2.1.3 Transfert et apprentissage moteur : recherches dans la période actuelle

Le déclin des quatre axes de recherche qui ont vu le jour durant la période 1940-1970
J.A. Adams indique que l’intérêt pour les axes de recherche qui ont vu le jour dans la « période moyenne » décline sensiblement dans la « période actuelle »905. Il voit deux raisons à ce déclin. L’une réside dans l’essor de la psychologie cognitive. Elles vaut, selon J.A. Adams, pour ce qui concerne les travaux portant sur « l’interférence proactive et rétroactive ». Il constate que la recherche correspondante sur le comportement verbal a, elle aussi, disparu dans la même période. Il observe, en outre, qu’elle « était la plus active des deux aires de recherche ». Or, ajoute-t-il, « ‘son accent associatif et behavioriste fut suffisant pour causer son déclin quand la psychologie cognitive prit son essor ’». J.A. Adams considère qu’il en va de même de l’abandon des travaux sur la médiation verbale. Aussi signale-t-il : « ‘On voyait les médiateurs verbaux comme liés dans une chaîne avec les réponses motrices qu’ils déclenchaient, mais la psychologie cognitive ne voulait pas conceptualiser d’une manière aussi simpliste le comportement verbal. »’ J.A. Adams voit une autre raison au fait que les travaux concernant le transfert partiel-total n’ont guère eu de suite. Il rappelle qu’ils ont toujours ‘« compté avec une orientation appliquée’ ». Or, annonce-t-il, « ‘Les procédés d’entraînement partiel présentent des problèmes si difficiles que personne n’a réussi à en concevoir un dessein méthodologique. » ’

L’interférence contextuelle : une nouvelle voie prometteuse
Ainsi, les courants de recherche s’intéressant au transfert dans le cas des apprentissages moteurs nés dans la « période moyenne » se sont-ils affaiblis. La « période actuelle » a néanmoins été marquée, souligne J.A. Adams, par l’apparition d’une nouvelle idée prometteuse qui a rapport à l’« interférence contextuelle ». Celui-ci la présente en ces termes : « ‘Shea et Morgan (1979) en ont fait une étude prototype. La tâche de base consistait à renverser à la main six barrières dans un ordre prescrit aussi vite que possible. Une haute interférence contextuelle était une présentation au hasard pendant les essais de trois variations de la tâche, dans laquelle tous les essais pour une variation étaient accomplis avant de passer à la suivante. L’entraînement avec une haute interférence a produit la rétention et le transfert les plus hauts aux nouvelles variations de la tâche. Ces avantages de l’entraînement varié invitent à une explication de schéma mais Shea et ses associés préférèrent l’explication selon laquelle une haute interférence contextuelle encourage de multiples stratégies dans l’acquisition qui favorisent l’apprentissage et la rétention.’ »906 Il est à noter, de nouveau, que la recherche porte sur des habiletés motrices qui n’ont guère de similitudes avec celles susceptibles de concerner l’EPS.

Vers une collaboration relative entre recherche sur l’apprentissage moteur et éducation physique
J.A. Adams signale toutefois que la recherche en apprentissage moteur se trouve, dans la « ‘période actuelle », « un allié inattendu dans la discipline de l’éducation physique ’»907. Il donne alors quelques précisions : « ‘[...] un mouvement majeur dans l’éducation physique est né dans les années 60 et au début des années 70 sous l’influence de F.M. Henry, W.A. Hubbard et A.T. Slater-Hammel, qui étaient des scientifiques de laboratoire dans ce domaine, et ils eurent des influences sur les étudiants qu’ils entraînaient. [...] La recherche qui est sortie de ce mouvement fut rationalisée par les besoins de l’éducation physique, mais elle s’intégrait souvent dans le moule de la psychologie expérimentale. ’» Ainsi une collaboration relative se met-elle en place entre le secteur de la recherche sur l’apprentissage moteur et l’éducation physique  ; elle ne garantit pas, néanmoins, une prise en charge totale et cohérente par celle-ci des questions concernant celle-là. J.A. Adams observe au demeurant une ironie du sort qui a rapport au moment auquel a été impulsée cette collaboration. Il signale en effet : « ‘la recherche en éducation physique sur les habiletés ne fut pas indifférente à l’approche du traitement de l’information qui ignorait l’apprentissage. ’» Puis, il précise : « ‘La perspective a pris la forme d’un intérêt pour le contrôle moteur, comme étant distinct de l’apprentissage moteur. ’» Certaines entreprises concernant l’apprentissage se sont cependant, indique-t-il, avérées fructueuses : « ‘[...] une théorie de l’apprentissage en boucle fermée (Adams, 1971) est apparue au début de la période actuelle [...] La théorie du schéma de Schmidt (1975) a continué cette dynamique. ’»908

L’abandon de la réflexion au transfert concomitante de la prise en compte des activités physiques et sportives?
La revue de J.A. Adams fait apparaître un état de fait remarquable : la recherche concernant l’apprentissage moteur a eu rapport à l’éducation physique dans le temps même où elle délaissait la question du transfert. J.A. Adams, cependant, discourt à propos de l’éducation physique aux Etats-Unis . Il a, par ailleurs, conclu sa revue de question au milieu des années quatre-vingts. Qu’en est-il pour ce qui concerne l’EPS en France ? La lecture d’un ouvrage publié en 1995, coordonné par J. Bertsch, président de l’ACAPS, et C. Le Scanff est de nature à aider à répondre. J. Bertsch, signifiant l’intérêt de cette publication, indique : ‘« Nous posions depuis longtemps la question du rapport entre les apprentissages moteurs et l’enseignement des habiletés motrices. Aucun enseignant en activité physique ne peut en effet prétendre enseigner avec efficacité s’il ignore les processus internes de transformation vécus par les sujets, autrement dit les mécanismes d’apprentissage des élèves qui lui sont confiés.’ »909 J. Bertsch précise en outre : ‘« l’ouvrage de J. Leplat, C. Enard et A. Weill-Fassina, La formation par l’apprentissage, paru aux Presses Universitaires de France en 1970 a été longtemps le document de référence »’ 910. Il présente alors celui qu’il a coordonné avec C. Le Scanff comme « une deuxième étape de la réflexion ». On observe que les contributions à celui-ci proviennent d’auteurs de contrées diverses : Belgique, Etats-Unis, France, Québec, Suisse911. Il est alors question d’une synthèse en langue française. Il est à noter, par surcroît, que les travaux présentés et les références indiquées montrent un intérêt accru pour les activités physiques et sportives. Constate-t-on en l’ouvrage considéré un intérêt moindre pour la question du transfert ? Une réponse affirmative corroborerait ce qui a été observé à la lecture de la revue de J.A. Adams pour ce qui est de la « période actuelle ».

La difficulté à réfléchir au transfert dans le cas de l’EPS à partir des données issues de la recherche en apprentissage moteur
Il apparaît qu’aucun des thèmes traités en l’ouvrage coordonné par J. Bertsch et C.  Le Scanff ne concerne explicitement la question du transfert912. La question de l’« interférence contextuelle », jugée idée nouvelle et prometteuse de la « période actuelle » par J.A. Adams, y est peu abordée. Elle apparaît évoquée en une seule communication, qui émane de J.J. Temprado913. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’est pas question du transfert dans l’ouvrage considéré ; au fil de la lecture apparaissent en effet des termes comme : ‘« test de transfert », « effet sur un apprentissage’ »... Il est à noter que la quatrième de couverture indique : ‘« Ecrit par des chercheurs renommés, [...] l’ouvrage détaille, dans une perspective tout à fait renouvelée, l’efficacité comparée des contextes de mise en exercice de la motricité humaine, qui semblent le mieux susceptibles d’aider à la transformation harmonieuse et adaptée de l’enfant et du sportif. » ’Or, la question du transfert s’avère n’y faire l’objet d’aucune investigation ou réflexion spécifiques et approfondies. C’est alors qu’elle n’y vaut pas en premier lieu ou au premier plan. Ces constatations confirment ainsi ce que la lecture de la revue de J.A. Adams concernant la « période actuelle » donne à penser. Cela a des conséquences quant à la réflexion au transfert dans le cas de l’EPS au cours des années quatre-vingt-dix. Ceux qui voudraient l’étudier ne disposent guère de points d’appui pour ce faire au plan de la recherche en apprentissage moteur (Tableau 25).

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Tableau 25 : Transfert, recherche en apprentissage moteur et EPS
Notes
905.

Adams (J.A.), Op. Cit., p. 39

906.

Ibid., p. 39

L’auteur fait référence à :

Shea (J.B.), Zimny (S.T.), Context effects in memory and learning movement information, in : Magill (R.A.), Memory and control of action, Amsterdam : North-Holland, 1983, pp. 345-356

Shea (J.B.), Morgan (R.L.), Contextual interference effects on the acquisition, retention and transfer of a motor skill, Journal of Experimental Psychology : Human Learning Memory, n° 5, 1979, pp. 179-187

907.

Adams (J.A.), Op. Cit., p. 31

908.

Ibid., p. 31

L’auteur fait référence à :

Adams (J.A.), A closed-loop theory of motor skill learning, Journal of Motor Behavior, n° 3, 1971, pp. 111-149

Schmidt (R.A.), A schema theory of discrete motor skill learning, Psychological Review, n° 82, 1975, pp. 225-260

909.

Bertsch (J.), Préface, in : Bertsch (J.), Le Scanff (C.), Apprentissages moteurs et conditions d’apprentissages, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1995, p. 9

910.

Bertsch (J.), Op. Cit., p. 10

911.

Ibid., p. 7, 11

912.

Ibid., pp. 5-6

913.

Temprado (J-.J.), La variabilité dans le contrôle des habiletés motrices : fonction de l’apprentissage ?, in : Bertsch (J.), Le Scanff (C.), Op. Cit., pp. 76-77

L’auteur fait référence à :

Battig (W.F.), The flexibility of human memory, in : Cemak (L.S.), Craik (F.I.M.), Levels of Processing in Human Memory, Hillsdale, NJ, Erlbraum, 1979, pp. 23-44

Lee (T.D.), Magill (R.A.), The locus of contextual interference in motor-skill acquisitions, Journal of Experimental Psychology : Learning, Memory and cognition, n° 9, 1983, pp. 730-746

Shea (J.B.), Morgan (R.L.), Contextual interference effects in acquisition, retention and transfert of a motor skill, Journal of Experimental Psychology : Memory and Cognition, n° 86, 1979, pp. 415-451

Magill (R.A.), Hall (K.G.), A review of the contextual interference effects in motor skill acquisition, Human Movement Science, n° 9, 1985, pp. 241-289