1.2 Le transfert en tant que noyau dur du problème de la vie physique

1.2.1 Interdisciplinarité et acquisitions relatives à la vie physique

Une terminologie variée, voire fluctuante, quant aux rapports que l’EPS peut entretenir avec les autres disciplines au plan de la « vie physique »
Le problème de la « vie physique » a trait à la question du « transfert processus » qui vaut au regard de celle de l’apprentissage dans une perspective d’éducation. Il occasionne, en outre, un questionnement quant au statut de l’EPS dans l’école. Rien de surprenant alors à ce que la réflexion à la « vie physique » concerne les rapports que peut entretenir l’EPS avec les autres disciplines scolaires. La terminologie employée pour discourir quant à la contribution de l’EPS aux synergies éducatives se révèle là encore variée et fluctuante. G. Cogérino s’interroge notamment en ces termes : ‘« Former à la gestion de sa vie physique : un projet interdisciplinaire ? Pour construire notre problématique, nous avons tenté d’intégrer les apports de l’éducation à la santé. [...] Au moins, pour la G.S.V.P., les intervenants sont-ils désignés : les enseignants d’EPS. Pour autant, ce projet peut-il être strictement mono-disciplinaire ? ’»818 J. Eisenbeis et Y. Touchard annoncent quant à eux : « ‘L’objectif primordial est de permettre à l’enfant d’accéder à la notion de sécurité [...] Cette notion [...] ne se constitue pas à travers une discipline spécifique : son approche est pluri, inter et trans-disciplinaire.’ »819 Ils indiquent aussi : « ‘Il ne peut y avoir à l’école un temps ou un espace particulier pour l’éducation à la sécurité ; un contexte pluridisciplinaire, dans lequel l’éducation physique joue un rôle primordial, est nécessaire. »’ 820

Pluridisciplinarité, interdisciplinarité et transdisciplinarité, selon M. Develay
Ces constatations invitent à asseoir les repères autorisant à expliciter la question envisagée. M. Develay s’est intéressé à l’interdisciplinarité au regard de la pluridisciplinarité et de la transdisciplinarité. Selon lui, « ‘l’interdisciplinarité est fréquemment abordée, par les enseignants de disciplines différentes, en termes d’activités à conduire en commun davantage qu’en termes de concepts ou de méthodes communes à différentes disciplines. Ainsi, pour organiser un PAE (projet d’activités éducatives) au collège, des professeurs réfléchiront-ils d’abord en termes d’activités qui puissent les rassembler. Ensuite seulement ils tenteront d’harmoniser leurs apports disciplinaires respectifs, et raisonneront en termes de notions ou de connaissances procédurales. Cette pratique de l’interdisciplinarité ne conduit pas alors à une réelle intrication des disciplines, mais plutôt à leur juxtaposition. Et il serait ici plus juste de parler de pluridisciplinarité que d’interdisciplinarité. On juxtapose davantage qu’on intègre. »821 L’auteur ajoute : « L’interdisciplinarité peut mener à la transdisciplinarité, à condition de clarifier ce qui peut être commun, au niveau des concepts et des connaissances procédurales de différentes disciplines. ’» Alors la pluridisciplinarité n’est-elle pas véritablement l’interdisciplinarité qui, seule, peut conduire à la transdisciplinarité. On peut comprendre ainsi la hiérarchie qu’opère M. Develay entre « maraboutisme », pluridisciplinarité et transdisciplinarité822 (Tableau 22). Ces distinctions permettent-elles de caractériser les rapports entre l’EPS et les autres disciplines scolaires pour ce qui est des conceptions relatives à la « vie physique » ?

[Note: D’après: Develay (M.), De l’apprentissage à l’enseignement, Paris: ESF éditeur, 1992, pp. 51-52]
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Tableau n°22 : Interdisciplinarité, maraboutisme, pluridisciplinarité et transdisciplinarité

J. Eisenbeis et Y. Touchard préconisent des enseignements transdisciplinaires
Si on se fie aux points de repère ainsi fixés, on peut considérer que J. Eisenbeis et Y. Touchard préconisent une approche transdisciplinaire. D’après ces auteurs, ‘« La notion de sécurité est au centre d’une éducation globale (à la convergence des différents champs disciplinaires).’ »823 Selon eux, l’EPS peut contribuer à l’acquisitions de « compétences communes à un ensemble de champs disciplinaires »824. Ils précisent qu’elles « ‘relèvent d’opérations intellectuelles qui, dans un contexte donné de risque ou d’incertitude, permettent d’effectuer quasi instantanément l’identification de la situation, le recueil d’informations, leur traitement et leur interprétation, la prise de décision.’ » Il est ainsi question de compétences de nature à être enseignées au travers de différentes disciplines scolaires. Ainsi les auteurs considèrent-ils que l’EPS « ‘n’a pas l’apanage de l’acquisition de règles – d’ordre méthodologique et comportemental – au service de la sécurité’ »825. J. Eisenbeis et Y. Touchard ambitionnent aussi l’enseignement de compétences « ‘spécifiques du domaine de l’EPS’ »826. Selon eux, « ‘variété et complémentarité des activités sont nécessaires à une programmation’ »827. Ils donnent en outre un outil pour choisir ces activités, c’est-à-dire, pour contrôler cette variété et cette complémentarité. Il est ainsi implicitement considéré qu’il existe des classes d’activités ou de situations ; cela offre la possibilité de mettre en place une sorte de transdisciplinarité au plan des activités pratiquées. Celle-ci n’est cependant pas posée explicitement en tant que principe d’enseignement.

La difficulté à caractériser les rapports entre l’EPS et les autres disciplines dans le propos de G. Cogérino
G. Cogérino, elle, réfléchit à la pertinence d’un enseignement « strictement mono-disciplinaire » concernant la « G.S.V.P. »828. Elle évoque à cette occasion l’éventualité d’un enseignement interdisciplinaire de ‘« compétences psycho-sociales (savoir communiquer, être habile dans les relations, savoir gérer son stress et ses émotions, avoir conscience de soi et de l’empathie pour les autres) ’»829. Illustrant son propos, elle annonce : « ‘Il s’agit d’un travail pluridisciplinaire (EPS, français, sciences de la vie et de la terre, arts, philosophie)’ »830. Elle ajoute : « ‘Ce travail est centré sur la production de contenus d’enseignement interdisciplinaires finalisés par la prévention du SIDA. ’». Les qualificatifs « pluridisciplinaire » et « interdisciplinaire » ainsi que le nom « interdisciplinarité » sont employés dans le propos, sans qu’il soit possible de repérer de signification propre à chacun831. G. Cogérino, par ailleurs, donne un autre exemple de tentative d’enseignement orienté vers la finalité santé. Elle se reporte à R. Mérand et R. Dhelemmes, auteurs d’un ouvrage intitulé : « ‘Education à la santé, Endurance aérobie, Contribution de l’EPS’ »832. Elle en retient deux informations signifiant le souci d’un enseignement ne se cantonnant pas à l’EPS833. Il apparaît à nouveau difficile de déterminer s’il est question de pluridisciplinarité, d’interdisciplinarité ou de transdisciplinarité telles que M. Develay les entend.

L’importance relative de la transversalité dans les conceptions concernant la « vie physique »
Ces constatations peuvent étonner, notamment si on considère les indications que fournissent R. Mérand et R. Dhellemmes. Ils envisagent de mettre à contribution l’EPS, la biologie et les mathématiques, d’impulser un travail relatif à la méthode expérimentale834. Ils souhaitent que l’élève développe « ‘des compétences et habiletés pour courir » et puisse aussi « agir sur un objet scientifiquement connaissable’ ». G. Cogérino observe, analysant des résultats d’enquêtes qu’elles a conduites : ‘« L’enquête quantitative [...] n’a fait apparaître aucune mention de ces actions interdisciplinaires [...] ou bien elles n’existent pas (ce qui est peu probable) [...] ou bien les enseignants d’EPS ne les perçoivent pas en relation avec la GSVP. ’»835 Ce, avant que de conclure : « ‘On peut donc considérer que les thèmes transversaux mentionnés dans les instructions officielles du collège [...] sont inopérants’ . »836 Le paragraphe en lequel s’exprime G. Cogérino s’intitule : « ‘Contenus spécifiques, transversalité et interdisciplinarité’ ». Il s’avère qu’elle privilégie le thème de la « transversalité » pour discourir quant au développement des « ‘compétences psycho-sociales déjà évoquées’ ». Aussi peut-on envisager que la question de la transversalité prime à ses yeux. De plus, D. Delignières et C. Garsault, comme J. Le Boulch, ont systématisé l’emploi d’une terminologie concernant la transversalité. Ces constatations invitent à s’intéresser à la question de la transversalité au plan des conceptions relatives à la « vie physique ».

Notes
818.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 93

819.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 70

820.

Ibid., p. 75

821.

Develay (M.), Op. Cit., p. 52

822.

Ibid., pp. 51-52

823.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 75

824.

Ibid., p. 3

825.

Ibid., p. 75

826.

Ibid., p. 3

827.

Ibid., p. 71

828.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 93

829.

Cogérino (G.), Apprendre à gérer sa vie physique, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1999, p. 215

830.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 68

831.

Cogérino (G.), Op. Cit., pp. 68-70

832.

Mérand (R.), Dhellemmes (R.), Education à la santé, Endurance aérobie, Contribution de l’EPS, Paris : INRP, 1988, 82 p.

833.

Cogérino (G.), Op. Cit., pp. 67-68

L’auteur cite R. Mérand et R. Dhellemmes : « “Elaborer une didactique de l’entraînement à l’endurance aérobie, comportant la pratique régulière de l’exercice physique, c’est considérer la VIE SCOLAIRE comme instrument de l’action éducative.” » L’auteur indique aussi : « Parmi les innovations que proposent les auteurs pour renouveler les pratiques enseignantes désuètes et inefficaces [...] : [...] – Prendre appui sur les thèmes que mentionnent les instructions et programmes du collège lors d’actions interdisciplinaires. »

834.

Mérand (R.), Dhellemmes (R.), Op. Cit., pp. 51-54

835.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 226

836.

Ibid., p. 227

L’auteur précise, en note de bas de page : « Instructions de 1985 en vigueur au moment de l’enquête ».