Problème de la « vie physique » et intuition fédératrice quant au transfert, dans le cas de l’EPS
La question de la « vie physique » en EPS se révèle question du transfert à envisager pour ce qui est de l’EPS. Il n’est en rien surprenant, dès lors, que celle-ci fasse problème. C’est ainsi que J. Le Boulch est le seul, parmi ceux dont les écrits expriment une conception relative à la « vie physique » en EPS, à traiter du transfert1099. Ce dernier, en outre, n’est plus, depuis les années soixante-dix, objet d’étude premier des chercheurs s’intéressant aux habiletés motrices. Leurs travaux qui y ont trait, par ailleurs, n’apparaissent pas inducteurs essentiels de la réflexion à l’EPS. La lecture des écrits de la Revue EPS indique que le transfert n’est pas centre d’intérêt majeur de ceux qui réfléchissent à l’EPS. Elle permet néanmoins de noter quelques rares productions en lesquelles il est véritablement fait cas du transfert. Elles invitent à une analyse qui n’autorise pas à trancher la question du transfert en ce qui concerne l’EPS. La confrontation de ces publications conduit toutefois à repérer une intuition fédératrice. Les auteurs s’accordent à considérer que le transfert procède d’une posture visant à tirer profit de principes de réalisation. Ils concourent en outre à signifier qu’il en va du repérage de similitudes entre situations rencontrées. Ainsi envisagée, la question du transfert est celle de la possibilité de mise en place d’acquisitions ayant portée relativement générale. Ce questionnement apparaît valoir au plan des conceptions quant à la « vie physique » en EPS repérées : chacune d’elles tient au postulat du caractère transférable d’acquisitions jugées fondamentales.
Pour l’examen de travauxrelatifs au transfert et ne se cantonnant pas au cas de l’EPS
Il apparaît néanmoins que les tenants des différentes conceptions relatives à la « vie physique » en EPS ne débattent pas à propos du transfert. J. Le Boulch prend certes position contre une conception du transfert, qu’il dit « atomistique », inspirée des travaux de E.L. Thorndike1100. Il présente, en contrepartie, son point de vue quant au transfert. Ce dernier, cependant, n’est pas même évoqué dans les écrits, autres que siens, exposant une conception quant à la « vie physique » en EPS. L’intuition fédératrice repérée pour ce qui est du transfert dans le cas de l’EPS appelle, quant à elle, à réfléchir plus avant à la question. Or, son repérage procède de l’examen d’écrits censés rendre compte de la réflexion au transfert en ce qui concerne l’EPS. Il s’agit alors d’envisager le questionnement qu’il suscite à la lumière des travaux relatifs au transfert qui ne se cantonnent pas au cas de l’EPS. Encore faut-il, en premier lieu, spécifier ces travaux. Il semble cohérent de circonscrire leur recherche à ceux concernant la pédagogie. J.-P. Astolfi et S. Laurent signifient de fait que le mot « transfert » ‘« fonctionne d’abord dans la langue pédagogique, avec des emplois aussi fréquents que fluctuants.’ »1101 Ils ajoutent néanmoins qu’il est possible d’envisager le transfert au regard de la psychologie. Cela invite à la prudence quant au choix des références à considérer. Il en va, dès lors, de l’analyse de productions dressant un tableau général des travaux intéressant le transfert.
Au regard de l’analyse des approches du transfert que présente P. Mendelsohn
P. Mendelsohn différencie les approches théorique et expérimentale du transfert1102. L’examen qu’il fait de la première le conduit à noter que le concept de ‘« transfert de connaissances’ » revêt cinq significations. C’est ainsi qu’il annonce : « ‘Pour les théories associationnistes, il désigne essentiellement une altération de la conduite issue de l’interférence positive ou négative entre deux comportements. Pour les développementalistes piagétiens, il représente la résistance qu’offre le réel aux capacités structurantes du sujet. Pour les fonctionnalistes, le transfert de connaissances est avant tout un problème de degré de ressemblance ou de similarité entre tâches. Pour les pédagogues, il s’agit essentiellement d’une qualité propre au sujet, c’est-à-dire une autre manière de parler d’intelligence. Enfin, pour les contextualistes, le problème du transfert de connaissances se résume au concept d’affordance qui désigne une sorte de participation empathique entre le réel et le sujet. » L’auteur ajoute : « Les expérimentalistes préfèrent, eux, montrer les effets du transfert. Avec eux, on débouche sur une question bien classique : l’adéquation entre les connaissances enseignées et les situations dans lesquelles elles sont utilisées.’ »1103 Ainsi le propos de P. Mendelsohn indique-t-il que la question du transfert peut être envisagée de points de vue divers, intéressant la pédagogie ou la psychologie. Il signifie en outre la diversité des courants de la psychologie susceptibles d’être invoqués lorsqu’il s’agit de réfléchir au transfert.
Au regard des six «
schèmes d’intelligibilité
» du transfert que présente L. Toupin
L. Toupin, pour sa part, se réfère à J.-M. Berthelot qui envisage six « schèmes d’intelligibilité » dans le domaine des sciences humaines1104. Il indique alors ce qu’il en est de chacun d’eux dans le cas des recherches portant sur le « transfert de connaissances ». Il apparaît que trois schèmes ont rapport au transfert tel qu’on peut l’envisager à la lumière de travaux relevant de la psychologie. Le schème causal a trait au transfert du point de vue des « théories d’inspiration behavioriste »1105. Le schème structural est relatif au transfert envisagé à partir des « théories développementales » et des « théories cognitives »1106. Le schème herméneutique concerne essentiellement le transfert au regard de la « théorie gestaltiste »1107. L. Toupin présente, en outre, trois autres schèmes signifiant une réflexion au transfert de nature à susciter une prise de position au regard des finalités. Le schème fonctionnel concerne le transfert en tant qu’effet recherché et nécessaire pour assurer la pérennité d’un système1108. Le schème actantiel intéresse les types d’interactions sociales relatives aux nouvelles connaissances comme condition du transfert1109. Le schème dialectique, quant à lui, ‘« permet d’inscrire la finalité d’une activité éducative dans la perspective d’une “situation idéale”’ »1110. On perçoit ainsi à nouveau qu’on peut envisager la question du transfert à partir de travaux intéressant la psychologie ou la pédagogie. On s’aperçoit, aussi, de la diversité des regards susceptibles d’être portés sur celui-ci.
Au regard des « conceptions sur le transfert des apprentissages » que met en question J. Tardif
J. Tardif se réfère quant à lui à A. Marini et M. Genereux qui se sont essayés à mettre en catégories les recherches relatives au « ‘transfert des apprentissages’ »1111. Ces deux auteurs annoncent que les travaux de E.L. Thorndike et R.S. Woodworth ‘« insistent sur des facteurs inhérents aux tâches ou aux activités d’apprentissage et de transfert ’». Ils ajoutent que deux autres courants de recherche ont par la suite vu le jour : « ‘l’un met l’accent sur des facteurs reliés au sujet ou à la personne qui apprend tandis que l’autre attire l’attention sur les facteurs relatifs aux situations ou aux contextes d’apprentissage et de transfert ’». J. Tardif observe en outre que les enseignants « ‘développent divers scénarios pédagogiques, diverses stratégies d’enseignement’ » en vue du transfert. Il considère que ces approches ont contribué à mettre en place des conceptions erronées. Il en inventorie alors quelques-unes, qu’il met en question, opposant à chacune une conception qu’il estime vraisemblable1112. Les intitulés correspondant aux différents points de vue ainsi listés et mis en question sont relativement parlants : ils suggèrent de fait les références majeures à divers travaux émanant de la psychologie ou des sciences de l’éducation. On peut ainsi lire : « ‘1. Le nombre d’éléments communs : un facteur déterminant du transfert ». ’
La difficulté à classer les façons de réfléchir au transfert
Les panoramas ainsi présentés sont de nature à laisser perplexe qui s’enquiert d’une classification des façons de réfléchir au transfert. Ils indiquent certes qu’il y a lieu de s’intéresser au transfert au regard de la pédagogie ainsi que du point de vue de la psychologie. Il apparaît dès lors cohérent que J.-P. Astolfi et S. Laurent se proposent d’envisager la question du transfert en ces deux domaines. Il s’avère cependant difficile de statuer quant à la spécification des travaux émanant de la psychologie à considérer. J.-P. Astolfi et S. Laurent annoncent qu’on peut notamment se référer à ‘« la psychologie génétique de Piaget » ou à la psychologie cognitive dite du “traitement de l’information”’ »1113. J. Tardif évoque, pour sa part, trois courants de recherche. L. Toupin présente quant à lui trois schèmes d’intelligibilité redevables de différents courants de la psychologie. P. Mendelsohn considère, lui, deux approches regroupant cinq tendances quant à la réflexion au transfert en psychologie. L. Toupin, de plus, suggère que d’autres points de vue que ceux relevant strictement de la pédagogie ou de la psychologie peuvent éclairer le problème du transfert. C’est ainsi qu’il mentionne, pour ce qui est du schème herméneutique : la théorie des catastrophes, la théorie des champs morphocinétiques ou encore l’herméneutique de la communication1114. Le propos de L. Toupin invite en outre à considérer qu’une conception du transfert peut relever de différentes théories de référence. C’est ainsi qu’il note, pour ce qui est du schème fonctionnel, des emprunts fréquents aux théories néobehavioristes1115.
Pour l’examen de trois références relatives au transfert et concernant la pédagogie
Ces constatations donnent à penser qu’on ne peut guère espérer étudier la question du transfert à partir d’une classification universelle des travaux qui y ont trait. Mieux vaut alors réfléchir aux références à considérer au regard des données stabilisées quant au problème de la « vie physique » en EPS. S’il s’est avéré question du transfert, il a d’abord été repéré comme appelant à donner corps à un enseignement. C’est ainsi qu’il se révèle judicieux de s’intéresser en premier lieu aux productions relatives à la pédagogie qui ont explicitement et essentiellement trait au transfert. Un questionnement a pu être établi, par ailleurs, concernant le problème de la « vie physique » en EPS : il a trait à l’existence d’acquisitions ayant portée relativement générale. On peut envisager deux réponses opposées à la question : l’une signifie la réalité d’acquisitions généralisables par nature, l’autre, que tout apprentissage est spécifique à la situation qui l’a occasionnée. Il s’agit alors de s’intéresser aux écrits envisageant a minima ces deux éventualités. Ceux retenus doivent en outre donner à connaître un point de vue arrêté. Il convient en effet qu’ils contribuent à apporter réponse au questionnement considéré. Trois références ont été repérées, qui présentent les caractéristiques explicitées. L’une, sortie en 1992, émane de J.-P. Astolfi et S. Laurent1116 ; une autre, publiée en 1993, a pour auteurs P. Meirieu et M. Develay1117, une autre encore a paru en 1995 et est signée de B. Rey1118.
Pour un examen de points de vue contradictoires quant au transfert dans le domaine de la pédagogie
La question se pose, dès lors, des modalités de l’examen qu’occasionnent ces écrits. Là encore, les données arrêtées quant au problème de la « vie physique » sont de nature à guider la démarche. Celui-ci appelle à réfléchir à ce qui peut être acquis en EPS, qui vaut au-delà, dans une perspective d’éducation. Ainsi les différents points de vue en présence sont-ils à considérer à deux niveaux : d’une part, au plan de leur validité pour ce qui est des apprentissages scolaires, d’autre part, en ce qui concerne leur recevabilité au regard de la finalité d’éducation. Il s’avère, par ailleurs, que les auteurs des écrits à examiner analysent deux options qu’ils opposent. P. Meirieu et M. Develay nomment les tenants de la première « méthodologues » et ceux de la seconde « didacticiens »1119. La critique que font P. Meirieu et M. Develay, J.-P. Astolfi et S. Laurent ainsi que B. Rey de chacune est ainsi à étudier. Comme il est question de critique, il est judicieux de prendre en considération, aussi, le point de vue de ceux qui prônent les options mises en question. Ainsi ne faut-il pas s’en tenir à la critique de l’option de ceux qu’on peut, à l’instar de P. Meirieu et M. Develay, dénommer « méthodologues ». Il convient, en sus, de s’intéresser aux propos des tenants de l’éducation cognitive. Cela appelle dès lors l’examen de synthèses ou de textes originaux relatifs à ce courant de pensée. Qu’en est-il du débat auxquels les uns et les autres sont ainsi convoqués ?
Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques corporelles, 1998, 382 p.
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 113
Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Le transfert, enjeu des apprentissages, Cahiers Pédagogiques, n° 304-305, mai-juin 1992, p. 80
Mendelsohn (P.), Le concept de transfert, in : Meirieu (P.), Develay (M.), Le transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue, Actes du colloque organisé à l’université Lumière Lyon 2, Lyon : CRDP, 1996, p. 15
Mendelsohn (P.), Op. Cit., p. 11
Toupin (L.), De la formation au métier, Savoir transférer ses connaissances dans l’action, Paris : ESF éditeur, collection : Pédagogies, 1994, p. 97
L’auteur fait référence à :
Berthelot (J.-M.), L’intelligence du social, Paris : PUF, 1990
Toupin (L.), Op. Cit., pp. 97-101
Ibid., pp. 101-112
Ibid., pp. 112-117
Ibid., pp. 117-121
Ibid., pp. 121-128
Ibid., p. 132
Tardif (J.), Le transfert des apprentissages, Montréal : Les éditions Logiques, collection : Théories et pratiques dans l’enseignement, 1999, pp. 23-24
L’auteur fait référence à :
Marini (A.), Genereux (R.), The challenge of teaching for transfer, in : McKeough (A.), Lupart (J.), Marini (A.), Teaching for transfer, Fodstering generalization in learning, NJ : Laurence Erlbaum Associates, 1995, pp. 1-20
Tardif (J.), Op. Cit., pp. 25-53
Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 80
Toupin (L.), Op. Cit., pp. 114-117
Ibid., p. 118
Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., pp. 78-83
Meirieu (P.), Develay (M.), Emile, reviens vite... ils sont devenus fous, Paris : ESF éditeur, collection : Pédagogies, 1993, 211 p.
Rey (B.), Les compétences transversales en question, Paris : ESF éditeur, collection : Pédagogies, 1995, 216 p.
Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 144, 151