des approfondissements ’» renseigne quant à cette affirmation. On peut lire en effet : « ‘Ainsi, les compétences fonctionnelles sollicitées lors des apprentissages techniques pourront se transférer d’une activité à l’autre, justifiant le statut de discipline transversale de l’éducation physique.’ »780 Ce que J. Le Boulch annonce lorsqu’il décrit « ‘La méthodologie de l’apprentissage moteur cognitif’ » est peut-être encore plus explicite. Il écrit en effet à cette occasion à propos du « ‘transfert d’apprentissage support de la transversalité’ »781.

Des acquisitions qu’on pourrait qualifier de transférables ?
Ces constatations sont de nature à laisser perplexe qui ambitionne de repérer la qualité des acquisitions relatives à la « vie physique ». Les propos de J. Eisenbeis et Y. Touchard, de D. Delignières et C. Garsault et de G. Cogérino peuvent donner à penser qu’ils les veulent réinvestissables. La signification de ce qualificatif est cependant passée sous silence par ces auteurs. Leurs écrits ont par ailleurs un trait commun qui conduit à relativiser la portée de son emploi. La terminologie relative à la qualité des acquisitions concernant la « vie physique » fluctue en chacun d’eux. Il peut s’agir d’acquisition générales, adaptables, transférables... Le thème du transfert se révèle quant à lui relativement stabilisé dans les propos de J. Le Boulch782. Il semble dès lors bien risqué de s’aventurer à trancher face à la diversité constatée. Le recours à des références autres que celles occasionnant cette constatation peut aider à le faire, à tout le moins en première analyse. Ainsi M. Develay (Tableau 19) indique-t-il : ‘« Les situations d’application consistent en activités de réinvestissement, au cours desquelles il s’agit de réutiliser les connaissances [...] acquises dans des situations proches de celles au cours desquelles il y a eu apprentissage. Le transfert oblige par contre à utiliser les connaissances apprises dans des situations dont le contexte se différencie assez nettement de la situation d’apprentissage’ »783. Cette distinction ne reprend certes pas l’ensemble des termes qu’emploient ceux qui réfléchissent aux acquisitions relatives à la « vie physique ». Elle incline néanmoins à considérer que ceux-ci souhaitent qu’elles soient transférables.

[Note: D’après : Develay (M.), De l’apprentissage à l’enseignement, Paris : ESF éditeurs, 1992, p. 149]
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Tableau 19 : Réinvestissement et transfert

En première analyse : des acquisitions souhaitées transférables
D. Delignières et C. Garsault visent à ce que l’élève construise « ‘une relation de plaisir avec les APS ’»784. Ils en attendent des répercussions « ‘au terme de leur scolarité et tout au long de leur vie’ »785. Ils annoncent, en outre : ‘« Dans le domaine des pratiques sportives, l’incertitude liée à l’évolution de champ des pratiques, mais également aux choix que réalisera un individu particulier, doit amener à définir un ensemble de compétences larges ’»786. G. Cogérino, pour sa part, a le projet d’aider l’élève à intégrer l’exercice physique à ses loisirs dans une perspective de santé787. Il est alors question de la relation entre l’activité physique de l’élève et celle de l’adulte qu’il sera un jour788. La proposition de G. Gogérino présente, en outre, « ‘une dimension “éducative” face à la multiplicité du “marché”’ »789. Or, elle souligne le caractère multiforme et changeant de la pratique physique actuelle de l’adulte en France. J. Eisenbeis et Y. Touchard ont l’ambition de doter l’élève de conduites de sécurité dont ils pourra faire montre dans des situations diverses790. J. Le Boulch vise à permettre à l’élève ‘« de gérer sa vie physique tant dans le quotidien, qu’au travail, qu’au loisir ’»791. On peut alors considérer que les acquisitions relatives à la « vie physique » sont voulues transférables. Elles apparaissent en effet appelées à être utilisées dans des contextes différents de ceux les occasionnant.

Notes
766.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), L’éducation physique et sportive à l’école, L’éducation à la sécurité, Paris : Editions Revue EPS, 1995, p. 3

767.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., pp. 72-73

768.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 13

769.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 12

770.

Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, p. 21, 23

771.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 26

772.

Delignières (D.), Duret (P.), Lexique thématique en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, Paris : Vigot, 1995, p. 198

773.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., pp. 114-115

774.

Ibid., p. 139

775.

Ibid., p. 229

776.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 11

Les auteurs indiquent : « Dans le domaine des pratiques sportives, l’incertitude liée à l’évolution de champ des pratiques, mais également aux choix que réalisera un individu particulier, doit amener à définir un ensemble de compétences larges, répondant à des problématiques transversales et justifiées par le coût social correspondant. »

777.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 12

L’auteur analyse la « nature des savoirs » relatifs à une conception de la « G.S.V.P. » en ces termes : « Savoirs méthodologiques permettant de faire face aux situations ultérieures de la vie physique ; présupposent des capacités transférables et généralisables à plusieurs APS. » Elle indique, à propos d’une autre conception : « Savoirs méthodologiques utiles pour eux-mêmes et pragmatiques, spécifiques mais réinvestissables et généralisables. »

778.

Le Boulch (J.), Op. Cit., pp. 62-69

779.

Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques corporelles, 1998, p. 258

780.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 221

781.

Ibid., p. 148

782.

Ibid., p. 39, 76, 92, 106, 113, 148, 221, 247, 288, 315

783.

Develay (M.), De l’apprentissage à l’enseignement, Paris : ESF éditeurs, collection : Pédagogies, 1992, p. 149

784.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 158

785.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 157

786.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 11

787.

Cogérino (G.), Op. Cit., pp. 3-4

788.

Ibid., p. 7

789.

Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 27, 1998, p. 26

790.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., pp. 1-3

791.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 343