1.2.3 Acquisitions et modalités d’acquisition au plan de l’éducation cognitive

La nécessité de réfléchir plus avant au transfert des acquisitions relevant de l’éducation cognitive aux apprentissage scolaires
F.-P. Büchel ou J.-C. Coulet montrent combien il est problématique de mesurer les effets des programmes d’éducation cognitive. Cela concourt à accréditer les observations de P. Meirieu et M. Develay quant à l’option des « méthodologues »1229. L’invitation de B. Rey à considérer avec prudence les résultats d’expériences visant à ce mesurage apparaît ainsi judicieuse1230. Il semble cependant enclin à estimer que les méthodes d’éducabilité cognitive ont des effets significatifs concernant l’intelligence ou les capacités cognitives. J.-P. Astolfi et S. Laurent le paraissent également1231. Or, J.-C. Coulet rapporte des résultats expérimentaux donnant à penser qu’il n’en va pas forcément ainsi. Les rares travaux concernant les effets d’un programme d’éducation cognitive au plan de la scolarité invitent par ailleurs au questionnement. Signifient-ils un impact des acquisitions qu’occasionne le PECJE ? Rendent-ils compte de leur mise en oeuvre dans le contexte particulier des apprentissages scolaires ? Indiquent-ils un effet cumulé de ces deux types d’activités ? Sont-ils le fait d’apprentissages scolaires localisés ? Les questions que posent P. Meirieu et M. Develay apparaissent ainsi pertinentes : « ‘A quelles conditions un apprentissage “méthodologique” peut-il être utilisé dans des situations précises ? Comment former à cette utilisation ?’ »1232 La suggestion de J.-C. Coulet se révèle dès lors à considérer : « ‘l’abandon des tâches “sans contenu” au profit d’une éducation cognitive plus en prise avec des domaines de connaissances spécifiques devrait s’imposer comme une évolution significative des pratiques’ »1233.

Pour des outils d’éducation cognitive fonctionnant à partir de domaines de connaissances spécifiques
J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard observent de fait : « ‘L’hypothèse de mécanismes généraux d’apprentissage et de résolution de problèmes a été remise en cause ces dernières années’ »1234. Ils ajoutent néanmoins : « ‘compte tenu de la nature et de l’importance des difficultés intellectuelles rencontrées par les populations candidates à une éducation cognitive, il n’est pas déraisonnable de postuler la généralité de connaissances et de savoir-faire cognitifs de base sous-jacents à “l’intelligence opératoire du ‘sens commun informel de l’adulte non spécialisé’”’ »1235. S’il en est ainsi, c’est alors que seuls les sujets les plus défavorisés peuvent bénéficier de telles acquisitions. Ce qui conduit à relativiser les résultats de l’expérimentation de J.-L. Paour quant au PECJE. Si elle fournit des résultats accréditant l’idée que le PECJE a des effets au plan de la scolarité, elle concerne des « ‘pupils at risk of school failure’ »1236. Il peut ainsi n’être guère pertinent d’envisager l’enseignement de mécanismes généraux d’apprentissage et de résolution de problèmes à d’autres élèves. Mieux vaudrait, en ce cas, les aider à apprendre ou à résoudre des problèmes dans les situations scolaires usuelles. Ces considérations invitent à envisager, à l’instar de J.-C. Coulet, une éducation cognitive à partir de situations relevant de domaines de connaissances spécifiques. Cela n’apparaît pas hérésie en regard des propos de P. Higelé1237 ou de R. Feuerstein1238 signifiant que leurs programmes ne visent pas à se substituer aux disciplines scolaires. On peut, en tout état de cause, douter de la portée des acquisitions que les outils d’éducation cognitive sont censés autoriser, au plan des apprentissages scolaires. Cela suggère d’en faire usage à partir des contenus propres aux disciplines scolaires.

Pour une prise en compte des modalités d’aide aux acquisitions relatives à l’éducation cognitive
On est dès lors invité à s’intéresser aux modalités d’aide aux acquisitions qui ont cours au plan des programmes d’éducation cognitive. J.-C. Coulet a repéré sept principes généraux de l’éducation cognitive ; ceux-ci, précise-t-il, semblent avoir beaucoup de pertinence pour concevoir et réguler la fonction de médiation de façon efficace1239. Il énonce le premier en ces termes : « Prise de conscience des processus cognitifs mis en oeuvre » ; il est alors question de métacognition ainsi que de prise de conscience. Le deuxième est relatif aux « ‘pontages (bridging) entre connaissances’ » et vise plus particulièrement les transferts de connaissances. Le troisième a trait aux « justifications des démarches » ; le quatrième, à la « génération de règles » générales. Le cinquième concerne la « prévisibilité » : il s’agit de ‘« faire en sorte que le sujet s’engage dans une démarche de comparaison des résultats attendus et des résultats effectivement obtenus’ »1240. Le sixième a rapport aux « échanges interindividuels » ; ceux-ci visent à permettre à chaque formé de voir ses propositions discutées et de pouvoir ainsi éventuellement les repenser. Le septième, enfin, concerne les « aspects conatifs » ; sont visés les aspects non cognitifs de la conduite : il s’agit de favoriser une motivation intrinsèque, une attribution de ses résultats à des causes internes...

La diversité des manières de considérer les modalités d’aide aux acquisitions relatives à l’éducation cognitive
J.-C. Coulet indique que ces principes lui semblent très pertinents pour concevoir et réguler la fonction de médiation1241. L’inventaire qu’il fait, cependant, ne peut guère valoir qu’en son nom propre ; l’auteur indique du reste : « ‘[...] force est de constater que le nombre de ces principes, leur diversité ou encore l’hétérogénéité des modèles théoriques qui les fondent ou les justifient, donnent peu de prise à une vision d’ensemble des processus qu’ils sollicitent chez le sujet. » F.-P. Büchel annonce, pour sa part : « Sur le plan théorique [...] on peut identifier deux racines fondamentales, l’une –la métacognition– [...] et l’autre –la théorie de la transmission culturelle– ’»1242. Il ajoute : « ‘Feuerstein [...] a complété la théorie de la transmission culturelle par les concepts d’expérience d’apprentissage médiatisée (EAM), et de déprivation culturelle qu’il propose comme facteur explicatif de la genèse d’une capacité d’apprentissage réduite.’ »1243 J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard observent, quant à eux : « ‘Il serait [...] utile que les programmes d’éducation cognitive explicitent clairement le ou les modèles d’apprentissage en fonction desquels il convient de mettre en oeuvre les interventions préconisées. [...] Même à respecter l’ensemble des caractéristiques de la médiation proposée par Feuerstein, la médiation au cours de l’intervention peut, au gré de l’intervenant, correspondre à toute une gamme de styles de médiation et d’orientations pédagogiques fort différentes.’ »1244 On perçoit ainsi qu’il est une diversité de manières de concevoir les modalités d’intervention pour ce qui est de l’éducation cognitive.

L’intérêt du schéma tripolaire : Sujet / Alter / Objet
On ne peut dès lors guère que s’attacher à repérer le fond commun à ces diverses modalités d’intervention. J.-C. Coulet s’y est essayé, qui considère qu’il en va d’une relation « tripolaire », mettant en présence : le formé, l’environnement et le formateur1245. Le « schéma tripolaire » envisagé renvoie à un éventail de possibles compris entre deux positions extrêmes. Il est question, d’une part, d’une centration sur le pôle du sujet,  d’autre part, d’une centration sur le pôle de l’objet ; on vise dans les deux cas à jouer sur l’interaction sujet-tâche1246. Le schéma de synthèse que propose J.-C. Coulet apparaît valoir au regard des panoramas que dressent  J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard. Ils observent de fait qu’« ‘On trouve, en effet, tous les intermédiaires entre deux positions opposées : d’une part, l’instruction explicite et systématique de stratégies cognitives et métacognitives [...] et, d’autre part, la création de situations destinées à construire par sa propre activité, donc sans instruction explicite, les outils cognitifs visés.’ »1247 F.-P. Büchel distingue, pour sa part, un contrôle intérieur et un contrôle extérieur1248. Le premier est relatif à la métacognition et a rapport au contrôle des processus cognitifs internes à la personne. Le second a trait à la théorie de la transmission culturelle, « ‘qui se sert de différents outils dont le plus important est le langage »’. Ces considérations suggèrent en définitive que le formateur peut jouer un rôle d’importance quant au transfert, en agissant sur la relation sujet / objet.

Notes
1229.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 149

1230.

Rey (B.), Op. Cit., p. 115

1231.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 82

1232.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 150

1233.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., p. 204

1234.

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), Op. Cit., p. 57

Les auteurs font référence à :

Hayes (J.R.), Three problems in teaching general skills, in : Chipman (S.), Segal (J.), Glaser (R.), Thinking and learning skills : Current research and open questions, Hillsdale, N.J. : Erlbaum, 1985, pp. 391-405

Bransford (J.), Delclos (V.R.), Vye (N.), Burns (S.), Hasselbring (T.S.), State of the art and future directions, in : Lidz (C.), Dynamic assessment, New York : Guilford Press, 1987, pp. 479-496

Chi (M.T.H.), Interactive roles of knowledge and strategies in the development of organized sorting and recall, in : Chipman (S.), Segal (J.), Glaser (R.), Op. Cit., pp. 457-483

1235.

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), Op. Cit., p. 58

Les auteurs font référence à :

Cellerier (G.), Le constructivisme génétique aujourd’hui, in : Inhelder (B.), Cellerier (G.), Le cheminement des découvertes de l’enfant, Neuchâtel, Paris : Delachaux et Niestlé, 1992, p. 244

1236.

Paour (J.-L.), Cebe (S.), Lagarrigue (P.), Luiu (D.), Op. Cit., pp. 1-7

1237.

Higelé (P.), Les ateliers de raisonnement logique, in : Sorel (M.), Op. Cit., p. 121

1238.

Feuerstein (R.), Op. Cit., p. 125

1239.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., p. 204

1240.

Ibid., p. 195

1241.

Ibid., p. 204

1242.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 21

1243.

Ibid., p. 26

1244.

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), Op. Cit., p. 98

1245.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., pp. 182-187

1246.

Ibid., pp. 186-187

1247.

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), Op. Cit., p. 98

1248.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., p. 25