Pour la recherche d’une plate-forme commune quant à la manière de concevoir le transfert
La réflexion au transfert dans le cas de l’EPS se révèle productrice d’idées innovantes au regard des théories des éléments identiques et des principes généraux. Elle apparaît s’opérer en deux grandes phases : de la fin des années cinquante à celle des années soixante, d’une part, des années soixante-dix aux années quatre-vingts, d’autre part. Des écrits signifient la transition : l’un, sorti en 1965, est signé de R. Molières, un autre, publié en 1966, émane de P. Pesquié, le dernier à paraître, en 1969, est celui en lequel P. Parlebas et J. Vivès exposent leur plan expérimental. Ils marquent le passage vers un non-conformisme relatif au regard des théories du transfert originelles au plan de la recherche sur les habiletés motrices. La référence au plan expérimental de P. Parlebas et J. Vivès se révèle valoir de manière générale pour ce qui est des propositions non-conformistes. On peut envisager, alors, que leur hétérogénéité masque une plate-forme commune quant à la manière de concevoir le transfert. P. Pesquié a appelé, le premier, à un dépassement des oppositions apparentes entre les théories « globalistes » et « analytiques ». Il indique en outre : « ‘Comme l’ont montré Di Vesta et Blake, ce n’est pas la connaissance du principe qui est à l’origine du transfert mais beaucoup plus l’attitude qui consiste à en chercher un. ’»1041 On retire de son propos que le transfert a rapport à la découverte par l’individu de « principes essentiels » à la réussite des tâches. Que leur repérage, aussi, est fonction de la « similitudes des tâches » concernées. Qu’il a rapport, enfin, à une « attitude » de recherche d’un principe. Cela vaut-il aux yeux de ceux qui réfléchissent au transfert dans le cas de l’EPS ?
La cohérence du «
plan annuel
» de R. Molières et du plan expérimental de P. Parlebas et J. Vivès avec le propos de P. Pesquié
La question ainsi posée concerne les écrits dont le propos relatif au transfert vaut en la deuxième phase de réflexion identifiée. Elle appelle dès lors à considérer les publications qui signifient le passage à celle-ci ainsi que celles qui ont paru à leur suite. R. Molières suggère, proposant en 1965 son « plan annuel », que l’on combine : l’analyse que fait J. Teissié des formes d’expression de la maîtrise du corps et la proposition de J. Vivès quant à l’enseignement de principes d’exécution1042. Il ajoute : ‘« Ce plan accorde la plus grande importance aux éléments actifs d’acquisition. On évite chez les élèves une subordination trop bien apprise des actes à des signaux du professeur ou du milieu. L’élève doit savoir moduler sa réponse motrice en interprétant les signaux nouveaux. »’
1043 Faisant le bilan de son expérience personnelle quant à l’application des préceptes qu’il défend, il signifie la difficulté de l’entreprise, puis affirme : ‘« En contrepartie l’intérêt de la classe est soutenu pour le maître et les élèves. Ils adoptent une attitude mentale stable.’ »1044 R. Molières, poursuivant sa réflexion dans un article sorti en 1968 annonce par ailleurs : ‘« Nous souhaitons que l’élève acquière l’aptitude et le goût de s’adapter à de nouvelles activités physiques. Nous pensons à celles qu’il rencontrera pour la première fois hors de l’école ; il serait regrettable qu’il ne fut pas éduqué pour en tirer parti seul. ’»1045 Ce qu’indiquent P. Parlebas et J. Vivès dans leur plan expérimental semble aussi en cohérence avec ce qu’on retire de l’analyse de P. Pesquié. Ils envisagent qu’un travail à base de parcours variés composés d’obstacles à franchir est indiqué pour obtenir un transfert sur un nouveau parcours du même type. Ils s’en expliquent en ces termes : ‘« Le sujet [...] apprend à changer ; il apprend à apprendre. [...] Cette adaptabilité reposerait ainsi fondamentalement sur un transfert de principes, un transfert d’attitudes, un transfert de structures psychomotrices. »1046
’
Les comptes rendus d’expérimentation de J.-P. Famose, P. Giraud et P. Cassard, M. Dubois et P. Godin en regard du propos de P. Pesquié
Qu’en est-il des comptes rendus d’expérimentations faites à la suite du plan expérimental de P. Parlebas et J. Vivès ? Une constatation vaut pour ce qui est de ceux qui émanent de : J.-P. Famose, P. Giraud et P. Cassard, M. Dubois et P. Godin. Leur examen révèle des tentatives d’intégrer la question des principes d’exécution et celle de la similitude des tâches. Il reste dès lors à s’enquérir, en leurs propos, de celle des attitudes. J.-P. Famose ne la met pas explicitement en avant. Tout au plus envisage-t-il les effets au plan du transfert d’‘« une intervention pédagogique reposant sur l’explicitation des principes d’exécution des mouvements’ »1047. Il en va différemment de P. Giraud et P. Cassard : « ‘Le transfert général semble être le fruit des leçons que l’on tire des exemples (par une attitude réflexive active) et non pas des résultats. [...] D’un point de vue pédagogique il faudra développer cette attitude active devant une nouvelle situation’ »1048. M. Dubois et P. Godin envisagent, eux, que le transfert a rapport à l’acquisition de ‘« “learning sets” (dispositions pour apprendre) ’»1049. Ils font même, à l’instar de P. Pesquié, référence à Di Vesta et Blake : « ‘Ce n’est pas la connaissance du principe qui est à l’origine du transfert mais simplement l’attitude qui consiste à en chercher un’ »1050.
La question des attitudes au plan des travaux de P. Parlebas
Il convient par ailleurs de considérer la proposition émanant de P. Parlebas. Il apparaît que celui-ci envisage le transfert au plan des attitudes. S’exprimant quant à la « psycho-socio-motricité » dans la Revue EPS de juillet 1967, il indique : « ‘L’objectif de l’enseignant-facilitateur est davantage de faire naître des attitudes nouvelles que de transmettre un encombrant héritage de techniques formelles. Il ne cherche pas le progrès par un transfert passif de séquences gestuelles rigides mais par un transfert de principes et par un transfert d’attitudes. Ces attitudes font essentiellement référence au ressenti psycho-socio-moteur. ’»1051 Il écrit, plus de vingt ans après, dans la Revue EPS de mars-avril 1991 : ‘« Globalement, on distingue des principes d’action psychomoteurs [...] et des principes d’action sociomoteurs [...]. On différencie les principes actualisés dans un environnement stable et standardisé [...] et ceux mis en oeuvre dans un milieu fluctuant et sauvage [...] Dans les jeux collectifs, ce sont les rôles sociomoteurs qui sont à la source des décisions stratégiques et des principes d’action motrice : les problèmes d’adaptabilité et de transfert sont liés à ces principes de réalisation, à ces attitudes, à la compréhension de la situation. ’»1052 Rendant compte, en 1998, d’une expérimentation qu’ils ont conduite, P. Parlebas et E. Dugas indiquent : « ‘Nos hypothèses pencheront nettement en faveur d’une interprétation [...] en termes de transfert d’attitudes et de principes d’action ’»1053.
Le repérage d’une intuition fédératrice
Ce que P. Parlebas entend par « attitudes » paraît avoir rapport à ce qu’il nomme « compréhension agie », dans le plan expérimental qu’il a élaboré avec J. Vivès1054. P. Pesquié, P. Giraud et P. Cassard ou M. Dubois et P. Godin conçoivent, sans doute, différemment l’attitude, ses rapports avec l’action ou la compréhension. La même remarque vaut pour ce que R. Molières appelle « ‘le goût de s’adapter à de nouvelles activités physiques’ ». Il en va, par ailleurs, certainement de même pour ce qui est des conceptions de la nature des principes et des facteurs de similitude des tâches. Les auteurs des écrits considérés ne les comprennent pas à l’unisson. L’analyse de leurs productions autorise cependant le repérage d’une plate-forme commune. Le transfert aurait à voir avec le repérage de similitudes entre situations rencontrées. Il reposerait sur une recherche intentionnelle autorisant la mise à profit de principes de réalisation. Aussi tiendrait-il tout à la fois des situations et de l’activité que déploie le sujet en ces situations. Il en va ainsi d’une intuition fédératrice. Il est en effet question d’une supposition qui rassemble ceux qui réfléchissent au transfert dans le cas de l’EPS. Il s’agit dès lors de l’envisager au plan des conceptions en présence quant à la « vie physique » en EPS.
Pesquié (P.), Op. Cit., p. 64
Molières (R.), Un plan annuel : « essai de contribution à l’étude du transfert », Revue EPS, n° 76, juillet 1965, p. 14
Molières (R.), Op. Cit., p. 16
Ibid., p. 17
Molières (R.), Organisation pédagogique, 1968 – Un plan annuel, Revue EPS, n° 95, novembre 1968, p. 30
Parlebas (P.), Vivès (J.), Op. Cit., p. 20
Famose (J.-P.), Op. Cit., p. 15
Giraud (P.), Cassard (P.), Op. Cit., p. 171
Dubois (M.), Godin (P.), Op. Cit., p. 68
Ibid., p. 69
Parlebas (P.), La psycho-socio-motricité, Revue EPS, n° 87, juillet 1967, p. 12
Parlebas (P.), Didactique et logique interne des APS, Revue EPS, n° 228, mars-avril 1991, pp. 12-13
Parlebas (P.), Dugas (E.), Op. Cit., p. 42
Parlebas (P.), Vivès (J.), Op. Cit., p. 21