1.2 Au regard de l’éducation cognitive

1.2.1 La question de la diversité des outils et des fondements théoriques

Vers un nouvel examen, nécessitant la spécification d’écrits à considérer
On peut faire aux ARL ou au PEI le grief de ne pas autoriser d’acquisition valant de façon déterminante au plan des apprentissages scolaires. S’il en est ainsi, c’est que les ARL et le PEI n’occasionnent guère d’acquisitions transférables aux apprentissages scolaires. Cela ne signifie pas que les modalités d’intervention qui y ont cours contre-indiquent le transfert. Ainsi la médiation est-elle à envisager en tant qu’intervention susceptible d’aider au transfert. Les analyses que J.-P. Astolfi et S. Laurent, P. Meirieu et M. Develay ainsi que B. Rey font des ARL ou du PEI étayent ces considérations. Ces analyses, cependant, ne portent explicitement que sur l’une ou l’autre de ces méthodes d’éducabilité cognitive. Elles ne sont, de plus, pas le fait de tenants de ce type de méthodes. Il convient, alors, d’en envisager la pertinence en regard du point de vue de leurs promoteurs. Il s’agit, en outre, de s’inquiéter de leur généralisation pour ce qui est de l’ensemble des méthodes d’éducabilité cognitive. Il en va ainsi d’une nouvelle analyse qui requiert la spécification de données. Or, il ne semble guère possible de disposer de tous les écrits relatifs à chacune des méthodes considérées. J.-P. Astolfi et S. Laurent, P. Meirieu et M. Develay ou B. Rey soulignent qu’elles sont fort nombreuses.

Pour un examen visant à compléter ceux de J.-P. Astolfi et S. Laurent, P. Meirieu et M. Develay, B. Rey
La question se pose, dès lors, des écrits à examiner. Il convient qu’ils cumulent deux caractéristiques. Il faut qu’ils visent à dresser un panorama de la question de l’éducation cognitive : d’autres outils que les ARL et le PEI doivent y être considérés. Il s’agit, de plus, qu’ils ambitionnent de donner à connaître les travaux en matière d’éducation cognitive : qu’ils émanent d’auteurs visant à faire la synthèse de ces travaux ou de ceux qui promeuvent un programme relevant de ce courant de pensée. J.-C. Coulet a rédigé un écrit présentant ces caractéristiques, qu’on trouve en un manuel publié en 19971186. F.-P. Büchel a dirigé la production d’un ouvrage, sorti en 1995, qui a aussi ces attributs1187. La publication qui émane de J.-C. Coulet peut être considérée comme écrit de vulgarisation, en tant qu’elle est notamment destinée à des étudiants de premier cycle. L’auteur y fait, par ailleurs, référence à l’ouvrage qu’a dirigé F.-P. Büchel, qui vise à rassembler « ‘des travaux “classiques” traduits de l’anglais et de l’allemand, complétés par des textes originaux ’»1188. F.-P. Büchel annonce que « ‘L’éducation cognitive est une approche systématique de transmission des outils du fonctionnement intellectuel »1189.’ J.-L. Paour, J. Jaume et O. de Robillard, pour leur part, indiquent, dans l’ouvrage qu’a dirigé F.-P. Büchel : « ‘les fondements [...] de l’éducation cognitive s’appuient sur le postulat de l’éducabilité de l’intelligence’ »1190. Il est, par ailleurs, question des ARL et du PEI dans la publication dirigée par F.-P. Büchel1191, comme dans l’écrit émanant de J.-C. Coulet1192. Ainsi les productions considérées sont-elles de nature à occasionner l’examen envisagé.

La diversité des outils et du niveau scientifique de leur étayage
F.-P. Büchel précise de fait : ‘« L’objectif d’un programme d’éducation cognitive [...] consiste [...] à développer les processus d’apprentissage, de la pensée et du transfert des acquisitions’ . »1193 Selon J.-C. Coulet, la plupart des programmes d’éducation cognitive procèdent de préoccupations pragmatiques concernant des sujets en difficulté1194 Aussi les fondements théoriques de ces programmes ne sont-ils apparus, souvent, que dans un second temps ; ils relèvent d’une formalisation « ‘pour étayer, réorienter, rationaliser, voire justifier des pratiques déjà largement amorcées sur le terrain’ ». On peut alors envisager que les fondements théoriques de certaines méthodes d’éducation cognitive ne sont guère crédibles ou convaincants. F.-P. Büchel se montre ainsi relativement critique vis-à-vis du programme CORT de E. de Bono ou de la Gestion Mentale de A. de La Garanderie : « ‘Comme c’est aussi le cas pour les livres de E. de Bono, ceux de A. de La Garanderie brillent plutôt par leur éloquence et leur référence très personnalisée à un certain nombre d’auteurs que par leur argumentation et leur rigueur scientifique’ »1195. Les outils d’éducation cognitive apparaissent cependant diversement étayés ; ainsi F.-P. Büchel annonce-t-il, à propos du PEI de R. Feuerstein : « ‘Il est évident que l’Enrichissement Instrumental se situe à un niveau scientifique autre que le Superlearning, de Bono ou de La Garanderie’ . »

La difficulté à circonscrire et à classer les programmes d’éducation cognitive
F.-P. Büchel observe par ailleurs qu’il n’est pas de théorie unique de l’éducation cognitive. Il estime néanmoins qu’une telle théorie relève du fantasme et n’est pas souhaitable : ‘« L’éducation cognitive est un amalgame entre les intérêts théoriques-méthodologiques et les pratiques-didactiques. Une théorie unique pondérerait nécessairement l’un des deux aspects aux frais de l’autre.’ »1196 Il montre de fait qu’il est délicat d’opérer une classification des outils d’éducation cognitive. Ainsi se demande-t-il « ‘si les programmes perceptifs-moteurs [...] devraient ou non figurer parmi les programmes d’éducation cognitive’ »1197. F.-P. Büchel se réfère, par ailleurs, à J.W. Segal, S.F. Chipman et R. Glaser, qui distinguent trois catégories de programmes1198. La diversité des programmes d’éducation cognitive est d’autant plus évidente qu’il est nombre de manière d’envisager leur classification. F.-P. Büchel rapporte ainsi que R.S. Nickerson, D.N. Perkins et E.E. Smith repèrent cinq types de programmes1199. Il mentionne aussi qu’on peut différencier : « ‘programmes d’entraînement de la capacité d’apprentissage, et programmes de l’éducation de la pensée’ ». Ou encore : ‘« programmes de type “stratégie d’apprentissage” » et « approche des “stratégies cognitives” ’». Il ajoute : « ‘On peut aussi distinguer entre les programmes selon le niveau de spécificité de leurs effets [...] Le type de tâche utilisé est un autre aspect de la spécificité des programmes. »1200 Il évoque, enfin, la « distinction entre programmes cognitifs et métacognitifs’ »1201.

La difficulté à déterminer les acquisitions qu’un programme d’éducation cognitive occasionne
Le propos de F.-P. Büchel conduit à observer la diversité des programmes d’éducation cognitive. J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard notent, en outre, la diversité des conceptions théoriques sous-jacentes1202. Ils en viennent même à regretter « ‘que cette diversité ne s’inscrive pas dans un cadre théorique d’ensemble susceptible d’en situer clairement les dimensions’ »1203. Ils rappellent que l’éducation cognitive vise certes à faire acquérir et utiliser efficacement des connaissances et savoir-faire généraux. Ils remarquent néanmoins que « ‘les différents programmes sont loin de partager une même conception de la nature de ces outils cognitifs généraux’ ». Ils ajoutent que seuls les programmes qui se réfèrent plus ou moins explicitement au modèle piagétien sont explicites en la matière. J.-C. Coulet souligne, lui aussi, l’éclectisme théorique des programmes : « ‘L’une des conséquences de cette hétérogénéité est qu’il est extrêmement difficile de rendre compte des mécanismes en jeu lorsque, au-delà des problèmes d’évaluation qui se posent nécessairement pour en attester, les programmes se révèlent efficaces. »1204

La question des effets des programmes d’éducation cognitive
La diversité des programmes d’éducation cognitive et des conceptions théoriques sous-jacentes apparaît ainsi établie. Cela invite à la prudence quant à un jugement d’ensemble relatif à l’efficacité des programmes ; particulièrement lorsqu’il est question du transfert des acquisitions qu’ils occasionnent aux apprentissages scolaires. J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard indiquent de fait : « ‘Nous ne nous prononcerons pas sur l’efficacité des programmes d’éducation cognitive. D’une part, on ne peut pas donner une réponse générale [...] Par ailleurs, les données sont loin d’être suffisamment nombreuses et leurs résultats sont loin d’être suffisamment clairs’ . »1205 Cela ne remet toutefois pas en cause, à leurs yeux, l’intérêt pratique d’une éducation à visée cognitive : « ‘Les objectifs comme les principes d’intervention des programmes d’éducation cognitive sont en effet, dans leur ensemble, tout à fait pertinents’ . »1206 Leur propos revient alors à signifier l’importance de l’entreprise d’éducation cognitive et rappelle sa pertinence originelle : elle tient à des préoccupations pragmatiques concernant des sujets défavorisés. J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard considèrent toutefois que le mouvement d’éducation cognitive doit poursuivre son évolution en faisant un effort d’évaluation de ses effets1207. Cela invite à s’enquérir des données qui contribuent à rendre compte de ceux-ci.

Notes
1186.

Coulet (J.-C.), Résolution de problèmes et éducabilité cognitive, in : Lieury (A.), Manuel de psychologie de l’éducation et de la formation, Paris : Dunod, 1997, pp. 178-206

1187.

Büchel (F.-P.), L’éducation cognitive, Le développement de la capacité d’apprentissage et son évaluation, Neuchâtel, Paris : Delachaux et Niestlé, collection : Textes de base en pédagogie, 1995, 348 p.

1188.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., 3ème de couverture

1189.

Büchel (F.-P.), De la métacognition à l’éducation cognitive, in : Büchel (F.-P.), L’éducation cognitive, Le développement de la capacité d’apprentissage et son évaluation, Neuchâtel, Paris : Delachaux et Niestlé, collection : Textes de base en pédagogie, 1995, p. 9

1190.

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), De l’évaluation dynamique à l’éducation cognitive : repères et questions, in : Büchel (F.-P.), L’éducation cognitive, Le développement de la capacité d’apprentissage et son évaluation, Neuchâtel, Paris : Delachaux et Niestlé, collection : Textes de base en pédagogie, 1995, p. 48

1191.

Par exemple :

Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 14

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), Op. Cit., p. 86

1192.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., pp. 180, 191-194, 201-203

1193.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 10

1194.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., p. 180

1195.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., pp. 13-14

L’auteur fait référence à :

Lieury (A.), Auditifs, visuels : la grande illusion, Cahiers Pédagogiques, n° 287, octobre 1990, pp. 59-62

1196.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 16

1197.

Ibid., p. 38

L’auteur fait référence à :

Forstig (M.), Horne (D.), The Forstig Program for the Development of Visual Perception, Teacher’s Guide, Chicago : Follett, 1964

1198.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 38

L’auteur fait référence à :

Segal (J.W.), Chipman (S.F.), Glaser (R.), Thinking and learning skills, Hillsdale, N.J. : Erlbaum, 1985

1199.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., pp. 38-39

L’auteur fait référence à :

Nickerson (R.S.), Perkins (D.N.), Smith (E.E.), The Teaching of Thinking, Hillsdale, N.J. : Erlbaum, 1985

1200.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 40

1201.

Ibid., p. 41

1202.

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), Op. Cit., p. 88

1203.

Ibid., p. 89

1204.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., pp. 181-182

1205.

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), Op. Cit., p. 98

1206.

Ibid., p. 99

1207.

Ibid., p. 100