1.1 La critique de l’option des « méthodologues »

1.1.1 Les paramètres de la mise en question de l’option des « méthodologues »

La réflexion à une formation de l’intelligence avec des outils méthodologiques généraux
J.-P. Astolfi et S. Laurent constatent l’essor, en pédagogie, de méthodes que l’on regroupe souvent sous le générique d’éducabilité cognitive1120. Celles-ci, annoncent-ils, ont pour objet « ‘l’apprentissage direct de capacités générales, indépendamment des disciplines’ ». P. Meirieu et M. Develay indiquent pour leur part qu’« apprendre à apprendre » constitue la devise des « méthodologues »1121. Ils ajoutent que ceux-ci considèrent que la fonction première de l’Ecole est de fournir à l’élève des méthodologies. Ces deux auteurs signifient qu’il en va d’une croyance « ‘dans l’existence de méthodologies générales susceptibles de permettre de s’approprier tous les savoirs en construisant en amont et de manière déconnectée par rapport à eux, une intelligence efficace ’»1122. Ils se prononcent aussi quant à l’influence, en matière de pédagogie, des propositions émanant des « méthodologues ». Elle est, à leurs yeux, redevable du développement du courant de pensée se réclamant explicitement de l’éducabilité cognitive1123. B. Rey signifie, lui aussi, que ce courant de pensée vise à « apprendre à apprendre »1124. Selon lui, il rassemble les ‘« tentatives qui, avant de faire apprendre des connaissances, des contenus disciplinaires [...] tentent d’éduquer les facultés de connaître ». ’

Pour une réflexion à l’option des «  méthodologues  » au regard du transfert
B. Rey, comme J.-P. Astolfi et S. Laurent, s’accorde ainsi avec P. Meirieu et M. Develay qui notent que l’option des « méthodologues » tient à une affirmation : on peut « ‘former l’intelligence d’un sujet avec des outils méthodologiques généraux et sans contenu de savoir précis »1125.’ Il en va dès lors d’une analyse au regard de la question du transfert. J.-P. Astolfi et S. Laurent le signifient sans ambiguïté qui intitulent un paragraphe de leur écrit : « Le transfert et l’éducabilité cognitive »1126. B. Rey mentionne, lui aussi, que les méthodes relevant de ce courant de pensée ont rapport au transfert ; il se réfère à A. Moal pour annoncer que ‘« Toutes les méthodes travaillent sur les compétences transférables ou transversales ’»1127. P. Meirieu et M. Develay indiquent, eux : ‘« [...] il s’agit de se demander s’il existe ou non des acquisitions intellectuelles qui seraient communes à l’ensemble des disciplines et qui pourraient aisément se transférer de l’une vers l’autre. On voit que, de la réponse à cette question, dépend toute l’organisation des enseignements et de la scolarité : on voit aussi qu’il s’agit de trancher sur le bien-fondé de méthodes qui se veulent inter ou a-disciplinaires et qui inondent aujourd’hui le marché sous le nom de “méthodes d’éducabilité cognitive”. »1128

Une réflexion essentiellement relative aux ARL de P. Higelé et au PEI de R. Feuerstein
Il s’agit ainsi d’envisager l’option des « méthodologues » au regard de la question du transfert. Il apparaît, cependant, qu’il est nombre de méthodes à relever du courant de l’éducabilité cognitive. B. Rey ne manque pas de le noter : il mentionne une étude menée sous la direction de M. Sorel, qui en analyse vingt-six au total et précise qu’il ne s’agit nullement d’un inventaire exhaustif 1129. P. Meirieu et M. Develay remarquent, eux, qu’il existe un grand nombre de programmes. Ils mentionnent : les Ateliers de Raisonnement Logique, ou ARL, qu’a formalisés P. Higelé, la méthode Ramain, la méthode Tanagra, conçue par Y. Pinor et H.J. Cottin. Ils ajoutent : « ‘On découvre surtout, semble-t-il, et de plus en plus, l’intérêt du P.E.I. (programme d’enrichissement instrumental) élaboré par le professeur Feuerstein ’»1130. P. Meirieu et M. Develay font une analyse critique qui se veut concerner l’ensemble des méthodes ; ils ne rapportent cependant que des résultats de recherches consacrées au PEI1131. La pluralité de méthodes constatée conduit B. Rey à cantonner son analyse à deux d’entre elles : les ARL et le PEI1132. J.-P. Astolfi et S. Laurent, eux aussi, ne s’intéressent qu’à celles-ci1133. Ils estiment de fait qu’elles sont les plus connues parmi celles relevant du courant de l’éducabilité cognitive1134. C’est ainsi un éventail relativement restreint de méthodes que P. Meirieu et M. Develay, B. Rey ou J.-P. Astolfi et S. Laurent examinent.

ARL et PEI : pour l’apprentissage de capacités transversales, à partir de contenus différents des contenus scolaires
Seul, B. Rey analyse le détail des modalités de travail relatives aux ARL et au PEI. Il cite P. Higelé pour préciser : ‘« La théorie piagétienne de l’intelligence se révèle une grille d’analyse pertinente en tant qu’elle permet de repérer les difficultés des apprenants en termes d’opérations intellectuelles et non plus simplement en termes de connaissances. »’ 1135 B. Rey observe, à l’examen du livret du stagiaire bénéficiant des ARL, que les exercices, s’ils sont exempts de contenus scolaires, ne sont pas vides de tout contenu1136. Ils visent selon lui à la réitération d’une opération alors que le contenu change, invitant ainsi le sujet centrer son attention sur celle-ci1137. B. Rey repère ces caractéristiques au plan du PEI1138, même s’il signale que les opérations à développer sont envisagées différemment. Selon lui, la théorie de R. Feuerstein, comme la pratique du PEI, indique que les opérations cognitives ne se réduisent pas aux structures opératoires qu’a dégagées J. Piaget ; d’autres sont envisagées qui leur sont préalables et servent de substrat : « ‘il s’agit de la sélection des éléments pertinents du monde, de leur mise en relation et de leur organisation ; ou peut-être même s’agit-il d’une capacité encore plus fondamentale qui consisterait à vouloir donner sens au monde »1139. ’

ARL et PEI : la mise en évidence du rôle central de médiateur dans l’apprentissage de capacités transversales
B. Rey repère ainsi que les ARL et le PEI visent à l’apprentissage de capacités transversales. Cela appelle à déterminer les modalités d’intervention censées autoriser cet apprentissage. B. Rey s’emploie de fait à leur spécification. Son examen des ARL le conduit à indiquer l’importance cardinale des modalités de travail en ceux-ci. Il montre l’intérêt qu’on y accorde aux échanges intersubjectifs quant aux modes de résolution des exercices1140. Il insiste, aussi, sur l’attitude que doit avoir le formateur, soulignant notamment, à l’instar de P. Higelé, G. Hommage et E. Perry : ‘« il sera le médiateur entre l’apprenant et son environnement [...] cherchant avec lui des situations qui exigent la mise en oeuvre des opérations intellectuelles travaillées dans l’atelier »’ 1141. B. Rey considère aussi que les modalités d’intervention occupent place centrale au plan du PEI : « Le PEI n’est rien d’autre que la mise en place, chez les enfants et les adolescents qui en ont été privés, d’une expérience médiatisante. »1142 P. Meirieu et M. Develay soulignent, eux aussi, l’importance du médiateur dans la théorie de R. Feuerstein1143. B. Rey emprunte à J.C. Meunier, qui cite R. Feuerstein, pour indiquer : « ‘Il modifiera donc la qualité, la fréquence et l’ampleur des stimuli qu’il aimerait faire percevoir jusqu’à ce que l’individu puisse bénéficier de son expérience’ »1144. La transcendance, qui est l’un des douze critères au travers desquels R. Feuerstein définit la médiation, retient son attention. B. Rey observe qu’elle relève d’une attitude invitant le formé à généraliser. Il suggère même qu’‘« elle est destinée à engendrer la capacité la plus générale qui soit, c’est-à-dire la capacité à transférer’ »1145.

La mise en question des ARL et du PEI au regard de leurs caractéristiques essentielles
Cet examen des ARL et du PEI conduit au repérage de caractéristiques essentielles qui leur sont de plus communes. Il révèle qu’ils visent à l’apprentissage de capacités transversales à partir de contenus différents de ceux relatifs aux disciplines scolaires. Celui-ci est, en outre, jugé fonction de la relation de médiation que le formateur met en place. La critique des ARL et du PEI concerne, de fait, ces attributs. P. Meirieu et M. Develay avancent que l’option des « méthodologues » tient à ‘« une lecture “spontanée” de la plupart des expériences cognitives »’ 1146. J.-P. Astolfi et S. Laurent se demandent, eux, s’il est pertinent de concevoir les structures opératoires comme des objets mentaux sur lesquels peut directement porter l’entraînement1147. Ils envisagent, en outre, que celui-ci peut ne pas autoriser la perception de la portée des acquisitions qu’il est censé permettre. B. Rey s’interroge de fait, à propos d’exercices des ARL mettant en scène des actions et des objets qui se réfèrent à la réalité : il se demande si leur habillage ne risque pas de voiler le caractère général de la structure logique sous-jacente1148 J.-P. Astolfi et S. Laurent, par ailleurs, annoncent : « ‘si comportements et performances des élèves dépendent d’abord du type de rapport que l’animateur de ces activités peut créer avec les élèves [...] le transfert dans les tâches scolaires risque de ne pas être évident.’ »1149

Notes
1120.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 78

1121.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 144

1122.

Ibid., pp. 144-145

1123.

Ibid., p. 146

1124.

Rey (B.), Op. Cit., p. 95

1125.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 144

1126.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., pp. 82-83

1127.

Rey (B.), Op. Cit., p. 95

L’auteur fait référence à :

Moal (A.), Théorisation de la pratique et pratique de la théorisation dans l’utilisation d’une méthode de remédiation cognitive, in : Sorel (M.), Questions de pratique, L’éducabilité cognitive : une nouvelle compréhension des conduites d’apprentissage, Paris : Université René Descartes, 1991, p. 40

1128.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 142-143

1129.

Rey (B.), Op. Cit., p. 96

L’auteur fait référence à :

Sorel (M.), Op. Cit., p. 315

1130.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 146-147

1131.

Ibid., pp. 147-150

1132.

Rey (B.), Op. Cit., p. 96

1133.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., pp. 78-79, 82-83

1134.

Ibid., p. 78

1135.

Rey (B.), Op. Cit., p. 97

L’auteur fait référence à :

Higelé (P.), Les activités de remédiation cognitive d’inspiration piagétienne, Éducation permanente, n° 88-89, p. 124

1136.

Rey (B.), Op. Cit., p. 97

L’auteur fait référence à :

Higelé (P.), Hommage (G.), Perry (E.), Ateliers de raisonnement logique, Exercices progressifs pour l’apprentissage des opérations intellectuelles. Livret du stagiaire, nouvelle éditions revue et corrigée, Nancy : CAFOC Nancy-Metz, Ministère de l’Education Nationale, 1989, pp. 1-2, 6-8

1137.

Rey (B.), Op. Cit., p. 99

L’auteur fait référence à :

Higelé (P.), Hommage (G.), Perry (E.), Ateliers de raisonnement logique, Exercices progressifs pour l’apprentissage des opérations intellectuelles. Livret du formateur, Nancy : CAFOC Nancy-Metz, Ministère de l’Education Nationale, 1989, 3ème édition, p. 10

Hommage (G.), Perry (E.), Les ateliers de raisonnement logique (ARL), mise en oeuvre, diagnostic, évaluation, Éducation permanente, n° 88-89, p. 130

1138.

Rey (B.), Op. Cit., pp. 105-108

1139.

Ibid., p. 109

1140.

Ibid., pp. 101-104

1141.

Ibid., p. 104

L’auteur fait référence à :

Higelé (P.), Hommage (G.), Perry (E.), Op. Cit., p. 29

1142.

Rey (B.), Op. Cit., p. 113

1143.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 146-147

1144.

Rey (B.), Op. Cit., p. 113

L’auteur fait référence à :

Meunier (J.C.), Théorie de la médiation et didactique du PEI, Education Permanente, n° 88-89, p. 160

1145.

Rey (B.), Op. Cit., p. 113

1146.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 145

1147.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., pp. 82-83

Les auteurs font référence à :

Malglaive (G.), Enseigner à des adultes, Paris : PUF, 1990

1148.

Rey (B.), Op. Cit., p. 99

1149.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 82