1.2.3 La question première du transfert

La question du transfert, à la base de celle de la transversalité ?
Il existe ainsi différentes manières d’envisager la question de la transversalité. Il apparaît, par ailleurs, que celles-ci ont des implications quant à la façon de concevoir les relations entre l’EPS et d’autres disciplines scolaires. La pluridisciplinarité, l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité apparaissent dès lors comme éventualités au service de la transversalité. Celles-ci valent alors au plan de la question des moyens susceptibles de donner corps à celle-là. Suivant la conception relative à la « vie physique » considérée elles peuvent ou non acquérir effectivement ce statut de moyen. Il n’en est rien si on juge que des acquisitions disciplinaires peuvent être par nature transversales. On peut considérer, inversement, qu’il convient de mettre à contribution plusieurs disciplines scolaires pour fonder la transversalité des acquisitions visées. Il semble alors que les différents points de vue quant à la transversalité réfractent autant de manières d’envisager la question du « transfert processus ». Si on estime que ce qui est acquis dans une situation donnée a valeur transversale, ce peut être qu’on pense avoir affaire à une acquisition transférable. Si on affirme que seul un enseignement transdisciplinaire peut donner lieu à des acquisitions transversales, il se peut qu’on considère qu’il en va de leur transférabilité. La question du transfert serait ainsi à la base de celle de la transversalité. Qu’en est-il au regard des conceptions relatives à la « vie physique » en présence ?

Transversalité du point de vue de l’objet d’enseignement et question du « transfert processus »
Il s’avère qu’on peut envisager la question de la transversalité du point de vue de l’objet d’enseignement. On s’intéresse alors aux acquisitions de nature à valoir au travers de divers contextes. C’est ainsi que D. Delignières et C. Garsault repèrent que les problématiques de la sécurité, de la santé... sont pertinentes pour ce qui est de la pratique sportive855. C’est-à-dire qu’ils en observent la pertinence dans le cas de différentes activités sportives. Il en va alors de la tonalité des compétences dont ils ambitionnent de permettre l’acquisition aux élèves. Aussi envisagent-ils, par exemple, l’enseignement d’une compétence qu’ils libellent en ces termes : « être capable de s’investir dans des activités à risque en respectant sa propre sécurité et celle d’autrui »856. Cette analyse procède d’une prise en compte de la pratique sportive comme « domaine social d’activité »857. La compétence est de fait, selon eux : ‘« un ensemble structuré et cohérent de ressources, qui permet d’être efficace dans un domaine social d’activité ’»858. Elle est ainsi : ‘« l’organisation cohérente de [...] différents types de ressources et ne peut se résoudre à l’un de ses éléments’ ». Ce sont dès lors les « ‘thèmes qui transcendent les APS pratiquées’ » qui donnent sa cohérence à cette organisation. C’est en revanche la teneur même des acquisitions visées qui autorise leur utilisation transversale. D. Delignières et C. Garsault estiment en effet que la compétence est « ‘éminemment réinvestissable’ »859. Ce qui revient à considérer qu’elle est de nature à participer au « transfert processus » comme à en procéder. Celui-ci autorisant à envisager la transversalité du point de vue du sujet en sus de l’objet.

Transversalité du point de vue du sujet enseigné et question du « transfert processus »
La question de la transversalité apparaît, de fait, susceptible d’être envisagée au regard du sujet. On s’intéresse alors à l’élève, qui traverse divers contextes, dans une discipline scolaire particulière, à l’école en général... J. Le Boulch, rendant compte du début de sa réflexion en matière d’apprentissage moteur indique : ‘« Mon hypothèse était de rechercher ce qui pouvait se transférer dans le passage de l’apprentissage d’une activité à l’autre. [...] Cette tentative se traduisit par un échec complet [...] le seul facteur commun à l’ensemble des ”progressions” est l’élève qui leur sert de trait d’union. ’»860 Il ajoute : « ‘J’en ai conclu que seule une acquisition fonctionnelle de l’apprenant réalisée au cours d’un apprentissage était susceptible de se traduire par une amélioration dans un domaine différent. ’»861 Ces analyses conduisent J. Le Boulch à s’enquérir des « compétences fonctionnelles » à partir de l’« analyse fonctionnelle », versant théorique de la psychocinétique. Celles-ci sont alors jugées, comme le transfert, « ‘support de la transversalité’ »862. Elles participent ainsi d’un « transfert processus ». Sa mise en place doit tenir compte de la dynamique du développement du sujet. Sa mise en oeuvre autorise quant à elle une transversalité du point de vue de l’objet, en plus qu’au regard du sujet.

La question du « transfert processus », fondamentale au regard de celle de la transversalité
Ces analyses donnent ainsi à penser que la question de la transversalité réfracte celle du « transfert processus ». Suivant la manière de le concevoir, il en va en effet d’une transversalité dont la mise en place a rapport premier à l’objet d’enseignement ou au sujet enseigné. G. Cogérino envisage, elle, que l’enseignement de « ‘compétences psycho-sociales’ » a rapport à la transvsersalité. Rendant compte d’une expérience relative à leur enseignement, elle indique : « ‘L’EPS permet d’aborder des situations de prise de risques physiques [...] Les matériaux relationnels et émotionnels sont analysés, symbolisés dans les autres disciplines. L’extériorisation et la réélaboration d’événements vécus et/ou ressentis permet aux élèves de constituer un outillage d’analyse et de communication réinvestissable dans la vie quotidienne’ »863. La manière d’envisager le « transfert processus » fonde ainsi la transversalité. Il est en effet présenté comme requérant une mise en relation entre un vécu, une analyse, une symbolisation. J. Eisenbeis et Y. Touchard envisagent, quant à eux, la sécurité en tant que « ‘principe organisateur des pratiques physiques’ »864. Ils affirment en outre que l’éducation à la sécurité requiert une approche « pluri, inter et trans-disciplinaire »865. Il en va, pour eux, de l’élaboration de « ‘conduites sécuritaires, réinvestissables dans la vie quotidienne ’»866. Ce qui suppose que le « transfert processus » est le fruit d’activités variées et complémentaires.

Notes
855.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 10

856.

Ibid., p. 11

857.

Ibid., p. 10

858.

Ibid., p. 11

859.

Ibid., p. 13

860.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 39

861.

Ibid., p. 77

862.

Ibid., p. 148, 258

863.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 70

864.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 65

865.

Ibid., p. 70

866.

Ibid., p. 3