1.1.3 L’option des « méthodologues » au regard des apprentissages scolaires

La difficulté méthodologiqueà mesurer les effets d’un outil d’éducabilité cognitive
P. Meirieu et M. Develay soulignent la difficulté à mesurer les effets d’une méthode d’éducabilité cognitive : « ‘l’expérimentation, dans ce domaine, est particulièrement difficile et l’on ne peut guère isoler une seule variable, “toutes choses étant égales par ailleurs”. »’ 1165 Ils indiquent combien il est délicat de régler les questions d’échantillonnage, de neutralisation de la variable formateur et des variables périphériques. Ils signifient ainsi que la détermination des effets relevant de l’utilisation d’un outil d’éducabilité cognitive fait problème : la mise en regard d’un groupe expérimental et d’un groupe témoin leur apparaît bien difficile à mettre en place. P. Meirieu et M. Develay considèrent que la question du mesurage de ces effets est particulièrement problématique : « ‘Si les tests de contrôle intègrent des exercices proches de ceux utilisés dans les outils, ils ne sont pas probants (l’individu peut parfaitement avoir acquis des habiletés très locales sur des exercices spécifiques) ; et si les tests n’intègrent pas de tels exercices, ils n’apprendront pas grand-chose sur les opérations mentales acquises. »’ Ils envisagent d’autres travers méthodologiques dans le cas où ce mesurage renverrait à un entretien : le sujet peut répondre selon ce qu’il perçoit des attentes de l’expérimentateur qui peut, lui, interpréter les réponses suivant ses présupposés.

La difficulté à interpréterles résultats mesurant l’efficacité d’un outil d’éducabilité cognitive
La difficulté de l’entreprise apparaît tenir essentiellement, outre aux questions d’ordre méthodologique, à la place qu’occupe le formateur. Celui-ci joue un rôle essentiel dans la mise en oeuvre des méthodes d’éducabilité cognitive. Il peut ainsi avoir à organiser les relations entre formés, à remplir la fonction de médiateur. Dès lors, le mesurage de l’effet de toute méthode d’éducabilité cognitive est-il sujet au questionnement : rend-il compte des conséquences de l’attitude du formateur envers le formé ou indique-t-il une amélioration au plan des capacités intellectuelles du formé ? J.-P. Astolfi et S. Laurent se demandent de fait « ‘dans quelle mesure les effets décrits de ces méthodes relèvent d’une efficacité structurelle (résultant de leur manière propre de travailler les opérations mentales) et dans quelle mesure ceux-ci sont le produit d’une dynamique de reprise de confiance en ses possibilités cognitives’ »1166. P. Meirieu et M. Develay s’interrogent en des termes relativement similaires : « ‘les professeurs obtiennent-ils de meilleurs résultats parce qu’ils utilisent le P.E.I. ? Ou bien utilisent-ils le P.E.I. parce qu’ils [...] ont à coeur la réussite de leurs élèves au point que ceux-ci obtiennent de meilleurs résultats quelles que soient les méthodes employées ? »’ 1167

La question du transfert des acquisitions au plan des apprentissages scolaires
Il convient, en outre, comme l’indiquent P. Meirieu et M. Develay, de s’enquérir de la portée des acquisitions effectuées avec des outils d’éducabilité cognitive1168. Aussi se demandent-ils si elles sont transférables aux apprentissages scolaires traditionnels ; ils suggèrent qu’elles puissent induire un développement mental, mesurable en tant que tel, n’ayant pas d’effet sur les résultats scolaires. B. Rey cite de fait P. Higelé qui annonce, à propos des ARL : « ‘S’il ne faut pas s’attendre à un transfert dans les matières très liées à des connaissances, il faut souligner l’aspect transversal des acquis qui peuvent être utilisés aussi bien dans la vie professionnelle que quotidienne.’ »1169 B. Rey fait en outre référence à R. Feuerstein qui précise, pour ce qui est du PEI : « ‘Il n’est pas question, pour nous, de préparer l’individu à un contenu spécifique tel que l’histoire, la géographie, les mathématiques. ’»1170 J.-P. Astolfi et S. Laurent observent, eux, que l’efficacité des outils d’éducabilité cognitive peut « ‘être attestée par des améliorations de performances intellectuelles (mesurées par les tests classiques) sans que cela se traduise par des améliorations scolaires notables »1171.’

Des résultats accréditant que les ARL et le PEI n’occasionnent pas d’acquisition transférable aux apprentissages scolaires
Il est, effectivement, des résultats expérimentaux qui accréditent cette observation. B. Rey se réfère à G. Hommage et E. Perry pour indiquer : « ‘En ce qui concerne les ARL, on constate un gain de performance à des tests d’inspiration piagétienne et, plus précisément, aux épreuves de ces tests ayant fait l’objet d’un entraînement dans le cadre des ateliers.’ »1172 Il rapporte aussi les résultats d’un travail de R. Noirfalise, concernant les effets des acquisitions relatives aux ARL au plan des apprentissages scolaires : « ‘[...] une étude fait apparaître qu’il n’y a pas de différence significative d’orientation en fin de troisième entre un groupe d’élèves ayant bénéficié des ARL et un groupe témoin’ »1173. Les résultats que mentionne B. Rey quant au PEI sont du même ordre. Il signale ainsi trois comptes-rendus de recherche indiquant une amélioration des performances à des tests d’intelligence en tant qu’effet du PEI1174. Il se rapporte à un travail de A. Noirfalise pour ajouter que « les effets du programme sur les performances scolaires sont nettement plus flous »1175. P. Meirieu et M. Develay mentionnent, eux, une étude réalisée par R. et A. Noirfalise, relative au PEI : sa pratique, par des élèves de sixième et de cinquième, n’a pas d’effet décelé sur leurs résultats en mathématiques1176.

L’idée que les ARL et le PEI autorisent essentiellement à acquérir des compétences spécifiques
B. Rey souligne en premier lieu qu’il faut prendre avec toute la prudence d’usage les résultats qu’il a examinés1177. Ils accréditent à ses yeux l’idée que les ARL comme le PEI font acquérir quelque chose qui a trait à l’intelligence ou aux capacités logiques. Si ce quelque chose n’a pas d’effet décelé sur les apprentissages scolaires, c’est, selon lui, qu’il n’est pas de nature à être transféré de façon spontanée. Ainsi observe-t-il que les ARL, comme le PEI, « ‘sont bâtis de manière à susciter de la part du sujet un dépassement du contenu de chaque exercice »’ 1178. Le fait qu’il y ait à encourager le sujet à opérer ce dépassement signifie pour lui que le ‘« passage au transversal ne se fait pas spontanémen’ t ». Son point de vue apparaît en outre partagé par J.-P. Astolfi et S. Laurent, à tout le moins pour ce qui est du PEI1179. B. Rey conclut en indiquant que les ARL et le PEI autorisent une généralisation relative : « ‘On n’apprend jamais l’usage illimité d’une opération logique ou d’une stratégie dans l’infinité des cas où elle serait requise. On apprend son usage pour une catégorie déterminée de cas, c’est-à-dire qu’il s’agit toujours d’une compétence spécifique, même quand cette catégorie est très large. ’»1180 P. Meirieu et M. Develay envisagent, eux aussi, avec prudence les résultats concernant l’efficacité du PEI dont ils disposent1181. Ils en viennent à s’interroger quant aux conditions autorisant le transfert des acquisitions consécutives à l’utilisation d’une méthode d’éducabilité cognitive1182. Il en va pour eux d’un objectif essentiel de l’École : le savoir n’est libérateur que s’il permet et donne envie d’apprendre autre chose et tout seul. Ils concluent : « ‘les “méthodologues” ont raison dans les finalités qu’ils poursuivent, même s’ils ne sont pas convaincants dans les modalités de ce qu’ils mettent en oeuvre’ . »

Des acquisitions jugées peu transférables aux apprentissages scolaires, une perspective d’aide au transfert jugée plus recevable
B. Rey, J.-P. Astolfi et S. Laurent, P. Meirieu et M. Develay ont des avis convergents quant à la portée des acquisitions qu’occasionnent les ARL et le PEI. Leurs analyses invitent à penser que celles-ci ne sont guère de nature à valoir significativement au plan des apprentissages scolaires. Tous apparaissent moins critiques quant au rôle de médiateur que joue le formateur lors de la mise en oeuvre des ARL ou du PEI. J.-P. Astolfi et S. Laurent notent certes qu’il peut en aller d’un rapport au formé qu’on ne retrouve pas forcément à l’école ; c’est-à-dire d’un frein potentiel au transfert de ce que les ARL ou le PEI permettent d’acquérir1183. Ils semblent cependant envisager que la médiation peut générer une reprise de confiance par le formé en ses possibilités cognitives. B. Rey, quant à lui, observe que la médiation vise à aider le formé au transfert1184. Or, il ne met pas en question, à tout le moins explicitement, cette modalité de formation. P. Meirieu et M. Develay considèrent, eux, qu’elle participe d’une relation au formé qui est, par elle-même, de nature à avoir des effets positifs sur celui-ci1185. Au bilan, les deux caractéristiques majeures et communes aux ARL et au PEI se révèlent inégalement critiquées. La critique a principalement trait à la nature et aux propriétés des acquisitions que ces méthodes sont censées autoriser : il est envisagé qu’elles ne valent pas dans le contexte de l’enseignement des disciplines scolaires. Le principe de la médiation en tant qu’aide au transfert, en revanche, apparaît jugé plus recevable, sinon relativement pertinent.

Notes
1165.

Ibid., p. 149

1166.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 82

1167.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 149

1168.

Ibid., p. 149

1169.

Rey (B.), Op. Cit., p. 115

L’auteur fait référence à :

Higelé (P.), Les ateliers de raisonnement logique, in : Sorel (M.), Op. Cit., p. 121

1170.

Rey (B.), Op. Cit., p. 105

L’auteur fait référence à :

Feuerstein (R.), Le PEI, in : Collectif, Pédagogies de la médiation, Autour du PEI, programme d’enrichissement instrumental du professeur Reuven Feuerstein, Lyon : Chronique sociale, 1992, p. 125

1171.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 82

1172.

Rey (B.), Op. Cit., p. 114

L’auteur fait référence à :

Hommage (G.), Perry (E.), Les ateliers de raisonnement logique (ARL), mise en oeuvre, diagnostic, évaluation, Education permanente, n° 88-89, p. 130

1173.

Rey (B.), Op. Cit., pp. 114-115

L’auteur fait référence à :

Noirfalise (R.), Logique des ARL, texte reprographié, s.l.n.d., p. 2

1174.

Rey (B.), Op. Cit., p. 115

L’auteur fait référence à :

Debray (R.), Apprendre à penser, Le programme de R. Feuerstein : une issue à l’échec scolaire, Paris : ESHEL, 1989, 261 p.

Noirfalise (A.), Compte rendu d’une expérience d’utilisation du programme d’enrichissement instrumental du professeur Feuerstein dans une classe de 6 e -5 e de collège, Clermont-Ferrand : IREM, Université Blaise Pascal, p. 3

1175.

Rey (B.), Op. Cit., p. 115

L’auteur fait référence à :

Noirfalise (A.), Op. Cit., p. 10

1176.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 149

1177.

Rey (B.), Op. Cit., p. 115

1178.

Ibid., p. 116

1179.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 82

1180.

Rey (B.), Op. Cit., p. 118

1181.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 149

1182.

Ibid., p. 150

1183.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 82

1184.

Rey (B.), Op. Cit.,, p. 104, 113, 116

1185.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 148