Pour un nouvel examen des écrits relatifs au transfert dans le cas de l’EPS
Des courants de recherche concernant le transfert sont nés dans les périodes que J.A. Adams qualifie de « moyenne » et d’« actuelle ». Or, il n’en est fait mention en aucune des productions concernant le transfert dans le cas de l’EPS examinées. Cette constatation donne à penser que celles-là ne sont pas vulgaires décalques des écrits rendant compte de ceux-ci. Il s’agit alors de s’enquérir des particularités inhérentes à la réflexion au transfert pour ce qui concerne l’EPS. La référence aux théories originelles issues de la recherche relative aux habiletés motrices y a cours. On peut alors penser qu’elle correspond à des tentatives de synthèse ou des propositions visant à les dépasser. Ce qu’indique P. Pesquié contribue au demeurant à accréditer cette hypothèse : ‘« L’opposition apparente entre ces deux modèles explicatifs doit être dépassée. En fait, ils jouent ensemble corrélativement et l’on peut dire que, dans toute situation d’apprentissage susceptible de bénéficier d’un transfert, la plus ou moins grande similitude des tâches facilitera plus ou moins l’activité de l’individu à découvrir les principes essentiels de leur réussite. »’
1017 On peut ainsi penser que ceux qui réfléchissent au transfert pour ce qui est de l’EPS se sont essayés à dépasser cette « opposition ». Cela reste cependant à vérifier. Il s’agit dès lors d’envisager en quoi les propos des auteurs concernés ont valeur originale. Cette originalité résidant dans l’emprunt aux deux théories de référence ou dans une prise de distance vis-à-vis de celles-ci.
Le conformisme des propositions faites dans les années cinquante par J. Le Boulch, J. Teissié ou J. Vivès
La proposition de J. Le Boulch, relative aux « exercices-clés », n’apparaît pas révéler un tel anticonformisme. Celle de J. Teissié, concernant son « essai d’une systématique », non plus. J. Vivès considère, en son article de la Revue EPS de juillet 1958, que ces propositions signifient l’adoption de la théorie des éléments identiques1018. Il est à noter que J. Le Boulch lui-même signale, dans un ouvrage sorti en 1998, que la sienne a rapport direct à : « ‘la conception atomistique et mécaniciste de l’apprentissage du psychologue Thorndike ’»1019. C. Bayer, par ailleurs, indique : « ‘Même attitude chez Justin Teissié, qui propose, dans sa systématique, après une analyse rigoureuse de la motricité, de définir les exercices les plus susceptibles d’effet général. [...] Si le mérite de Justin Teissié est grand d’avoir situé le débat du transfert sur la base de certains principes généraux inhérents à la motricité, il n’en demeure pas moins que les moyens suggérés restent souvent des exercices abstraits et analytiques. Au niveau des finalités, théoriquement, il tente de dépasser le seul point de vue associationniste, mais, par sa démarche et les exercices proposés pour parvenir à cette acquisition de règles générales du mouvement, il demeure prisonnier de l’analyse mécaniste. ’»1020 J. Vivès, critiquant les suggestions de J. Le Boulch et de J. Teissié, se réclame quant à lui de la théorie du transfert concurrente de celles qu’ils adoptent : « ‘L’autre interprétation élaborée par Judd [...] nous semble beaucoup plus proche de la réalité et pédagogiquement plus riche’
. »1021
La suggestion, par R. Molières, dans son «
plan annuel
» de 1965, d’un dépassement des clivages
On peut penser que D. O’Nelson reprend à son compte la théorie des principes généraux, en son article publié en 1959, même s’il ne l’écrit pas. Ce qu’indique J. Vivès dans l’avant-propos de celui-ci invite à tout le moins à considérer qu’il en est ainsi1022. Ce qu’annonce D. O’Nelson, également : « ‘Une des principales différences entre [...] l’entraînement correct et un travail quelconque, est l’adhésion aux principes fondamentaux du mouvement. [...] Une fois qu’ils sont appris, ces principes fondamentaux seront transférés et utilisés dans toute activité requérant leur application.’ »1023 Il ajoute : « ‘Très souvent, l’entraîneur et l’athlète apprennent les détails embrouillés de chaque spécialité séparément, sans jamais réaliser qu’il y a des types fondamentaux de mouvement qui s’appliquent à de nombreuses spécialités. Les meilleurs résultats s’obtiennent souvent pour l’enseignant et l’élève quand les parentés sont volontiers reconnues.’ »1024 On retrouve alors l’idée que le transfert procède du repérage d’un principe d’exécution. R. Molières se réclame quant à lui de J. Teissié, dans son article sorti dans la Revue EPS de juillet 1965 : ‘« Nous adoptons pour nos leçons la classification de Justin Teissié »1025. Il indique cependant, ensuite : « Suivre ce plan de travail suppose certainement une pédagogie significative au sens que donne à cette expression J. Vivès [...] L’élève doit “comprendre le principe de base qui fait la fécondité de l’exercice” en être tenu au courant, sans que le maître parle davantage dans ses leçons’
. »1026 L’article en lequel P. Pesquié invite à dépasser les « oppositions apparentes » entre les théories « globalistes » et « analytiques » est sorti en 1966. L’essentiel de ceux examinés qui ont paru avant signifie plutôt une recherche de conformité au regard de l’un des deux types de théories. Le « plan annuel » que propose R. Molières en 1965 aux lecteurs de la Revue EPS, cependant, atteste d’un souci de dépasser les clivages.
Du « plan annuel » de R. Molières au plan expérimental de P. Parlebas et J. Vivès
Qu’en est-il des écrits qui, parmi ceux considérés, ont été publiés par la suite ? R. Molières poursuit son propos relatif au « plan annuel » en deux articles sortis en 1968. Dans le second à paraître, il justifie l’intérêt éducatif de ses propositions par des emprunts relativement hétéroclites : ‘« Pour l’école réflexologique, [...] Pour la théorie de la forme [...] Pour la psychologie du comportement [...] Enfin, d’une façon générale, pour le structuralisme [...] La pédagogie imposée par ce plan peut s’appuyer aussi sur la théorie des méthodes actives [...] ’»1027. Cet appel à un dépassement des clivages semble entendu par P. Parlebas et J. Vivès lorsqu’ils rédigent leur plan expérimental. Ils y défendent l’idée que la ‘« prise de conscience des principes de réalisation, vécue dans des situations variées, est un facteur de développement de l’adaptabilité psychomotrice ’»1028. Il est à observer que P. Pesquié signale, suite à sa présentation des théories « globalistes » et « analytiques » : « ‘Ces deux théories nous montrent tout l’intérêt que présente un apprentissage varié ’»1029. Par ailleurs, P. Parlebas et J. Vivès envisagent l’expérimentation au plan de parcours ‘« où s’interpénètrent réflexion et action »1030.’ Ils précisent : ‘« Il conviendra [...] de présenter des obstacles dont le franchissement est particulièrement favorisé par le respect de principes d’exécution psychomoteurs’ ». On peut envisager, alors, qu’il est tout à la fois question d’éléments identiques et d’actualisation de principes d’exécution.
Des tentatives nouvelles pour expliquer le transfert, publiées à la suite du plan expérimental de P. Parlebas et J. Vivès
C’est à tout le moins l’interprétation que semble faire J.-P. Famose du propos de P. Parlebas et J. Vivès. Il annonce reprendre les hypothèses et la méthodologie qu’ils prônent en la présentation de leur plan expérimental1031. Or, on observe qu’il met en place deux types d’hypothèses. Le premier renvoie au « ‘transfert par similitude des tâches’ », le second, au ‘« transfert des principes et des méthodes’ »1032. Il est à noter que P. Parlebas et J. Vivès critiquent son analyse, lui reprochant d’adhérer aux thèses d’I.P. Pavlov et de C.H. Hull1033. J.-P. Famose tente, en tout état de cause, une synthèse des deux grandes théories du transfert en concurrence. M. Dubois et P. Godin ne se prononcent pas quant à une théorie explicative du transfert ; leur travail porte essentiellement, il est vrai, sur le « comportement de l’enseignant ». Ils considèrent néanmoins qu’il est question d’acquérir des principes d’exécution et des dispositions à apprendre1034. Aussi peut-on considérer que leur point de vue est relativement proche de celui qu’émettent P. Parlebas et J. Vivès dans leur plan expérimental. P. Giraud et P. Cassard, se réfèrent résolument à J. Piaget pour expliquer le transfert1035. Ils optent ainsi pour une théorie qui peut être jugée faire la synthèse des théories originelles issues de la recherche en matière d’apprentissage moteur. Que l’on peut envisager, aussi, en tant que théorie qui conduit au dépassement de celles-ci.
L’originalité des travaux de P. Parlebas au plan du transfert
Les travaux de P. Parlebas quant au transfert se révèlent, en outre, foncièrement originaux. Il donne le ton, après avoir envisagé les théories « d’obédience assiociationniste » et « globale » et le conflit pédagogique qui en découle. Il écrit ainsi, dans la Revue EPS de mai 1968 : ‘« Il nous semble cependant réalisable de surmonter cette opposition en proposant une conception ni analytique, ni globale, ni même mixte. Il nous paraît en effet possible d’envisager une pédagogie structurale. Celle-ci se grefferait sur une appréhension également structurale des conduites motrices et du transfert. »’
1036 P. Parlebas fait, dans ses articles suivants, un examen minutieux de cette option structuraliste : « ‘Il apparaît donc qu’on ne peut appliquer aveuglément le schéma structuraliste au domaine des conduites motrices.’ »1037 Poursuivant sa réflexion, P. Parlebas élabore notamment, par la suite, un « ‘Diagramme de l’ensemble des situations sportives ’»1038. Il indique : « ‘Cette classification est [...] plus qu’un rangement ; c’est une organisation par secteurs qui induisent des types de transferts distincts ». Il signifie en outre que « les conduites motrices forment bien une unité, mais dans laquelle on peut distinguer deux dimensions qui s’interpénètrent : les dimensions psychomotrice et sociomotrice.’ »1039. L’expérimentation dont il rend compte avec E. Dugas près de trente ans plus tard a précisément rapport à celles-ci1040.
Pesquié (P.), Op. Cit., p. 65
Vivès (J.), Op. Cit., p. 4
Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques corporelles, 1998, p. 113
Bayer (C.), Op. Cit., pp. 21-22
Vivès (J.), Op. Cit., p. 4
O’Nelson (D.), Op. Cit., p. 14
Ibid., p. 14
Ibid., p. 15
Molières (R.), Un plan annuel : « essai de contribution à l’étude du transfert », Revue EPS, n° 76, juillet 1965, p. 11
L’auteur fait référence à :
Teissié (J.), Education physique et sportive, essai d’une systématique, Revue EPS, n° 38, janvier 1958, p. 8
Molières (R.), Op. Cit., p. 16
L’auteur fait référence à :
Vivès (J.), Op. Cit., pp. 25-33
Molières (R.), Organisation pédagogique, 1968 – Un plan annuel, Revue EPS, n° 95, novembre 1968, pp. 30-31
Parlebas (P.), Vivès (J.), Op. Cit., p. 20
Pesquié (P.), Op. Cit., p. 65
Parlebas (P.), Vivès (J.), Op. Cit., p. 21
Famose (J.-P.), Op. Cit., p. 14
Ibid., pp. 14-15
Ibid., pp. 13-14
Dubois (M.), Godin (P.), Op. Cit., p. 68
Giraud (P.), Cassard (P.), Op. Cit., p. 171
Parlebas (P.), L’apprentissage : une continuelle réorganisation des trusctures motrices, Revue EPS, n° 92, mai 1968, pp. 11-12
Parlebas (P.), Structure et conduite motrice, Revue EPS, n° 94, septembre 1968, p. 11
Parlebas (P.), L’éducation physique, une éducation des conduites de décision, Revue EPS, n° 103, mai-juin 1970, p. 21
Parlebas (P.), Op. Cit., p. 22
Parlebas (P.), Dugas (E.), Op. Cit., p. 45