Des méthodes qui se sont développées sur des publics défavorisés
J.-P. Astolfi et S. Laurent, comme P. Meirieu et M. Develay ou B. Rey, portent un regard critique sur les ARL et le PEI. Il en va ainsi d’une mise en question des fondements théoriques de ces deux méthodes ainsi que des modalités pratiques correspondant à chacune d’elles. Cette analyse suggère dès lors une posture de nature à inviter essentiellement à la contradiction. Si bien que P. Meirieu et M. Develay sont les seuls à tenter un inventaire systématique des éléments à porter au crédit des méthodes d’éducabilité cognitive. Ainsi trouvent-elles grâce, à leurs yeux, sur le plan des finalités : ‘« le développement des méthodes d’éducabilité cognitive s’est effectué, essentiellement, sur des publics très faiblement scolarisés et pour lesquels toutes les tentatives de formation précédentes s’étaient avérées inefficaces ; il a ainsi contribué à attirer l’attention sur ces publics particulièrement défavorisés et qui [...] étaient le plus souvent laissés en “jachère formative’
” »1150. Ils précisent qu’il a été initialement question d’éducabilité cognitive, en France, pour aider à la reconversion d’ouvriers et d’employés de bas niveau de qualification1151. B. Rey, se référant à P. Higelé, G. Hommage et E. Perry, signale, quant à lui, que les ARL concernent un public faible sur le plan scolaire1152. P. Meirieu et M. Develay rapportent, en outre, que le PEI était, à l’origine, destiné à l’éducation des nouveaux enfants immigrés ne maîtrisant pas la langue hébraïque1153
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Des méthodes qui reposent sur un postulat d’éducabilité
Il en va alors d’un postulat d’éducabilité ; P. Meirieu et M. Develay indiquent en effet : ‘« ces méthodes ont en commun le fait de postuler l’éducabilité des sujets et s’inscrivent donc à l’intérieur d’un parti pris éthique qui est aussi le notre »’
1154. Les ARL et le PEI apparaissent ainsi, aux yeux de P. Meirieu et M. Develay, méthodes recevables au regard de la finalité d’éducation. Les raisons qu’ils invoquent pour se justifier se révèlent, en outre, cohérentes avec l’analyse que fait B. Rey de ces deux programmes d’éducabilité cognitive. Il souligne que les ARL sont une méthode de formation, que ses promoteurs visent à transformer les sujets qui en bénéficient1155 Ce qu’il annonce quant à la mise en place du PEI se révèle plus explicite : « ‘[...] dans les années qui suivirent la Seconde guerre mondiale, Reuven Feuerstein eut à s’occuper d’enfants et d’adolescents en grande difficulté, jeunes immigrants en Israël, de parents déportés, ayant parfois connu eux-mêmes l’expérience des camps de concentration. Ces jeunes ont évidemment d’énormes carences dans tous les domaines, et, notamment, sur le plan des connaissances et sur celui des capacités cognitives. Pourtant, de ceux qu’il appelle “déprivés culturels”, Feuerstein affirme d’une manière indéfectible l’éducabilité. »1156
’
Selon P. Meirieu et M. Develay, l’éventualité d’effets positifs dus au postulat d’éducabilité
Il est question, souligne B. Rey, d’un postulat selon lequel tout sujet peut réaliser des apprentissages qui améliorent ses possibilités intellectuelles. Selon cet auteur, « ‘Si les ARL empruntent à la théorie piagétienne l’idée de structure opératoire, ils s’en éloignent sur un autre point décisif : l’acquisition des structures logiques n’est pas renvoyée à la nécessité interne du développement psychologique. Elle peut être provoquée et organisée et est donc l’effet d’un apprentissage. »1157 Il ajoute, qu’au contraire de J. Piaget, « Feuerstein pense [...], comme les promoteurs des ARL, que l’émergence de capacités transversales peut être l’effet d’un apprentissage »’
1158. On peut ainsi considérer que les tenants des ARL ou du PEI postulent l’éducabilité des sujets en tant qu’ils affirment l’éducabilité cognitive. P. Meirieu et M. Develay jugent que ces méthodes valent au regard du postulat d’éducabilité ; elles sont ainsi à leurs yeux de nature à induire des effets positifs au plan éducatif. Ils annoncent à leur propos que « ‘le seul fait de récuser tout fatalisme, d’affirmer l’éducabilité de l’autre et de s’efforcer de la concrétiser, produit, sans aucun doute, des effets positifs »’
1159. Ils prennent alors résolument position en faveur de ce parti pris : « ‘la manière dont se réorganisent les attitudes des formateurs autour de ce postulat, la transformation inévitable des relations avec les formés, [...] tout cela s’inscrit dans des perspectives éducatives qui sont aussi très largement les nôtres’ ».
Selon P. Meirieu et M. Develay, une conception de la culture idoine à l’École
B. Rey note par ailleurs que le formateur visant à faire bénéficier des ARL doit veiller à l’élargissement des situations d’apprentissage. Il en va, selon lui, de son rôle de médiateur entre l’apprenant et l’environnement. Il s’agit de l’aider à relier les situations d’apprentissage à d’autres contextes1160. B. Rey ajoute : « ‘Ce que le PEI tenterait d’inculquer, c’est peut-être certaines capacités logiques, mais, surtout et d’abord, la volonté de comprendre, la volonté de lier les uns aux autres les événements [...] l’habitude d’anticiper, la capacité à distinguer entre ce qui a de l’importance et ce qui n’en a pas. ’»1161 Ces considérations réfractent une conception de la culture. La lecture que font P. Meirieu et M. Develay des méthodes d’éducabilité cognitive les conduit à signifier qu’elle est idoine à l’École1162. Ils précisent : ‘« pour elles, la culture n’est pas une fin en soi, elle est un moyen offert à l’individu pour affronter des situations nouvelles, s’enrichir à sa propre initiative’ ». Ils en viennent alors à signifier clairement leur adhésion : ‘« Si, à l’instar de ces méthodes, l’École se donnait comme but de faire réussir les enfants à autre chose qu’aux épreuves proprement scolaires, on avancerait sans doute vers une meilleure perception de sa fonction sociale ! » ’
Pour l’examen des résultats des outils d’éducabilité cognitive
C’est ainsi que P. Meirieu et M. Develay soulignent deux aspects essentiels, et positifs à leurs yeux, des méthodes d’éducabilité cognitive. Ils jugent, d’une part, que le parti pris éthique relatif au postulat d’éducabilité est de nature à induire des effets positifs au plan éducatif. Ils estiment, d’autre part, que les méthodes d’éducabilité cognitive promeuvent une conception de la culture souhaitable en matière d’éducation. Ainsi en va-t-il de l’essentiel de ce qu’ils présentent en tant qu’éléments incontestablement positifs sur le plan des finalités1163. Ces analyses, cependant, n’apportent pas réponse aux questions notées à la lecture de J.-P. Astolfi et S. Laurent, P. Meirieu et M. Develay ou B. Rey. Elles n’exonèrent pas non plus de tenter d’y répondre. P. Meirieu et M. Develay, à l’instar des tenants des ARL ou du PEI, postulent l’éducabilité des sujets ; ce qui ne signifient pas qu’ils s’accordent avec ceux-ci quant à l’éducabilité cognitive. Aussi invitent-ils à s’interroger : ‘« [...] que peut-on dire aujourd’hui, sur le plan scientifique, des résultats de ces outils d’éducabilité cognitive ? »1164
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Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 148
Ibid., p. 146
Rey (B.), Op. Cit., p. 97
L’auteur fait référence à :
Higelé (P.), Hommage (G.), Perry (E.), Op. Cit., p. 19
Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 147
Ibid., p. 147
Rey (B.), Op. Cit., p. 101
Ibid., p. 110
Ibid., p. 100
Ibid., p. 110
Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 148
Rey (B.), Op. Cit., p. 104
Ibid., p. 109
Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 148
Ibid., pp. 147-148
Ibid., p. 149