3.1 Réflexion au transfert dans le cas de l’EPS et problème du transfert

3.1.1 La référence aux théories originelles

Pour un examen de la réflexion au transfert dans le cas de l’EPS
J.A. Adams détermine trois périodes pour ce qui est de la recherche relative à l’apprentissage moteur. Il a été en la première, qu’il situe entre 1880 et 1940, une théorie dominante quant au transfert, émanant selon lui de E.S. Thorndike et R.S. Woodworth995. Il la nomme « théorie des éléments identiques ». Des travaux ont autorisé sa contradiction, principalement, ceux de C.H. Judd, repris par P.T. Orata, puis G. Hendrikson et W.H. Schroeder, si on se fie à J.A. Adams. Il est alors question d’une théorie concurrente, dite « théorie des principes généraux » par C. Bayer996. J.A. Adams détermine une deuxième période, qui s’étend de 1940 à 1970. La recherche relative au transfert y a été florissante. Les travaux et les courants de recherche en la matière y ont été relativement nombreux. J.A. Adams repère quatre grands axes de recherche en celle-ci. Celui relatif à l’« Adaptative training » n’a guère été fructueux997. Ceux concernant le « transfert partiel-total », l’« interférence rétroactive » et ‘« transfert et médiation verbale » se sont en revanche révélés encourageants’ 998. D’après J.A. Adams, tous ont néanmoins été abandonnés dans une troisième période, postérieure à 1970. Une nouvelle perspective prometteuse y a néanmoins vu le jour, concernant l’« interférence contextuelle »999. Qu’en est-il de ces temps forts au plan de la réflexion au transfert dans le cas de l’EPS ?

Le transfert, les «  exercices-clés  » de J. Le Boulch et l’«  essai d’une systématique  » de J. Teissié
Les publications les plus anciennes à considérer pour envisager cette question proviennent, d’une part, de J. Le Boulch, d’autre part de J. Teissié. J. Le Boulch propose, dans un écrit édité en 1953, qu’on enseigne des « exercices-clés » ; il considère en effet leur connaissance ‘comme « élément capital des progrès ultérieurs, étant donné leur haute possibilité de transfert »’ 1000. J. Teissié tient, quant à lui, un propos différent. Il indique dans un article sorti en 1957 : ‘« L’éducation physique se propose de développer la maîtrise du corps dans les situations à caractère moteur dominant de l’éducation physique et sportive. »’ 1001 Il s’enquiert dès lors des ‘« éléments d’exécution des gestes à partir desquels se modulent les réactions motrices adéquates »’. Il distingue alors les « Facteurs structuraux » et les « Facteurs de coordination ». Il précise néanmoins : ‘« Le système sensoriel et le système moteur ne constituent pas deux systèmes séparés qui se relieraient par de simples voies de communications, mais les parties d’un système plus vaste »1002.’ Aussi peut-on envisager que ce qu’il écrit au paragraphe « Facteurs de coordination », qui concerne le transfert, vaut pour ce système en son ensemble : ‘« L’action des forces intérieures sur le centre de gravité fait apparaître un certain nombre de situations sollicitant des organisations physio-mécaniques communes et transférables à chaque situation (impulsion, réaction dans l’espace, précision des appuis, etc.) d’où la nécessité de choisir les situations et les gestes de base les plus significatifs. »’ 1003 Il renseigne plus avant dans l’article qui fait suite à celui en lequel il tient ce discours : ‘« Le seul aspect mécanique permet de distinguer quatre situations caractérisées du centre de gravité et du mode d’action des forces intérieures sollicitant quatre formes dominantes d’application de la maîtrise corporelle. »1004 ’ Il est question de « maîtrise » « des déplacements », « du corps propre », « des engins », « de l’opposition ». J. Teissié revient sur celles-ci dans ses articles à suivre dans la Revue EPS, sans renier son propos relatif au transfert1005.

J. Vivès, réfléchissant à partir des interprétations «  mécaniste  » et «  élaborée par Judd  »concernant le transfert
J. Vivès fait, quant à lui, une analyse critique de ces propositions dans l’article qu’il signe en la Revue EPS de juillet 1958. S’inquiétant de la manière dont s’opère le transfert, il repère deux interprétations : ‘« La première en date, adoptée par Le Boulch et Teissié, est une interprétation mécaniste. Se transfèrent d’un exercice à l’autre les “éléments identiques”. [...] Le maître devrait donc éventuellement dresser une table des exercices dont les éléments puissent être utilisés identiques, dans le plus grand nombre d’autres situations et faire fixer mécaniquement ces exercices. Au seul énoncé de la tâche du maître ainsi définie, on se demande pratiquement à quoi cela peut aboutir, l’identité pure ne se rencontrant jamais dans la nature.’ »1006 J. Vivès envisage de fait une théorie plus pertinente à ses yeux : ‘« L’autre interprétation élaborée par Judd et reprise par Woodworth nous semble beaucoup plus proche de la réalité et pédagogiquement plus riche. Elle pose que tout exercice pris dans son ensemble a en lui un pouvoir de généralisation dans la mesure où il est considéré comme un mode de réponse à une situation donnée. [...] Le rôle du maître est alors [...] de rechercher les exercices les plus généraux au sens mathématique du terme, c’est-à-dire les exercices où sont contenus les réponses au plus grand nombre possible de situations. Il est, en second lieu, [...] d’instruire l’élève du principe qui fait la fécondité de l’exercice.’ » Ainsi J. Vivès prend-il position au regard des théories originelles quant au transfert émanant de la recherche concernant l’apprentissage moteur.

Les deux théories explicativesdu transfert, selon P. Pesquié ou P. Parlebas et les justifications de R. Molières quant à son plan annuel
P. Pesquié fait montre d’un éventail plus large de références en son article sorti dans la Revue EPS de juillet 1966. Son discours concernant les « Théories explicatives » est ainsi relativement référencé : ‘« Oleron [...] Di Vesta et Blake [...] Judd [...] Katona [...] Kittel’ »1007. Il demeure qu’il envisage deux grands ensembles de théories : « ‘1° Théories globalistes fondées essentiellement sur l’activité de l’individu [...] 2° Théories analytiques fondées essentiellement sur la similitudes des tâches ’». Il rappelle l’expérimentation qu’a publiée C.H. Judd en 1908 pour ce qui est des premières et ne donne pas de référence en ce qui concerne les secondes. On retrouve néanmoins, en son propos, les deux théories relatives au transfert de la première période que définit J.A. Adams. La même remarque vaut pour la publication de la Revue EPS de mai 1968 émanant de P. Parlebas. Il distingue en effet : « ‘D’une part, une théorie d’obédience associationniste qui s’appuie principalement sur le réflexe conditionné  [...]. D’autre part une théorie globale qui privilégie l’intervention active du sujet’  »1008 R. Molières, par ailleurs, s’est attaché, dans un écrit de la Revue EPS de novembre 1968, à justifier son plan annuel qui repose sur l’hypothèse du transfert. Il a alors notamment emprunté à : « l’école réflexologique », « la théorie de la forme », « la psychologie du comportement »1009.

Les comparaisons de P. Parlebas et J. Vivès, les hypothèsesde J.-P. Famose, les théories qu’envisagent P. Giraud et P. Cassard
Une constatation apparaît ainsi à faire quant aux écrits qui, parmi ceux considérés, ont paru avant le plan expérimental de P. Parlebas et J. Vivès. Lorsque leurs auteurs s’essaient à expliquer le transfert, ils font référence aux théories initiales concernant le transfert issues de la recherche sur les habiletés motrices. P. Parlebas et J. Vivès, présentant leur plan expérimental, ne fournissent aucune référence. Ils opposent néanmoins deux logiques d’enseignement dont la spécification est significative. Ils annoncent ainsi : « ‘On comparera les effets d’un apprentissage de séquences rigides et stéréotypées avec ceux d’un apprentissage de séquences changeantes et plastiques [...] On comparera une intervention qui impose la copie, l’association et la répétition avec une intervention qui propose des situations incitant à la prise de conscience et qui laisse de l’initiative psychomotrice’ »1010. J.-P. Famose, pour sa part, envisage deux types d’hypothèses explicatives en son compte rendu d’expérience publié en 19711011. Ils sont, là encore, évocateurs. Le premier concerne ‘« la nature des tâches à effectuer » : il est question, alors, de « transfert par similitude des tâches ». Le second a trait à « l’intervention de l’enseignant » : il s’agit en ce cas de « transfert par généralisation de la réponse’ ». P. Giraud et P. Cassard consacrent une partie de l’article rendant compte de leur expérimentation aux « ‘Théories du transfert ». Certains intitulés sont suffisamment parlants : « Le transfert associatif est-il le modèle du transfert ? [...] La théorie des éléments identiques [...] La théorie gestaltiste [...] Le transfert est-il une généralisation ?’ »1012

Une référence générale aux théories originelles «  des éléments identiques  » et des «  principes généraux  »
Qu’en est-il en définitive de la référence aux théories du transfert nées dans la première période que définit J.A. Adams dans les écrits considérés ? D. O’Nelson n’en fait pas mention en son article sorti en 1959. Il convient cependant de rappeler que J. Vivès le fait, en sa production publiée en 1958. Or, il juge que l’écrit de D. O’Nelson illustre les hypothèses qu’il a avancées en celle-ci1013. M. Dubois et P. Godin, dans leur écrit sorti en 1981, traitent moins du transfert que des effets de l’intervention de l’enseignant quant au transfert1014. Ce qui peut expliquer que leur propos n’a pas explicitement trait à la théorie des éléments identiques ou à celle des principes généraux. P. Parlebas et E. Dugas ne les évoquent pas plus en leur article de la Revue EPS de mars-avril 1998. Ils envisagent le transfert au plan des « principes d’action psychomoteurs » et « sociomoteurs » qu’actualisent les jeux sportifs ou traditionnels1015. Ce faisant, ils se situent dans la mouvance des travaux qu’a publiés P. Parlebas à la fin des années soixante. Il indique en effet, dans l’article faisant suite à celui en lequel il considère les théories « d’obédience associationniste » et « globale » du transfert : ‘« Le vécu psycho-moteur et le vécu socio-moteur correspondent à la prise de conscience par l’agent de ses propres conduites motrices en relation avec une situation globale où autrui peut intervenir. [...] Cette prise de conscience du vécu psycho-socio-moteur est la clef du changement, c’est-à-dire du transfert d’apprentissage. ’»1016 On en vient ainsi à considérer que la référence aux théories originelles du transfert vaut de manière générale dans les écrits considérés.

Notes
995.

Adams (J.A.), Revue historique et critique de la recherche sur l’apprentissage, la rétention et le transfert des habiletés motrices, Dossiers EPS, n° 13, 1987, p. 12

996.

Bayer (C.), Op. Cit., p. 22

997.

Adams (J.A.), Op. Cit., p. 23

998.

Ibid., pp. 20-22

999.

Ibid., p. 39

1000.

Le Boulch (J.), L’éducation fonctionnelle à l’école primaire, CREPS de Dinard, 1953, p. 11

1001.

Teissié (J.), Op. Cit., p. 9

1002.

Ibid., p. 10

1003.

Ibid., p. 11

1004.

Teissié (J.), Education physique et sportive, essai d’une systématique, Revue EPS, n° 38, janvier 1958, p. 8

1005.

Il s’agit de :

Teissié (J.), Education physique et sportive, essai d’une systématique, Revue EPS, n° 39, mars 1958, pp. 16-22

Teissié (J.), Education physique et sportive, essai d’une systématique, Revue EPS, n° 40, mai 1958, pp. 14-17

1006.

Vivès (J.), Op. Cit., p. 4

1007.

Pesquié (P.), Op. Cit., pp. 64-65

1008.

Parlebas (P.), Op. Cit., p. 11

1009.

Molières (R.), Op. Cit., p. 30

1010.

Parlebas (P.), Vivès (J.), Op. Cit., p. 20

1011.

Famose (J.-P.), Op. Cit., pp. 14-15

1012.

Giraud (P.), Cassard (P.), Op. Cit., p. 171

1013.

O’Nelson (D.), Op. Cit., p. 14

1014.

Dubois (M.), Godin (P.), Op. Cit., pp. 67-70

1015.

Parlebas (P.), Dugas (E.), Op. Cit., p. 45

1016.

Parlebas (P.), Motricité émiettée et motricité structurée, Revue EPS, n° 93, juillet 1968, p. 22