2 . Transfert, « didacticiens » et psychologie cognitive

L’option des « méthodologues » et le problème du transfert aux apprentissages scolaires
J.-P. Astolfi et S. Laurent, P. Meirieu et M. Develay, comme B. Rey font une analyse critique de programmes d’éducabilité cognitive. Ces programmes visent, selon eux, à éduquer les facultés de connaître en amont ou indépendamment des apprentissages disciplinaires. Cette constatation les invite à s’interroger quant à la portée des acquisitions que peuvent occasionner les outils d’éducabilité cognitive. Ils le font essentiellement pour ce qui est de deux programmes relativement diffusés, à tout le moins en France : les ARL ou le PEI. Leur analyse conduit au repérage de deux caractéristiques essentielles et communes à ces programmes. L’une confirme l’idée qu’ils visent à l’acquisition de capacités transversales à partir de contenus différents de ceux propres aux disciplines scolaires. L’autre signifie l’importance, pour cette acquisition, de la médiation que le formateur installe entre le formé et l’environnement. Ce second attribut signifie, aux yeux de P. Meirieu et M. Develay, un indispensable postulat d’éducabilité du sujet. Postulat dont ils affirment qu’il induit une attitude du formateur de nature à générer des effets positifs au crédit du formé. Le rapport à la culture suggéré trouve, de plus, grâce à leurs yeux : elle est envisagée comme moyen offert au sujet pour s’enrichir de son propre chef. P. Meirieu et M. Develay font ainsi valoir des éléments qu’ils jugent positifs sur le plan des finalités. Ils soulignent en outre la difficulté à mesurer les effets des méthodes d’éducabilité cognitive. Ils estiment cependant que les acquisitions qu’elles autorisent ne se transfèrent guère aux apprentissages scolaires. Ce point de vue est aussi celui de J.-P. Astolfi et S. Laurent ou B. Rey. Des résultats expérimentaux viennent, au demeurant, étayer ces avis convergents.

L’éducation cognitive et le problème du transfert aux apprentissages scolaires
Il apparaît néanmoins inopportun de porter un jugement d’ensemble sur l’éducation cognitive. Les programmes sont nombreux ; J.-C. Coulet, F.-P. Büchel ou J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard montrent qu’ils sont, aussi, divers. À la diversité des modalités pratiques s’ajoute, en outre, celle des référents théoriques. Il est envisageable, malgré tout, de réfléchir aux effets des outils d’éducation cognitive ; il en va de l’évolution du mouvement dont ils procèdent. La plupart des auteurs signifient, comme P. Meirieu et M. Develay, la difficulté de l’entreprise. Des résultats expérimentaux, émanant notamment de K.J. Klauer ou de J.-L. Paour, paraissent cependant accréditer la thèse de l’éducabilité cognitive. Ils se révèlent toutefois de nature à porter à discussion ou insuffisants. D’autant qu’il est, aussi, des expérimentations dont les résultats sont très mitigés quant aux effets sur l’intelligence ou sur les capacités cognitives. J.-C. Coulet montre, notamment, qu’il en est ainsi en ce qui concerne les ARL et le PEI. G. Chantelat et C. Haywood rapportent de rares travaux concernant l’efficacité d’un outil d’éducation cognitive au plan de la scolarité ; les résultats qui leur sont relatifs ne suffisent à convaincre. Il semble, en fait, judicieux d’envisager, à l’instar de J.-C. Coulet, une pratique en prise avec les contenus des disciplines scolaires.

L’intérêt de la question des modalités d’aide aux acquisitions, valant au plan de l’éducation cognitive
L’ensemble de ces considérations invite à s’intéresser aux modalités d’aide aux acquisitions qui ont cours au plan de l’éducation cognitive. J.-C. Coulet observe de fait qu’elles constituent un précieux capital pour toute pratique pédagogique à visée cognitive1249. Il ajoute qu’il en va de « ‘l’une des meilleures sources de la réflexion dont les pédagogues peuvent actuellement s’emparer pour s’engager sur la voie de la formalisation de leurs pratiques’ ». Il réaffirme cependant qu’elles sont fort diverses et renvoient à des modèles théoriques hétérogènes. Il s’est, toutefois, essayé à dégager les principes généraux des méthodes d’éducation cognitive. Son analyse diffère certes de celles qu’exposent, d’une part, F.-P. Büchel, d’autre part, J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard. Ces points de vue concourent néanmoins à signifier l’importance d’une médiation au plan de la relation sujet / objet. On peut ainsi envisager que la médiation est de nature à jouer quant au transfert : elle vaut notamment au plan des ARL et du PEI pour aider le formé à utiliser à bon escient ce qu’il a acquis dans des situations nouvelles. Cela apparaît cohérent, en outre, au regard du propos de R. Feuerstein et M.-B. Hoffman ; ils invitent en effet à concevoir une « ‘Expérience d’Apprentissage Médiatisé [...] sous la forme S – (H) – > O – > R »’ 1250. On peut considérer, même si cela est schématique, que S signifie « Stimulus », O, « Organisme », R, « Réponse » et H, « facteur humain »1251.

L’importance des références à L.S. Vygotsky, J.S. Bruner, J.H. Flavell
Nombre de références sont prises en considération pour fonder l’intérêt d’une médiation de la relation sujet / objet. Il est possible de faire l’inventaire de celles suffisamment incontournables pour que tous les auteurs les indiquent. Trois noms apparaissent dès lors ; il s’agit de L.S. Vygotsky, J.S. Bruner et J.H. Flavell. J.-C. Coulet indique l’impact de la conception de L.S. Vygotsky concernant le rôle d’autrui dans les constructions cognitives individuelles. Il souligne notamment que, « ‘pour Vygotsky, la nature de l’aide apportée par autrui renvoie d’une façon générale aux outils culturels que l’adulte introduit dans l’interaction sujet-objet et, plus particulièrement au langage qui est supposé constituer un véritable support à la pensée ainsi qu’un instrument régulateur des autres formes de conduites.’ »1252 J.-C. Coulet montre en outre l’importance de l’apport de J.S. Bruner, concernant l’interaction de tutelle1253. Il signifie, par ailleurs, que celui-ci, comme L.S. Vygotsky, « ‘accorde au langage le statut d’outil privilégié des constructions cognitives réalisées dans les interactions sociales ’». J.C. Coulet, enfin, mentionne le recours à la métacognition à la suite des études de J.H. Flavell sur la méta-mémoire1254. Les travaux de L.S. Vygotsky, de J.S. Bruner et de J.H. Flavell sont de plus références d’importance dans la synthèse de F.-P. Büchel1255. La remarque vaut quant à celle de J.-L. Paour, J. Jeaume et O. de Robillard1256.

Pour une réflexion à l’option des «  didacticiens  »
Ces observations peuvent inciter à s’instruire plus avant des travaux ainsi évoqués, voire à repérer ceux de nature à les compléter ou à les relativiser. Il convient néanmoins, avant toute autre chose, de considérer les raisons ayant conduit au repérage de ces références de base. Les acquisitions que permet l’éducation cognitive ne semblent guère occasionner de transfert aux apprentissages relatifs aux disciplines scolaires. Les modalités d’aide aux acquisitions qui ont cours au plan de l’éducation cognitive peuvent cependant être jugées pertinentes du point de vue du transfert. Il est alors question d’une médiation de nature à favoriser le transfert, voire visant au transfert. Encore faut-il qu’elle opère sur des apprentissages qui se prêtent au transfert ; il en va de la suggestion d’une éducation cognitive plus en prise avec des domaines de connaissances spécifiques. La spécificité même de ceux-ci conduit dès lors à s’interroger quant à la possibilité du transfert ou à sa réalité. Or, ceux que P. Meirieu et M. Develay dénomment « didacticiens » n’accordent que peu de crédit au transfert1257. Aussi convient-il de s’inquiéter à nouveau de la question du transfert avant que de songer à la manière d’aider au transfert.

Notes
1249.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., p. 204

1250.

Feuerstein (R.), Hoffman (M.-B.), Conflit inter-génération des droits : imposition culturelle et réalisation de soi, in : Büchel (F.-P.), Op. Cit., p.127

1251.

Feuerstein (R.), Hoffman (M.-B.), Op. Cit., pp. 125-126, 134

Les auteurs écrivent en effet :

« L’exposition directe qui a lieu entre individus, et en l’individu lui-même lorsqu’il est confronté à différentes tâches, engendre des différences dans le degré et la nature du changement qui ne peuvent être expliqués en faisant seulement appel à la théorie de l’apprentissage stimulus-réponse, ni même au stimulus-organisme-réponse de Piaget. [...] Piaget décrit l’interaction d’apprentissage comme S – AT – R, dans laquelle AT est l’assimilation de la situation à la structure T. Sa formule se poursuit avec T + I = AT + E, où I est la situation et E ce qui est dans la situation de stimulus exclu par la structure [...] Nous utilisons O (organisme) à la place de AT, et notre S implique le point de vue piagétien de l’organisme avec un monde d’objets. »

Les auteurs font référence à :

Piaget (J.), Piaget’s theory, in : Mussen (P.), Carmichael’s manual of child psychology, New York : Wiley & Sons, 1970, p. 707

1252.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., p. 184

1253.

Ibid., p. 185

1254.

Ibid., pp. 194-195

1255.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., pp. 21-29

1256.

Paour (J.-L.), Jeaume (J.), de Robillard (O.), Op. Cit., pp. 58-60

1257.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 151-155