Des acquisitions dont le caractère général affirmé est à mettre en question
Il est un point commun aux propositions que font les tenants des différentes conceptions relatives à la « vie physique », qui concerne les acquisitions visées. Chacune repose sur une acquisition ayant portée suffisamment générale pour valoir au-delà de l’EPS et du temps de la scolarité. C’est ainsi que D. Delignières et C. Garsault considèrent qu’il s’agit de permettre aux élèves de « construire une relation de plaisir avec les APS »1067. Ils l’envisagent même en tant que ‘« savoir fondamental de la discipline » ’qu’est l’EPS. Il faut en effet, soulignent-ils, que « ‘les élèves aient envie de pratiquer une activité physique, au terme de leur scolarité et tout au long de leur vie’ »1068. G. Cogérino, quant à elle, signifie l’importance de permettre à l’élève : la perception des « bénéfices » associés à une pratique physique ainsi que le « besoin » qu’il en a1069. Il est alors question d’« habitus » et d’intégration « ‘des connaissances à une attitude’ »1070. J. Eisenbeis et Y. Touchard affirment, pour leur part, que l’éducation à la sécurité autorise l’acquisition de « compétences » à « caractère transversal »1071. Elles permettent, selon eux, « ‘d’effectuer quasi instantanément l’identification de la situation, le recueil d’informations, leur traitement et leur interprétation, la prise de décision’ ». J. Le Boulch, enfin, prône l’acquisition de l’« autonomie motrice » et de « ‘la connaissance de son propre fonctionnement ’»1072. Il en va à ses yeux des bases autorisant le sujet à « gérer sa vie physique ». Qu’en est-il du caractère général de ces acquisitions ?
La question d’un rapport favorable à l’activité physique
Pour D. Delignières et C. Garsault, il est une condition minimale et sine qua non à l’acquisition d’une « relation de plaisir avec les APS ». Ils la présentent en ces termes : « ‘Il nous semble nécessaire que chaque élève, au cours de son cursus scolaire, ait vécu la satisfaction d’avoir atteint un niveau significatif de maîtrise dans au moins une activité sportive.’ »1073 Il est, en tout état de cause, évident que l’EPS ne permet de les pratiquer toutes. Si bien que la question se pose du transfert de la relation de plaisir entretenue avec l’une d’elles à l’ensemble des activités physiques. On peut envisager la mise en place d’une disposition favorable à la pratique de l’exercice physique. D. Delignières et C. Garsault signifient que la manière d’enseigner est de nature à jouer en la matière1074. Ils considèrent cependant que le choix de pratiquer une activité physique est « lié à l’importance des besoins de chacun en sensations »1075. Ce qui invite à entendre qu’ils ambitionnent la construction par l’élève d’une relation de plaisir avec quelques APS, sinon une. G. Cogérino remarque quant à elle que les adolescents perçoivent différemment des adultes « l’intérêt de pratiquer régulièrement une activité physique »1076. Elle suggère qu’on introduise en EPS la pratique de types d’activités et de modalités de pratique susceptibles de recueillir les faveurs des adultes. Elle propose aussi qu’on permette à l’élève de connaître ses besoins, ses capacités et limites en matière d’activité physique. Les propositions de D. Delignières et C. Garsault ou de G. Cogérino conduisent dès lors à poser deux questions qu’ils passent sous silence. La première est celle du choix d’une ou plusieurs activités physiques dont la pratique se prolongerait une vie durant. La seconde concerne la mise en place d’une relation à une activité physique qui serait susceptible de généralisation.
La question des limites à l’utilisation de ce qui a été acquis à travers la pratique de plusieurs activités physiques au-delà de celles-ci
J. Eisenbeis et Y. Touchard envisagent une éducation à la sécurité pour permettre au sujet de faire face « dans un contexte donné d’incertitude ». Ils visent à le rendre capable d’analyser toute situation pour y faire montre d’un comportement pertinent et efficace. Ils envisagent, pour y parvenir, une mise en synergie des disciplines scolaires1077. Ils ne renseignent néanmoins pas quant à la marche à suivre dans la perspective de lui donner corps. Ils affirment en outre, pour ce qui est de l’EPS : ‘« variété et complémentarité des activités sont nécessaire à une programmation ’»1078. Ils fournissent une grille d’analyse des activités au regard de laquelle il s’agit, selon eux, de choisir les activités à pratiquer. Il est question des « ‘ressources qu’elles développent’ », selon qu’elles sont énergétiques, affectives, informationnelles. Il s’agit, aussi, de tenir compte des « types de relations » entre l’individu et le milieu ou interindividuelles qu’elles mettent à l’oeuvre. Il y a, enfin, à veiller à « la nature des informations » à prendre, suivant qu’elles sont de type extéroceptif ou intéroceptif. Il est à noter que chaque activité physique se distingue de toute autre sur ces trois plans. Cette observation invite à se soucier d’une classification des activités physiques. Or, J. Eisenbeis et Y. Touchard n’en élaborent point et ne convient à se référer à aucune. Quand bien même le feraient-ils, un problème resterait à traiter : celui de la portée de ce qui a été acquis à travers plusieurs activités physiques au-delà de celles-ci.
La portée de l’autonomie motrice et de la connaissance de son propre fonctionnement en question
Il est, pour J. Le Boulch, des acquisitions de nature à permettre au sujet de ‘« gérer sa vie physique tant dans le quotidien, qu’au travail, qu’au loisir ’»1079. Il apparaît qu’elles ne permettent pas par nature de faire face à toute situation. C’est ainsi que le manutentionnaire doit apprendre des « ‘moyens simples afin de décontracter les zones qui ont été les plus sollicitées par l’effort’ »1080. Il convient dès lors de considérer que les « compétences fonctionnelles » acquises sont de nature à autoriser une acquisition du type de celle invoquée dans le cas de la manutention. J. Le Boulch indique, de fait : « ‘Gérer sa vie physique à l’âge adulte signifie entre autres choses avoir la possibilité [...] de réajuster ses automatismes en vue de faire face à la diversité des situations. Parfois, lorsqu’on aborde la pratique d’un nouveau sport, il sera nécessaire d’acquérir de nouveaux savoirs moteurs. [...] Il faut donc au cours de l’adolescence passer de l’apprentissage à la connaissance de la façon d’apprendre.’ »1081 Cette observation conduit à s’interroger quant à la portée de ces acquisitions. Il semble en effet que le sujet peut avoir appris, savoir apprendre et ne pas savoir pour autant quoi apprendre.
Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 158
Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 157
Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 16
Cogérino (G.), Op. Cit., p. 17
Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 3
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 343
Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 161
Ibid., pp. 159-160
Ibid., p. 158
Les auteurs font référence à :
Goma i Freixanet (M.), Personality profile of subjects engaged in high physical risk sports, Personality and Individual Differences, n° 12, 1991, pp. 1087-1093
Kerr (J.H.), Arousal-seeking in risk sport participants, Personality and Individual Differences, n° 12, 1991, pp. 613-616
Rossi (B.), Cereatti (L.), The sensation seeking in mountain athletes as assessed by Zuckerman’s Sensation Seeking Scale, International Journal of Sport Psychology, n° 24, 1993, pp. 417-431
Delingières (D.), Risque préférentiel, risque perçu et prise de risque, in : Famose (J.-P.), Cognition et performance, Paris : INSEP, 1993, pp. 79-102
Kendzierski (D.), DeCarlo (K.J.), Physical Activity Enjoyent Sclae : Two validation studies, Journal of Sport and Exercice Psychology, n° 13, 1991, pp. 50-64
Cogérino (G.), Op. Cit., p. 16
Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 70, 75
Ibid., p. 71
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 343
Ibid., p. 347
Le Boulch (J.), Mouvement et développement de la personne, Paris : Vigot, collection : Essentiel, 1995, p. 296