Transférer ou porter au-delà
Si les acquisitions en matière de « vie physique » sont voulues transférables, c’est qu’on pense qu’elles auront à être transférées. On envisage ainsi qu’elles pourront occasionner un transfert ou participer de celui-ci, ce qui invite à préciser ce qu’on peut entendre par transfert. C. Bayer s’y est intéressé : ‘« Il semble qu’à la notion de transfert employée dans le langage courant préside cette idée de translation, de transport, idée retrouvée dans la définition fournie par Lalande, à savoir : “opération qui transporte quelque chose (objet, installation, propriété, état) d’un lieu à un autre ou d’un sujet à un autre”’ »792. L’auteur précise : « ‘Explorant cette notion, Lalande signale que le transfert représente un terme créé par James Sully (cf. The Human Mind, II, 78) et qu’il constitue un processus grâce auquel il y a déplacement d’un état affectif d’un objet à un autre objet.’ »793 Puis, il souligne : « ‘Mais la psychanalyse en s’emparant de ce concept (qui apparaît en 1895) en a éprouvé toute la richesse, tout en conservant cette idée-force qui surgit dans la définition même du terme, celle de déplacement’ ». On peut, alors, ne pas être surpris du propos du psychanalyste J. Lévine : « ‘J’ai envie de prendre la résolution pour moi-même de ne plus parler de transfert, mais de parler de transporter, c’est-à-dire de revenir à la racine. “Fero” c’est porter ’»794. On peut ajouter, à l’instar de M. Develay, qu’‘« Au-delà a comme correspondant le préfixe latin trans ’»795. On a alors l’idée que transférer c’est porter au-delà.
La transférabilité comme propriété des apprentissages ayant portée éducative
On peut ainsi concevoir que les acquisitions relatives à la « vie physique » sont voulues transférables parce que jugées à porter au-delà de l’EPS, de l’école. Le transfert a alors rapport à l’apprentissage, comme le rappelle C. Bayer. Ainsi, « ‘avec l’avènement de la psychologie expérimentale et les différentes recherches sur l’apprentissage, Fraisse propose de dire : “qu’il y a transfert lorsqu’un apprentissage antérieur facilite la tâche d’un apprentissage postérieur” [...], c’est-à-dire d’envisager les progrès et l’amélioration obtenus dans une activité donnée à la suite d’une première activité ’»796. On peut alors emprunter à P. Meirieu pour observer que la question du transfert « ‘est, à bien des égards, constitutive de la démarche éducative elle-même : comment un apprentissage effectué dans une situation de formation donnée peut-il être utilisé ailleurs et à l’initiative même du sujet qui a appris ? ’»797 Il semble dès lors pertinent de juger que les acquisitions relatives à la « vie physique » sont souhaitées transférables. Elles doivent en effet valoir au-delà de l’EPS, dans une perspective d’éducation. Il s’avère toutefois que la réflexion à leur propriété est à affiner. Doit-on en effet parler du transfert ou des transferts ? La confrontation des titres du document préparatoire à un colloque qui s’est tenu à Lyon en 1994 et des actes de ce même colloque invite à s’interroger. L’un comporte la formulation « les transferts »798, l’autre, la formulation « Le transfert »799.
La question du caractère des acquisitions relatives à la « vie physique » au regard de la diversité des qualificatifs attribuables au nom « transfert »
Ce qu’indiquent plusieurs auteurs écrivant à propos d’EPS ou d’apprentissage moteur appelle également à se questionner de la sorte. P. Parlebas annonce, dans un article édité en 1968 : ‘« Il y a transfert quand l’exécution d’une activité modifie de façon positive ou négative la réalisation suivante d’une activité nouvelle ou la reproduction d’une activité ancienne. Si la résultante de cette influence [...] est positive, il y a facilitation, si elle est négative, on parle d’inhibition ou d’interférence. »800
’ C. Bayer opère les mêmes distinctions que P. Parlebas, se réfèrant pour ce faire à un écrit de B. Pinon publié en 1973.801 D. Delignières et P. Duret les reprennent à leur compte dans un ouvrage sorti en 1995. Ils ajoutent : ‘« Enfin on peut distinguer le transfert horizontal, si l’on envisage l’influence d’une habileté sur une habileté de difficulté similaire, mais de nature différente, et le transfert vertical quand il s’agit, la nature de la tâche demeurant identique, de réinvestir une acquisition à un niveau de difficulté supérieur. »802
’ P. Parlebas et E. Dugas ajoutent à ceux-ci, dans un article qui a paru en 1998, le transfert « intra-spécifique » et le transfert « inter-spécifique »803. Dans le premier cas, il est question du transfert ‘lors « de l’apprentissage d’une même activité répétée »’, dans le second, du transfert ‘« lorsqu’il s’exerce sur des activités différentes ’». Pro-actif, rétro-actif, ..., intra-spécifique, inter-spécifique... : point n’est besoin d’être exhaustif pour faire la constatation de la diversité des qualificatifs susceptibles d’accompagner le mot « transfert ». Cette observation invite à la réflexion qui s’interroge quant à la qualité des acquisitions relatives à la « vie physique ». Il en va en effet de la spécification du caractère de ces acquisitions.
La pertinence de la réflexion au regard du transfert en question
Il serait éclairant de pouvoir affirmer que les acquisitions relatives à la « vie physique » sont, par exemple, parmi celles pouvant occasionner des transferts horizontaux... Il le serait encore plus d’être à même d’assurer que ceux-ci sont tout à la fois horizontaux, pro-actifs, et inter-spécifiques... On verrait s’esquisser une démarche rassurante puisqu’on pourrait se déterminer « à partir des effets constatés », pour reprendre le propos de C. Bayer804. L’inventaire effectué, cependant, conduit à s’inquiéter du bien-fondé de la différenciation opérée entre réinvestissement et transfert quand celle-là même est à la source de la réflexion relative à la qualité des acquisitions en matière de « vie physique ». M. Develay distingue le réinvestissement du transfert. Cette distinction permet quant à elle d’envisager que les acquisitions en matière de « vie physique » sont voulues transférables. Or, on constate que D. Delignières et P. Duret emploient le verbe « réinvestir » lorsqu’ils définissent le transfert vertical. On observe, en outre, que P. Parlebas et E. Dugas distinguent transfert intra-spécifique et transfert inter-spécifique. Or, cette distinction semble proche de celle que fait M. Develay entre réinvestissement et transfert. On est alors, en premier lieu, convié à s’interroger à nouveau quant à ce qu’on peut entendre par transfert. Qu’en est-il de la distinction réinvestissement / transfert ? S’agit-il de réfléchir au transfert ou aux transferts ?
Bayer (C.), L’enseignement des jeux sportifs collectifs, Paris : Vigot, collection : Sport + Enseignement, 1995, 4ème édition, p. 18
Bayer (C.), Op. Cit., p. 19
Develay (M.), Meirieu (P.), Mendelsohn (P.), Vermersch (P.), Lévine (J.), Le transfert : ce qui échappe aux modèles, in : Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 22
Develay (M.), Préface, in : Rey (B.), Les compétences transversales en question, Paris : ESF éditeurs, collection : Pédagogies, 1995, p. 11
Bayer (C.), Op. Cit., p. 18
L’auteur fait référence à :
Fraisse (P.), Manuel pratique de psychologie expérimentale, PUF, 1963
Meirieu (P.), Relecture d’une démarche et genèse d’un colloque, in : Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 8
Université Lumière – Lyon 2, Apprendre, Les transferts de connaissances en formation initiale et continue, Colloque international sur les transferts de connaissances en formation initiale et continue, documents préparatoires au colloque, Lyon : Université Lyon 2, Apprendre, 1994, 447 p.
Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., 117 p.
Parlebas (P.), L’apprentissage : une continuelle réorganisation des structures motrices, Revue EPS, n° 92, mai 1968, p. 9
Bayer (C.), Op. Cit., p. 18
L’auteur fait référence à :
Pinon (B.), Le transfert dans les situations d’apprentissage moteur, Revue Annales de l’ENSEPS, n° 3, juin 1973, p. 29
Delignières (D.), Duret (P.), Op. Cit., p. 107
Parlebas (P.), Dugas (E.), Transfert d’apprentissage et domaines d’action motrice, Revue EPS, n° 270, mars-avril 1998, p. 41
Bayer (C.), Op. Cit., p. 18