3.2. Problème du transfert et conceptions relatives à la « vie physique »

3.2.1 L’intuition fédératrice en question

La question de l’utilisation d’un principe général dans une situation inédite
J. Vivès, dans la Revue EPS de juillet 1968, fait grief à J. Le Boulch ainsi qu’à J. Teissié d’adhérer à la théorie des éléments identiques1055. Il annonce : « ‘Le rôle du maître est alors de choisir des exercices tels que certains de leurs éléments puissent se retrouver identiques, dans le plus grand nombre d’exercices. [...] on se demande à quoi pratiquement cela peut aboutir, l’identité pure ne se rencontrant jamais dans la nature.’ » Il en vient alors à défendre l’idée que tout exercice a un pouvoir de généralisation en tant qu’il appelle une réponse dont on peut dégager un principe : « ‘C’est le principe qui se retrouve identique et non les éléments dans la réponse à la nouvelle situation.’ » P. Pesquié signifie cependant, dans la Revue EPS de juillet 1966 : « ‘la plus ou moins grande similitude des tâches facilitera plus ou moins l’activité de l’individu à découvrir les principes essentiels de leur réussite’ »1056. Les auteurs des publications ultérieures parmi celles considérées pour envisager le problème du transfert en EPS lui emboîtent le pas. Il demeure que la question se pose de l’utilisation d’un principe dans une tâche inédite dont la réalisation le requiert. On peut envisager qu’une similitude relativement importante avec celles ayant occasionné la découverte de ce principe la facilitera. Il demeure que celui-ci aura à être mis à l’oeuvre pour effectuer cette tâche, c’est-à-dire qu’il devra autoriser une mise en oeuvre particulière.

Le poids de la technicité des comportements requis dans l’utilisation d’un principe
L’acuité de la question est accrue si on considère que la mise en oeuvre du principe fait appel à des techniques relativement spécifiques. Le compte rendu que donnent à connaître, en 1998, P. Parlebas et E. Dugas le signifie clairement. Ils annoncent : « ‘On constate la présence d’effets d’apprentissage positifs, orientés des sports collectifs vers les jeux traditionnels et réciproquement des jeux traditionnels vers les sports collectifs. [...] Un transfert inter-spécifique positif est ici nettement attesté.’ »1057 Interprétant leurs résultats, ils indiquent : « ‘Au niveau global de l’action mise en jeu par les enfants, ce sont les processus sociomoteurs généraux qui imposent leur réalité inter-individuelle et non les aspects spécifiques de chaque spécialité qui reprendront leur droit dans une phase éventuelle de spécialisation. C’est sans doute cela qui s’exporte d’une activité à l’autre.’ » S’intéressant, d’une part, au « jeu avec ballon », d’autre part, au « jeu sans ballon », ils en viennent à formuler une hypothèse : ‘« la maîtrise du ballon en phase d’interaction motrice présente de fortes exigences techniques et tactiques qui ne s’improvisent pas [...] En revanche, si les conduites sans ballon requièrent des conduites sélectives d’une haute qualité [...] elles font essentiellement appel à des comportements [...] demandant plus d’intelligence motrice que de virtuosité technique. Les processus cognitifs qui sous-tendent cette intelligence sociomotrice s’épanouissent plus rapidement que les processus d’habileté corporelle indispensables à la maîtrise de la balle en déplacement. ’»1058 Ils envisagent dès lors que les différences de transfert observées suivant le sport collectif ou le jeu traditionnel pratiqués dépendent de « ‘la technicité des comportements exigés’ »1059.

La question de l’attitude réductrice des conséquences liées à la nouveauté d’une situation
La question se pose ainsi du transfert de ce qui n’est qu’éventuellement transférable pour effectuer cette tâche. Le problème se complique si on envisage que ce transfert peut être certes utile, mais est aussi vraisemblablement insuffisant pour la réaliser. Il en va dès lors de l’activité du sujet. P. Pesquié suggère, dans la Revue EPS de juillet 1966, l’importance de l’attitude de recherche d’un principe1060. Cette suggestion apparaît recevoir l’aval de ceux qui réfléchissent au transfert dans le cas de l’EPS. Elle invite à envisager la mise en place comme la mise en oeuvre d’une attitude de recherche de l’utilisation d’un principe. Il pourrait s’agir, comme l’indiquent P. Parlebas et J. Vivès dans leur plan expérimental, d’apprendre à apprendre1061. Il pourrait être question, si on suit le propos que tiennent P. Giraud et P. Cassard dans leur compte rendu d’expérimentation, d’une « attitude réflexive active »1062. Il en irait, selon M. Dubois et P. Godin, du développement de « “learning sets” (dispositions à apprendre) »1063... Il serait ainsi question d’une recherche intentionnelle visant à tirer le meilleur parti de ce qui a été acquis. Elle permettrait ainsi de réduire les conséquences liées à l’écart entre la situation nouvelle et celles déjà rencontrées. Elle serait dès lors au service du transfert. Il convient d’envisager, aussi et néanmoins, qu’elle en procède.

Une attitude transférable par essence ?
On peut supposer que l’attitude du sujet tamponne les effets de la nouveauté d’une tâche dont la réalisation concerne un principe auquel il a déjà eu affaire. Son attitude lui permettrait dès lors de faire face aux particularités de cette tâche. Elle serait alors le ferment essentiel du transfert. S’il en est ainsi ce peut être qu’elle est transférable par essence et indépendamment de la tâche en laquelle elle est censée jouer. Il demeure qu’elle peut ne pas autoriser ipso facto sa réalisation. Il est à noter, par ailleurs, que ceux qui réfléchissent au transfert dans le cas de l’EPS ne paraissent pas accorder à l’attitude une aussi grande transférabilité. P. Giraud et P. Cassard considèrent certes l’existence d’une « ‘attitude active devant une nouvelle situation’ »1064. M. Dubois et P. Godin envisagent, eux, celle de « ‘dispositions à apprendre’ »1065. Ils signifient l’importance de « l’apprentissage sous forme variée » en ces termes : « ‘L’importance du facteur diversité est interprétée par le fait qu’il oblige l’acquisition d’habitudes à regarder, chercher, explorer [...] qu’il développe une attitude de recherche active’ ». Ce qui invite à envisager qu’il est question d’attitudes ou que l’attitude à rapport à des habitudes en prise avec les situations rencontrées. Pour P. Parlebas, les « ‘attitudes font essentiellement référence au ressenti psycho-socio-moteur’ »1066. Elles sont alors fonction des caractéristiques des activités physiques pratiquées.

La question du général et du particulier
On peut envisager, dès lors, que l’attitude, non seulement participe au transfert, mais encore procède du transfert. Ce qui suggère que sa mise en place, comme sa mise en oeuvre, soit fonction des situations en lesquelles elle a pu s’exercer. Or, s’il en est ainsi, c’est qu’elle peut ne pas jouer forcément, systématiquement et par nature, lorsqu’il s’agit de réaliser une tâche nouvelle. Ce qui peut s’expliquer de diverses manières. Si on suit M. Dubois et P. Godin, l’exercice de l’attitude appelle la mise en oeuvre de méthodes. Celles-ci seraient alors aux attitudes ce que les techniques sont aux principes d’action, si on se réfère à P. Parlebas et E. Dugas. P. Parlebas, quant à lui, suggère que principes et attitudes soient relativement interdépendants. Dès lors, le transfert ou la transférabilité de ceux-ci pourraient être fonction du transfert ou de la transférabilité de celles-là. Il convient, en tout état de cause, d’envisager que la question du transfert n’est pas réglée par celle de l’attitude. Cette dernière se révèle en effet de nature à en renforcer l’acuité. Le problème du transfert se révèle ainsi question du général et du particulier. Il est celui d’une acquisition d’ordre général à partir d’acquisitions particulières. Il est, de façon indissociable, celui d’une acquisition particulière à partir de d’une acquisition d’ordre général. Qu’en est-il au plan des conceptions relatives à la « vie physique » en EPS ?

Notes
1055.

Vivès (J.), Op. Cit., p. 4

1056.

Pesquié (P.), Op. Cit., p. 65

1057.

Parlebas (P.), Dugas (E.), Op. Cit., p. 45

1058.

Ibid., p. 46

1059.

Ibid., pp. 46-47

1060.

Pesquié (P.), Op. Cit., p. 64

1061.

Parlebas (P.), Vivès (J.), Op. Cit., p. 20

1062.

Giraud (P.), Cassard (P.), Op. Cit., p. 171

1063.

Dubois (M.), Godin (P.), Op. Cit., p. 68

1064.

Giraud (P.), Cassard (P.), Op. Cit., p. 171

1065.

Dubois (M.), Godin (P.), Op. Cit., p. 68

1066.

Parlebas (P.), La psycho-socio-motricité, Revue EPS, n° 87, juillet 1967, p. 12