1.2.2 La question des effets des méthodes d’éducation cognitive

La difficulté à mesurer les effets des méthodes d’éducation cognitive
P. Meirieu et M. Develay ont insisté sur la difficulté à évaluer les effets des méthodes d’éducabilité cognitive. Il apparaît que F.-P. Büchel souligne, lui aussi, cette difficulté. Il observe, à propos du CORT de E. de Bono : « La plupart des études d’évaluation sont méthodologiquement insuffisantes et ne permettent donc pas d’en tirer des conclusions »1208. J.-C. Coulet, pour sa part, rend compte de problèmes relatifs à l’évaluation de l’efficacité des « apprentissages opératoires »1209. Il observe que des inductions fondées sur des principes théoriques très différents aboutissent à des réussites similaires.1210 Il en va notamment, selon lui, de problèmes de méthode. Il note aussi des mécanismes invoqués discutables. Il est question du problème de l’attribution des résultats obtenus au mécanisme invoqué sur le plan théorique. S’exprimant à propos des « apprentissages opératoires », il indique : « ‘D’autres expériences [...] ont en effet montré qu’il était possible de produire des effets cognitifs tout à fait comparables à partir d’entraînements reposant, eux, sur d’autres principes que celui du conflit cognitif’ ». J.-C. Coulet signale, en outre, que le problème de la mesure des effets se pose avec acuité dans le domaine de l’éducation cognitive. Il signifie notamment qu’on repère les sujets sur une échelle à seulement deux ou trois niveaux dans le cas de l’« ‘apprentissage opératoire’ »1211.

Des résultats accréditant la thèse de l’éducabilité cognitive
Il est néanmoins des résultats expérimentaux cohérents avec la thèse de l’éducabilité cognitive. On peut mentionner, par exemple, une expérimentation de K.J. Klauer. Les résultats indiquent que l’entraînement de la pensée inductive qu’il a mis en place génère un effet de transfert important et spécifique à la classe des tâches inductives1212. Il ajoute : ‘« il nous paraît probable, que lors de l’entraînement inductif, un effet général en somme moins important superpose un effet spécifique au domaine important’ »1213. Les résultats d’expérimentations que rapporte J.-L. Paour sont, par ailleurs, relativement parlants. Il a conduit un entraînement pour développer les fondements du raisonnement inductif et analogique, dont il a mesuré les effets1214. Il précise qu’il a oeuvré auprès d’enfants et d’adolescents présentant un retard mental léger à modéré1215. Il ajoute que les épreuves utilisées en pré-test et post-test diffèrent de la situation d’entraînement. J.-L. Paour renseigne aussi quant aux résultats qu’il a obtenus1216. Les groupes entraînés se différencient de façon régulière et statistiquement significative des groupes contrôles. Les premiers progressent significativement dans les épreuves piagétienne ; ils s’avèrent supérieurs dans des épreuves psychométriques ou de résolution de problèmes. Les résultats indiquent de plus « ‘une amélioration générale de leur fonctionnement cognitif dans le sens d’une prise de contrôle accrue’ ». Les progrès repérés, enfin, se révèlent stables lors de post-tests passés plusieurs mois après la fin des entraînements.

Les deux conditions signifiant l’efficacité d’un programme d’éducation cognitive, selon J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard
J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard considèrent cependant qu’il est deux conditions signifiant l’efficacité d’un programme d’éducation cognitive. Ils rapportent qu’on a cherché, au début du vingtième siècle, à démontrer la stabilité de l’efficience intellectuelle en dépit des progrès liés au développement. Ils indiquent que ces travaux ont signifié « ‘un objectif redoutable à toute tentative d’éducation de l’intelligence : il ne suffit pas de favoriser le passage d’une étape développementale à l’autre mais il faut également augmenter le potentiel intellectuel lui-même, c’est-à-dire améliorer la position du sujet dans son groupe d’âge »1217.’ Il en va dès lors d’une relativisation des résultats de J.-L. Paour quant aux effets de son entraînement concernant le raisonnement inductif et analogique. L’auteur indique pourtant que ces résultats apportent des arguments de poids à la thèse de l’éducabilité de l’intelligence1218. Il conclut cependant son compte rendu de recherche en reprenant le propos qu’il tient avec J. Jeaume et O. de Robillard : « ‘Toutefois, seules des recherches conduites encore à plus long terme permettraient de savoir si nous avons effectivement optimisé la dynamique développementale de nos sujets. ’»1219 La remarque semble pouvoir concerner aussi le travail de K.J. Klauer.

Des résultats relativement mitigés quant aux effets du programme LOGO, des ARL et du PEI
J.-C. Coulet rapporte en outre des résultats expérimentaux bien mitigés. Il signifie que ceux concernant le programme LOGO sont décevants1220. Il présente d’autres études, relatives aux ARL. Il signifie que tous les travaux d’évaluation de ce programme ne font pas état d’effets positifs sur le développement des sujets1221. Il fait alors référence à une recherche de D. Chartier et P. Rabine concernant des adolescents1222, à propos de laquelle il indique : ‘« Le test des opérations formelles a été administré en pré-test et post-test afin de saisir les progrès. [...] Les résultats [...] analysés en termes de scores globaux, ne font apparaître aucun effet significatif à l’avantage du groupe expérimental’ ». J.-C. Coulet expose aussi des résultats relatifs aux effets du PEI : « ‘En ce qui concerne le PEI, là encore, aux résultats positifs enregistrés par les auteurs [...], s’opposent, par exemple, les résultats beaucoup plus nuancés de Loarer, Libert, Chartier, Huteau et Lautrey (1992).’ »1223 Ces derniers donnent en effet à connaître des résultats très contrastés. Aucun effet n’est observé en ce qui concerne la planification ; J.-C. Coulet note pourtant que le programme s’efforce de travailler sur la dimension résolution de problème. Il est, en revanche, des effets avérés, par exemple au plan de la réflexivité, relative au contrôle de l’impulsivité. Ceux-ci, cependant, s’avèrent généralement limités aux tâches relativement proches de celles que propose le programme. La mesure des effets à plus long terme, par ailleurs, n’accrédite pas les résultats significatifs que font valoir les promoteurs du PEI.

Quelques rares études invitant à penser que le PECJE a des effets positifs au plan de la scolarité
Les résultats considérés sont ainsi de nature à décevoir qui espérait monts et merveilles de l’éducation cognitive. Il est à noter qu’ils ne concernent pas les effets des programmes d’éducation cognitive au plan des apprentissages scolaires. Force est de constater que les travaux s’intéressant à la question sont rares. G. Chantelat et C. Haywood en mentionnent cependant trois, concernant le Programme d’Education Cognitive pour Jeunes Enfants. L’un d’eux émane de D. Tzuriel et S. Kaniel ; ils ‘« ont démontré une supériorité des enfants PECJE (versus ceux du groupe témoin) dans un test de connaissance de nombres’ »1224. D. Tzuriel et E. Kaner ont ensuite suivi les mêmes enfants au terme de la première année de l’école primaire : « ‘ils ont trouvé une supériorité non-significative du groupe PECJE dans les épreuves de lecture et de mathématiques, en dépit d’une différence du nombre d’heures consacrées à l’enseignement de la lecture et des maths en faveur du groupe témoin’ »1225. La troisième recherche a été menée par J.-L. Paour, S. Cebe, P. Lagarrigue et D. Luiu. Ils notent une performance du groupe PECJE significativement supérieure à celle du groupe témoin dans une épreuve administrée à l’entrée de l’école primaire ; il en est de même pour ce qui concerne une épreuve de lecture passée en fin de première année1226.

Des résultats qu’on ne peut juger véritablement convaincants
F.-P. Büchel, comme J.-C. Coulet, souligne la difficulté à évaluer les effets des programmes d’éducation cognitive. On peut, à tout le moins, en attendre des améliorations au plan de tests ou d’épreuves concernant l’intelligence ou les capacités cognitives. Des expérimentations de K.J. Klauer et de J.-L. Paour, ainsi que des tenants des ARL ou du PEI, semblent attester de ces effets. J.-C. Coulet rapporte cependant des résultats expérimentaux beaucoup plus mitigés, sinon inverses. Ils invitent, en tout état de cause, à la prudence. On peut être surpris, alors, à la lecture des résultats que rapportent G. Chantelat et C. Haywood quant aux effets portant sur les apprentissages scolaires. Il est à noter que le PECJE a pour objet explicite de promouvoir l’acquisition de connaissances considérées comme prérequises à l’école primaire.1227 On observe en outre que les modalités de travail proposées visent à un pontage entre les acquisitions relatives aux sept unités cognitives définies et les situations d’apprentissages scolaires : « ‘Le travail en grand groupe fournit aux enfants l’occasion d’appliquer les opérations logiques et les stratégies cognitives, dont il était question lors des activités en petit groupe, à des contenus différents. Les contenus de ces leçons sont ceux habituellement présentés et enseignés à l’âge préscolaire ’»1228. Si bien que les résultats expérimentaux relatifs au PECJE rapportés peuvent être le fait d’apprentissages scolaires...

Notes
1208.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 13

L’auteur fait référence à :

Mac Lure (S.), Introduction : An Overview, in : Mac Lure (S.), Davies (P.), Learning to think : Thinking to Learn, The Proceedings of the OECD Conference, Oxford : Pergamon, 1991

1209.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., pp. 197-199

1210.

Ibid., p. 198

1211.

Ibid., p. 199

1212.

Klauer (K. J.), Les effets d’entraînement de la pensée sont-ils généraux ou spécifiques ?, in : Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 303

1213.

Klauer (K. J.), Op. Cit., p. 305

1214.

Paour (J.-L.), Un entraînement pour développer les fondements du raisonnement inductif et analogique, in : Büchel (F.-P.), Op. Cit., pp. 267-283

1215.

Paour (J.-L.), Op. Cit., p. 280

1216.

Ibid, p. 281

1217.

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), Op. Cit., p. 54

Les auteurs font référence à :

Spitz (H.H.), The raising of intelligence : Selected history of attemps to raise retarded intelligence, Hillsdale, N.J. : Erlbaum, 1986

1218.

Paour (J.-L.), Op. Cit., p. 281

1219.

Ibid., p. 282

1220.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., pp. 199-200

L’auteur fait référence à :

Valcke (M.), Méta-analyse des recherches consacrées à LOGO, in : Gurtner (J.-L.), Retschitzki (J.), LOGO et apprentissages, Neuchätel-Paris:  Delachaux et Niestlé, 1991

1221.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., p. 281

L’auteur fait référence à :

Higelé (P.), Perry (E.), Ateliers de raisonnement logique et transfert à des situations de la vie quotidienne, in : Drévillon (J.), Les Aides cognitives, Caen : EPE, 1991

1222.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., p. 281

L’auteur fait référence à :

Chartier (D.), Rabine (P.), Evaluation d’une méthode de remédiation cognitive : le cas des ateliers de raisonnement logique, L’Orientation scolaire et professionnelle, n° 18, février 1989, pp. 127-137

1223.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., pp. 202-203

L’auteur fait référence à :

Feuesrtein (R.), Jensen (M.R.), L’enrichissement instrumental : bases théoriques, objectifs et instruments, Psychologie scolaire, n° 67, 1989, pp. 7-37

Loarer (E.), Libert (M.-F.), Chartier (D.), Huteau (M.), Lautrey (J.), L’évaluation du PEI dans les stages de préformation de l’AFPA, Paris : Service de recherche de l’INETOP et Laboratoire de psychologie différentielle de l’université Paris V en partenariat avec l’AFPA, 1992

1224.

Chantelat (G.), Haywood (C.), Bright Start ou Programme d’Education Cognitive pour Jeunes Enfants, in : Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 262

Les auteurs font référence à :

Tzuriel (D.), Kaniel (S.), Cognitive Curriculum for Young Children : Implementation of the CCYC in Israel, Paper presented at the Third Conference of the International association for Cognitive Education, Riverside CA, 1992

1225.

Chantelat (G.), Haywood (C.), Op. Cit., p. 262

Les auteurs font référence à :

Tzuriel (D.), Kaner (E.), The effectiveness of the Bright Start program : A follow up study on Israeli Grade 1 Children, Paper presented at the Fourth Conference of the International Association for Cognitive Education, Nof Ginosar, Israel, 1993

1226.

Chantelat (G.), Haywood (C.), Op. Cit., pp. 262-263

Les auteurs font référence à :

Paour (J.-L.), Cebe (S.), Lagarrigue (P.), Luiu (D.), A partial evaluation of Bright Start with pupils at risk of school failure, The Thinking Teacher, n° 8 (2), 1993, pp. 1-7

1227.

Chantelat (G.), Haywood (C.), Op. Cit., p. 257

1228.

Ibid., pp. 252-253