La question de la réalité du transfert, dans le cas de l’EPS
Le transfert est peu à l’honneur au plan de la recherche en apprentissage moteur alors que se pose, en EPS, la question de la « vie physique ». Il y a néanmoins fait l’objet d’un intérêt accru, jusqu’aux années soixante-dix. Les recherches alors engagées, toutefois, n’avaient pas rapport essentiel à l’EPS. Ceux qui se sont intéressés au transfert pour ce qui est de cette discipline scolaire ont ainsi dû conduire leurs propres investigations. La tâche leur a incombé d’apporter la preuve de son existence, celle-ci n’étant pas reconnue par tous, loin s’en faut. Ainsi certains ont-ils eu à coeur d’éprouver l’hypothèse du transfert. J. Vivès concluait un article, publié en 1958, en ces termes : ‘« Ces quelques considérations sur la manière d’enseigner touchent aux problèmes très vastes du transfert de l’entraînement, à l’étude de son utilisation bénéfique dans l’éducation humaine. Elles n’ont certes de valeur qu’en tant qu’hypothèse puisque, dans le domaine de l’éducation physique et de la motricité en particulier, aucune expérimentation vaste et rigoureuse n’a été faite qui puisse étayer valablement des conclusions. Mais leur objet, tout limité qu’il soit, paraît offrir suffisamment de ressources au Maître pour qu’il entreprenne une telle expérimentation dont la nécessité en Education physique doit être admise tout autant qu’elle l’est universellement dans les autres domaines. »914
’
Des écrits identifiant un groupe restreint d’auteurs ?
C’est ainsi que sur sept articles de la Revue EPS dont l’intitulé signifie un intérêt porté à la question du transfert, six ont rapport à une expérimentation. Celui qui n’y a pas trait est un écrit de R. Molières, sorti en 1965915. J. Vivès est, en 1964, le premier à publier un article dans la Revue EPS, qui rapporte une expérience relative au transfert916. Il y signe en outre, avec P. Parlebas, un écrit publié en 1969 donnant à connaître un « plan expérimental » concernant le transfert917. Ceux-ci ont, par ailleurs, rédigé le préambule d’un nouveau compte rendu d’expérience qui a paru en 1971 dans la Revue EPS. J.-P. Famose est l’auteur cette ‘« Etude sur le problème du transfert en éducation physique’ »918. Il a, à son tour, écrit l’avant-propos d’un article sorti en 1974 dans la Revue EPS, qui s’intitule ‘« La notion de transfert : une nouvelle confrontation à l’expérience »’
919. Cette parution est l’oeuvre de P. Giraud et P. Cassard. Un nouvel article a paru dans la Revue EPS en 1981, qui émane de M. Dubois et P. Godin et rapporte une autre expérimentation : ‘« Interventions pédagogiques et transfert en EP »’
920. Il est à nouveau question d’une expérience intéressant le transfert et l’EPS dans un écrit de P. Parlebas et E. Dugas, publié en 1998 dans cette même revue921. Ainsi, rares sont les publications qui exposent à ciel ouvert un travail expérimental concernant le transfert et l’EPS dans la Revue EPS. Il est à noter, en outre, que J. Vivès émarge en deux d’entre elles, tout comme P. Parlebas. Par ailleurs, certaines contiennent un préambule signé de qui a produit l’une de celles sorties antérieurement. M. Dubois et P. Godin se singularisent, signant un unique écrit qui ne fait l’objet d’aucun avant-propos. On peut estimer, cependant, que cela est le fait de leur situation particulière : ils sont en effet les seuls, parmi les auteurs considérés, à ne pas oeuvrer en France922. Ces observations donnent à penser que ceux qui ont ambition expérimentale quant au transfert en EPS constituent un groupe d’exception.
Des expérimentations qui ont rapport à l’onde de choc de la recherche en apprentissage moteur ?
Le repérage des dates de parution des écrits concernés invite, par ailleurs, à considérer qu’ils sont de plus en plus rares. Il est à noter, en effet, que cinq écrits parmi les six pris en compte ont paru de 1964 à 1981 ; leur publication s’échelonne ainsi approximativement sur dix-sept années. Or, qu’il n’en est qu’un à paraître au cours des dix-sept ans suivants, en 1998. On peut penser alors que les cinq premiers à être publiés correspondent à l’onde de choc de la « période moyenne » que décrit J.A. Adams. Elle est en effet celle du grand boom du transfert au plan des thèmes qu’abordent les chercheurs en apprentissage moteur : 1940-1970. Il est envisageable, aussi, que joue un effet de diffusion des travaux qui ont eu cours durant la « première période » que détermine J.A. Adams. C’est-à-dire, celle qui s’est écoulée depuis la fin du dix-neuvième siècle et jusqu’à la seconde guerre mondiale. Les situations expérimentales mises en place par ceux qui étudient le transfert au regard de l’EPS contribuent à accréditer ces supputations. Celles que décrivent les auteurs des cinq premiers écrits à paraître consistent en des parcours divers. J.-P. Famose indique par exemple : ‘« La tâche proposée aux élèves était donc d’effectuer un parcours jalonné d’obstacles. Ces obstacles étaient représentés par différents matériels d’usage courant en éducation physique, tels que poutre, bomme, plinth, cheval d’arçon, espaliers, etc. Le niveau de maîtrise de la tâche se trouvait uniquement traduit par la performance chronométrée. »’
923 Ces situations prennent de fait une apparence relativement similaire à celle des situations de laboratoire.
Un seul fait : de rares comptes rendus d’expérimentations, qui émanent d’un petit nombres d’individus
C’est ainsi que la publication de 1998 se signale, parmi les six examinées. Les auteurs indiquent en effet ‘: « Trois grands types d’activités ont été pratiqués [...] Sports collectifs [...] jeux sportifs traditionnels [...] activités d’athlétisme »924.’ Il n’est alors plus question de parcours mettant à l’oeuvre la motricité, mais d’activités physiques susceptibles de servir de supports à l’enseignement de l’EPS. Il est à noter, toutefois, que leur pratique s’est déroulée dans un cadre très délimité quant aux interventions de l’enseignant : ‘« Aussi a-t-on décidé d’uniformiser le mode d’intervention des enseignantes. Celui-ci a été standardisé au maximum »925.’ Les auteurs de quatre des cinq études précédemment publiées ont pris en compte différemment cette question. C’est ainsi que J. Vivès indique : ‘« nous nous sommes proposés de comparer l’influence de deux manières d’enseigner [...] L’une correspondait à une préparation [...] “significative”, dans laquelle le maître s’efforce de faire comprendre à l’élève tous les éléments de sa conduite [...] L’autre, à une préparation “non significative” »926.’ Seuls P. Giraud et P. Cassard signalent : ‘« Il nous a été impossible [...] de tester l’influence [...] du mode d’intervention pédagogique lors de l’apprentissage »’
927. Ce qui signifie, par surcroît, qu’il n’a pas été standardisé, qu’il a été laissé à l’appréciation de qui a animé les séquences d’apprentissage mises en place. Ces observations invitent dès lors à la prudence quant à la caractérisation des expérimentations étudiées ainsi que de leurs auteurs. Si bien qu’on ne peut guère, en première analyse, que retenir qu’elles sont le fait, relativement rare, d’un petit nombre de personnes.
Vivès (J.), Considérations sur la manière d’enseigner, Revue EPS, n° 41, juillet 1958 , p. 5
Molières (R.), Un plan annuel : « essai de contribution à l’étude du transfert », Revue EPS, n° 76, juillet 1965, pp. 11-17
Vivès (J.), Pédagogie expérimentale, Huit séances de sauts variés, Essai de contribution à l’étude du transfert, Revue EPS, n° 69, mars 1964, pp. 25-33
Parlebas (P.), Vivès (J.), Apprentissage et transfert en éducation physique, Revue EPS, n° 99 bis, septembre 1969, pp. 19-24
Famose (J.-P.), Étude sur le problème du transfert en éducation physique, Revue EPS, n° 107, janvier-février 1971, pp. 13-20
Giraud (P.), Cassard (P.), La notion de transfert : une nouvelle confrontation à l’expérience, Revue EPS, n° 129 / 130, septembre-octobre-novembre-décembre 1974, pp. 169-175
Dubois (M.), Godin (P.), Interventions pédagogiques et transfert d’apprentissage en EP, Revue EPS, n° 168, mars-avril 1981, pp. 67-72
Parlebas (P.), Dugas (E.), Op. Cit., pp. 41-47
Dubois (M.), Godin (P.), Op. Cit., p. 72
Les auteurs signent, en fin d’article : « Michel Dubois, Docteur en EP, Université catholique de Louvain » et « Philippe Godin, Assistant à l’institut d’EP à Louvain ».
Famose (J.-P.), Op. Cit., p. 16
Parlebas (P.), Dugas (E.), Op. Cit., p. 42
Ibid., p. 42
Vivès (J.), Op. Cit., p. 26
Giraud (P.), Cassard (P.), Op. Cit., p. 175