3.2.3 Second aspect de la question du transfert au plan de la « vie physique »

Des acquisitions particulières dont la contribution à des acquisitions d’ordre général est à mettre en question
Les différentes conceptions concernant la « vie physique » mettent en avant des acquisitions diverses, censées avoir portée générale. L’examen des propos des tenants de ces conceptions conduit à mettre en question, sinon à relativiser, la portée de ces acquisitions. D. Delignières et C. Garsault, par ailleurs, envisagent l’enseignement d’une « compétence » à l’occasion d’un cycle d’activité physique1082. Ils signifient par surcroît que leur approche ‘« s’oppose de toute évidence à la multi-activité promue par les enseignants ’»1083. Or, ils affirment que la « compétence » n’est pas spécifique d’une activité sportive1084 ; ils la qualifient d’« éminemment réinvestissable »1085. J. Eisenbeis et Y. Touchard, pour leur part, listent, parmi les « principes incontournables » d’un enseignement pour l’éducation à la sécurité : ‘« celui de la mobilisation des acquis dans une démarche de construction progressive de savoirs et de conduites “sécuritaires”, celles-ci ne pouvant s’ancrer que sur des compétences acquises ’»1086. Or, ils envisagent « ‘d’amener l’enfant à se doter d’un ensemble de conduites sécuritaires, réinvestissables dans la vie quotidienne’ »1087. G. Cogérino, réfléchissant à l’introduction des pratiques d’entretien en EPS indique, quant à elle : ‘« [...] ces contenus doivent être porteurs d’un réinvestissement possible en dehors du cours d’EPS.’ »1088 Or, l’élève ne peut, à l’occasion de ses cours d’EPS, découvrir l’ensemble des pratiques d’entretien corporel. J. Le Boulch, enfin, a le projet d’utiliser la motricité « ‘en vue du développement de la personne’ »1089. Il est ainsi question des effets d’une acquisition sur une autre, concourant à « la possibilité de gérer sa vie physique »1090. Ces observations invitent ainsi à s’inquiéter de la mise en place d’une acquisition d’ordre général à partir d’acquisitions particulières.

La question de l’ancrage des acquisitions censées être réinvestissables
D. Delignières et C. Garsault estiment qu’il convient de permettre à l’élève d’acquérir les « compétences » lui permettant de gérer ses loisirs sportifs. Ils donnent leur point de vue quant à la marche à suivre pour y parvenir : « ‘L’installation de compétences significatives ne saurait se réaliser “à vide” sans apprentissages significatifs sur le plan des habiletés motrices’ . »1091 Or, la compétence est, selon eux, constituée de quatre types de ressources : les habiletés motrices, les habiletés méthodologiques, les connaissances et les attitudes1092. Elle est « ‘l’organisation cohérente de ces différents types de ressources et ne peut se résoudre à l’un de ses éléments’ ». Elle est alors dépendante des « ‘apprentissages significatifs sur le plan des habiletés motrices’ ». Or, D. Delignières et C. Garsault l’affirment « éminemment réinvestissable »1093. Il s’agit donc qu’elle puisse se départir de son ancrage en une activité physique et qu’elle soit susceptible de s’ancrer en une autre. L’affirmer réinvestissable conduit ainsi à poser le problème de sa généralisation et de son actualisation plus qu’à le résoudre. Le propos de J. Eisenbeis et Y. Touchard quant à l’élaboration des « conduites sécuritaires » a rapport à la même question. Ils considèrent, en effet, qu’elles ne peuvent s’ancrer que sur des compétences acquises ; ils les veulent, par surcroît, réinvestissables dans la vie quotidienne. C’est alors qu’elles doivent pouvoir rompre cet ancrage pour s’ancrer sur d’autres compétences.

La question de l’ancrage des acquisitions, dans le temps ou dans une activité physique
G. Cogérino affirme, elle, pour ce qui est des pratiques d’entretien corporel en EPS : « ‘[...] l’accent doit être porté sur les contenus d’apprentissage [...] Ceci s’oppose à la tendance qui croit que le “survol” épisodique de quelques situations classiques est bien suffisant ’»1094. Cela donne à penser qu’il est question d’approfondissement du travail relatif à quelques pratiques. G. Cogérino, signifiant l’importance d’un réinvestissement hors des cours d’EPS, ajoute : ‘« Si les élèves perçoivent une “utilité”, un bienfait dans leurs autres activités, il est probable que leur intérêt sera plus marqué.’ » Une différenciation des contenus, qu’elle juge essentielle, pourrait permettre à chacun de trouver chaussure à son pied en la matière. On retrouve alors la question de la mise en place d’un rapport favorable à la pratique physique qui se prolongerait toute la vie. Ainsi que celle de la généralisation d’une disposition favorable à la pratique d’une activité physique. Il s’agit alors de pouvoir se départir d’un ancrage dans le temps présent ou dans une activité physique donnée. C’est ainsi que la conception de G. Cogérino conduit à s’interroger quant à la contribution d’une acquisition particulière à une acquisition d’ordre général. Il en va ainsi de même de sa conception que de celle de D. Delignières et C. Garsault ou de J. Eisenbeis et Y. Touchard.

La question du caractère particulier ou général des acquisitions au regard du temps
J. Le Boulch, quant à lui, envisage la mise à l’oeuvre de la motricité à des fins de développement. Il s’agit alors d’acquisitions contribuant au développement du sujet, mais aussi fonction de son niveau de développement1095. Ce qui invite à considérer que toute acquisition contribue à une acquisition d’ordre plus général. C’est-à-dire, aussi, que toute acquisition est relativement particulière. J. Le Boulch fixe néanmoins des repères. Il précise : « ‘L’action dans le milieu, condition de l’adaptation au réel et facteur du développement, précède la réflexion et en est la condition.’ »1096 Il envisage, en outre, « deux étapes chronologiques », l’une correspondant au « mouvement dit “naturel” », l’autre, au « geste “sportif” »1097. Il demeure, qu’au fil du temps, l’action du sujet doit lui permettre la compréhension de son mode d’agir, donc d’agir sur son action1098. Il en résulte que se pose la question de la spécification du caractère particulier ou général d’une acquisition. C’est ainsi que la question de la contribution d’une acquisition particulière à une acquisition d’ordre général a lieu d’être. Puisque ces attributs se révèlent relativement volatils dans le temps.

De la question de la « vie physique » au problème du transfert
L’étude des propos de ceux qui réfléchissent au transfert dans le cas de l’EPS conduit au repérage d’une intuition fédératrice. Son examen autorise à considérer que le problème du transfert est question du général et du particulier. Celle-ci a rapport à la contribution d’une acquisition particulière à une acquisition d’ordre général. Elle a trait, aussi, à la mise en place d’une acquisition particulière à partir d’une acquisition d’ordre général. Le problème du transfert ainsi posé se révèle valoir pour ce qui est des différentes conceptions relatives à la « vie physique » en présence. Ce qui accrédite l’idée que la question de la « vie physique » réfracte la problématique de l’au-delà qui appelle le traitement du problème du transfert. Celui-ci, cependant, apparaît poser problème lorsqu’on s’intéresse aux écrits relatifs à l’EPS qui le concernent. Si l’intuition fédératrice repérée contribue, quant à elle, à en poser les termes, force est de constater qu’elle ne concourt guère qu’à signifier qu’il fait problème. Les propositions inhérentes aux différentes conceptions quant à la « vie physique » en EPS n’autorisent quant à elles qu’à le repérer à nouveau. Elles sont, d’une part, diverses et variées, elles réfractent, d’autre part, les questions posées à la lumière de la réflexion au transfert dans le cas de l’EPS. Il s’agit dès lors d’envisager d’y apporter réponse.

Notes
1082.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 13

1083.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.-X.), Op. Cit., p. 161

1084.

Delignières (D.), Garsault (C.), Objectifs et contenus de l’EPS, réflexions prospectives, Transversalité, utilité sociale et compétence, Revue EPS, n° 242, juillet-août 1993, p. 11

1085.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 13

1086.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 4

1087.

Ibid., p. 3

1088.

Cogérino (G.), Des pratiques d’entretien corporel aux connaissances d’accompagnement, Dossiers EPS, n° 37, 1998, p. 26

1089.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 104

1090.

Ibid., p. 343

1091.

Delignières (D.), Garsault (C.), Op. Cit., p. 13

1092.

Ibid., p. 11

1093.

Ibid., p. 13

1094.

Cogérino (G.), Op. Cit., p. 26

1095.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 118

1096.

Ibid., p. 117

1097.

Ibid., p. 92

1098.

Ibid., p. 296