2.1.2 Transfert et apprentissage moteur : recherches dans la période 1940-1970

Un débat de nature à susciter une moindre prise en compte par ceux qui réfléchissent à l’EPS en France
Si on se fie à J.A. Adams, les premiers travaux de recherche portant sur le transfert dans le cas de l’apprentissage moteur ont vu le jour dans la période « 1880-1940 ». Ils se sont soldés par l’élaboration d’une théorie dominante, dite des éléments identiques, dont E.L. Thorndike et R.S. Woodworth sont les initiateurs. Cette théorie a cependant eu ses détracteurs, à l’instar de P.T. Orata. Le débat paraît avoir eu la vie longue. En tout état de cause, il est toujours d’actualité dans les années soixante, si on en juge par ce qu’écrit P. Parlebas dans un article sorti en 1968. On peut ajouter que C. Bayer argumente son point de vue en matière de transfert à partir de ce débat895. Un autre aspect de la question du transfert dans la période « 1880-1940 » a rapport au dilemme entre transfert partiel et transfert total. On en retrouve trace dans l’article en lequel P. Parlebas rapporte le débat suscité par la théorie des éléments identiques. Il prend la forme d’une opposition entre les méthodes analytique et globale. Ainsi la recherche relative au transfert en matière d’apprentissage moteur est-elle de nature à engendrer la réflexion pour ce qui est de l’EPS. On peut observer, cependant, que les travaux de recherche considérés ont principalement eu cours ailleurs qu’en France. Ils n’ont, en outre, généralement pas rapport direct à l’EPS ou aux activités susceptibles d’y être pratiquées. Cela peut expliquer qu’il en va d’une moindre prise en compte par ceux qui réfléchissent à l’EPS en France. Qu’en est-il des travaux relatifs au transfert en apprentissage moteur dans la période suivante ?

La question du transfert partiel-total : du dilemme à la combinaison
Selon J.A. Adams, les recherches portant sur « ‘le transfert d’entraînement partiel-total » se sont poursuivies en celle-ci, qu’il nomme « période moyenne »896.’ Il précise : « ‘Ce sujet a toujours eu un thème d’application et le thème est devenu plus fort dans les années 50 et 60.’ » Il le présente comme étant en relation avec la réflexion à l’enseignement : « ‘Le problème est que l’efficacité de l’apprentissage est un matériau relativement compliqué, et on pourrait supposer que son intérêt surgit parce que l’éducation, l’industrie et l’armée enseignent régulièrement des tâches difficiles à leur personnel. ’» J.A. Adams signifie en outre la pertinence de ce champ de recherche : « ‘La nécessité d’un enseignement fractionné des mathématiques est évidente en soi, et l’entraînement sur la totalité est une absurdité, mais il y a des tâches pour lesquelles l’entraînement fragmenté n’est ni nécessaire, ni évident, et pour lesquelles l’entraînement fractionné ou total sont des options.’ » L’un des domaines dans lequel la question se pose avec acuité est l’aviation : « ‘Quel serait l’intérêt d’un entraînement fragmenté de certaines habiletés de pilotage lorsque de toute évidence les pilotes peuvent apprendre par la méthode de la tâche complète ? ’» Il est ainsi des raisons pratiques et économiques quant aux recherches impulsées en matière de transfert partiel-total. Une revue de question permet en définitive à J.A. Adams d’indiquer : « ‘Un entraînement partiel peut être moins efficace qu’un entraînement global, mais la combinaison des deux peut être plus efficace au point de vue du coût que l’entraînement global seul. »897

Un foisonnement de recherches : adaptative training, interférence rétroactive, médiation verbale
La « période moyenne » a vu un foisonnement de recherches relatives au transfert en matière d’apprentissage moteur se faire jour. Certains travaux ont rapport à l’« Adaptative training »898. J.A. Adams rapporte que ceux-ci n’ont pas conduit à la validation de l’idée, pourtant intuitivement séduisante, pour ce qui est des habiletés motrices899. D’autres investigations sont apparues plus prometteuses. C’est le cas de celles portant sur « ‘L’interférence rétroactive’ »900. J.A. Adams signale qu’elles ont été guidées surtout par des « circonstances pratiques ». C’est ainsi qu’on s’inquiète, par exemple, des effets du changement d’avion, donc de commandes, sur les performances du pilote... J.A. Adams indique à propos de ces travaux : « plus grande » est « ‘la quantité d’apprentissage interpolé », « plus grande » est « l’interférence avec le souvenir de la première tâche’ ». Un autre champ de recherche concerne « ‘transfert et médiation verbale’ »901. J.A. Adams rapporte ce qu’un chercheur, E.J. Gibson, a repéré, au niveau de l’apprentissage verbal : « ‘il y a en premier lieu une vaste généralisation parmi les stimuli, mais au fur et à mesure que l’apprentissage progresse, la pente de généralisation des stimuli diminue et les stimuli sont plus faciles à discriminer’ »902. Il apparaît que la théorie d’E.J. Gibson a eu des répercussions au plan des recherches relatives à l’apprentissage moteur. J.A. Adams précise que « ‘les médiateurs verbaux étaient vus comme des agents implicites de la régulation du mouvement’ »903. Il ajoute : ‘« Dans des tâches motrices visuelles discrètes [...] des étiquettes verbales furent d’abord associées aux stimuli de la tâche. La question était de savoir si le préentraînement verbal se transférait aux réponses motrices dans la version motrice-visuelle de la tâche qui suivrait. La réponse était généralement oui. »’

Des recherches nombreuses et diverses, mais de nature à ne pas être prises en compte pour ce qui est de l’EPS en France
On repère ainsi, dans la « période moyenne » que décrit J.A. Adams, nombre de travaux concernant le transfert et les habiletés motrices. Quatre axes de recherche ont été pointés par celui-ci, qui y ont trait. La réflexion au dilemme entre transfert partiel et transfert global s’est poursuivie, appelant des comparaisons entre entraînement fragmenté et total. Elle est alors de nature à alimenter celle relative à l’EPS, qui oppose « ‘“méthode globale” » et « “méthode analytique”’ », pour reprendre les formulations qu’a utilisées P. Parlebas, dans son article de la Revue EPS de mai 1968904. Elle conduit même à envisager leur combinaison. D’autres types de recherche ont, par ailleurs, été impulsés. Certains travaux se sont avérés peu intéressants dans le cas de l’apprentissage moteur, d’autres, en revanche, sont apparus prometteurs. L’ensemble de ces travaux atteste d’un intérêt certain pour la question du transfert au plan de l’apprentissage des habiletés motrices. Il conduit, en outre, à un corpus relativement conséquent de données. On retrouve cependant les deux limites observées dans la période précédente quant à leur impact au plan de l’EPS en France. L’une réside dans la diffusion des travaux de recherche : ceux-ci ont bien souvent cours ailleurs qu’en France. L’autre est relative au fait qu’ils n’ont que peu de rapports avec l’EPS. Ainsi les habiletés motrices sur lesquelles ils portent généralement ne sont-elles pas directement en lien avec les activités qui ont cours en EPS. Il se peut, par ailleurs, que la diversification et la spécialisation de la recherche ait accru la distance séparant ses préoccupations de celles de l’EPS.

Notes
895.

Bayer (C.), Op. Cit., pp. 21-25

896.

Adams (J.A.), Op. Cit., p. 21

897.

Ibid., p. 22

L’auteur assoit son propos en faisant référence à :

Briggs (G.E.), Naylor (J.C.), The relative efficiency of several training methods as a function of transfer task complexity, Journal of Experimental Psychology, n° 64, 1962, pp. 505-512

Adams (J.A.), Hufford (L.E.), Contributions of a part-task trainer to the learning and relearning of time-shared flight maneuver, Human factors, 4, 1962, pp. 159-170

Briggs (G.E.), Brodgen (W.J.), The effect of component practice on performance of a a lever positionning skill, Journal of Experimental Psychology, n° 48, 1954, pp. 375-380

Briggs (G.E.), Naylor (J.C.), Fuchs (A.H.), Whole versus part training as a function of task dimensions, Port Washington, NY : U.S. Naval Device Center, Technical Report, NAVTRADEVCEN 950-2, 18 February 1962

Briggs (G.E.), Waters (L.K.), Training and transfert as a function of component interaction, Journal of Experimental Psychology, n° 56, 1958, pp. 492-500

McGuigan (F.J.), McCaslin (E.F.), Whole and part methods in learning a perceptual motor-skill, American Journal of Psychology, n° 68, 1955, pp. 658-661

898.

Adams (J.A.), Op. Cit., p. 22

899.

Ibid., p. 23

L’auteur fait référence à :

Lintern (G.), Gopher (D.), Adaptative training of perceptual-motor skills : Issues results, and future directions, International Journal of Man-Machine Studies, n° 10, 1978, pp. 521-551

Lintern (G.), Roscoe (S.N.), Adaptative perceptual-motor training, in : Roscoe (S.N.), Aviation Psychology, Ames : Iowa University Press, 1980, pp. 239-250

900.

Adams (J.A.), Op. Cit., p. 20

901.

Ibid., p. 20

902.

Ibid., p. 20

L’auteur fait référence à :

Gibson (E.J.), A systematic application of the concepts of generalization and differenciation to verbal learning, Psychological Review, n° 47, 1940, pp. 169-229

Gibson (E.J.), Principles of perceptual learning and development, Journal of Experimental Psychology, n° 30, 1942, pp. 185-200

903.

Adams (J.A.), Op. Cit., p. 21

L’auteur fait référence à :

Gross (A.E.), Stimulus-response analysis of the interaction of cue producing and instrumental responses, Psychological Review, n° 62, 1955, pp. 20-31

904.

Parlebas (P.), Op. Cit., p. 11