2.1 La critique de l’option des « didacticiens »

2.1.1 L’option des « didacticiens » face à celle des « méthodologues »

L’opposition « méthodologues » / « didacticiens »
P. Meirieu et M. Develay considèrent qu’à la thèse des « méthodologues » s’oppose celle des « didacticiens »1258. Ils se réfèrent à G. Vergnaud, qu’ils présentent en tant que didacticien des mathématiques, pour fournir et commenter une définition de la didactique. D’après celui-ci, elle « ‘est l’étude des processus apprentissage / enseignement spécifiques à des contenus de savoirs donnés. ’»1259 P. Meirieu et M. Develay estiment que cette définition suggère le caractère localisé des apprentissages : « ‘Dans ces conditions, il ne peut être question de récuser les contraintes de l’objet de l’apprentissage ; celles-ci font partie intégrante de la situation didactique et il n’existe pas de “méthode” universelle que l’on pourrait en quelque sorte habiller avec des disciplines différentes. » Ils jugent de fait que, pour les « didacticiens’ », la formation impose de travailler sur des contenus disciplinaires précis. Or, P. Meirieu et M. Develay annoncent que les « méthodologues » visent à apprendre à apprendre ; ce qui revient à dire qu’ils ambitionnent de fournir à l’élève des méthodologies lui permettant de s’approprier des savoirs relevant d’une discipline scolaire1260. Les options des « didacticiens » et des « méthodologues » apparaissent ainsi de nature à être opposées.

Une opposition quant à la question du transfert ?
Cette opposition semble précisément tenir, si on se fie aux indications que fournissent P. Meirieu et M. Develay quant aux deux options en présence, à la question du transfert. Ils indiquent que les « méthodologues » croient en l’existence d’acquisitions intellectuelles communes à l’ensemble des disciplines. Ainsi celles-ci pourraient-elles aisément se transférer de l’une vers l’autre1261. P. Meirieu et M. Develay soulignent, par ailleurs, que les « didacticiens » affirment au contraire le primat des apprentissages localisés1262. Tout apprentissage serait dès lors « adhérent » à un contenu donné. C’est, de fait, au regard du transfert que J.-P. Astolfi et S. Laurent envisagent les méthodes d’éducabilité cognitive : « 

‘Autour de ce problème du transfert, les années récentes ont vu le développement de perspectives quelque peu paradoxales :

  • en psychologie cognitive, la mode est plutôt à un abandon des grandes théories globales de l’apprentissage. Comme celle de Piaget qui postulait l’existence de structures générales du développement de l’intelligence. On en revient plus modestement [...] à l’idée d’apprentissages “locaux” dont, cas par cas, il faut étudier le détail.

  • dans le même temps, on voit se multiplier, en pédagogie, des méthodes pour l’apprentissage direct de capacités générales, indépendamment des disciplines. Méthodes que l’on regroupe souvent sous le générique d’éducabilité cognitive ».1263

Une opposition au regard de la question du transfert
B. Rey, comme P. Meirieu et M. Develay ou J.-P. Astolfi et S. Laurent, s’intéresse aux effets des méthodes d’éducabilité cognitive au plan des apprentissages scolaires1264. Il s’enquiert ainsi du transfert à ces apprentissages des acquisitions qu’occasionnent les ARL et le PEI. Il présente de fait, préalablement à cette investigation, une synthèse quant au transfert1265 ; une autre, relative à la notion de compétence méthodologique, la suit1266. Ces examens s’inscrivent dans une réflexion à l’existence de compétences transversales qui s’enseigneraient à l’école1267. Ils concourent ainsi à signifier l’opposition entre « méthodologues » et « didacticiens » que présentent P. Meirieu et M. Develay. B. Rey envisage ce que les ARL et le PEI autorisent à acquérir à l’aune des conditions requises à l’existence des compétences transversales ; il en fait de même pour ce qui est de la notion de compétence méthodologique. Or, ces deux études concernent l’option des « méthodologues » telle que P. Meirieu et M. Develay l’entendent1268. Elles invitent aussi, implicitement, à l’examen de celle des « didacticiens » selon lesquels il n’est d’apprentissage que contextualisé, c’est-à-dire « adhérent » à un contenu disciplinaire particulier. Point de vue de nature à être envisagé au regard du propos de B. Rey quant au transfert. C’est ainsi que sa démarche se révèle en phase avec celles de P. Meirieu et M. Develay et de J.-P. Astolfi et S. Laurent.

Transfert et manière dont les «  didacticiens  » justifient leur parti pris
Ainsi, l’opposition entre « méthodologues » et « didacticiens » apparaît-elle valoir au regard de la question du transfert. Les informations que fournissent P. Meirieu et M. Develay quant à la manière dont les « didacticiens » justifient leur thèse ont de fait rapport à celle-ci. Ils rapportent que les « didacticiens » fondent leur parti pris sur des considérations philosophiques et épistémologiques : « ‘Bachelard, après avoir constaté que les “variations du raisonnement” dans les sciences imposaient en permanence une sorte de réorganisation des principes de la raison, expliquait-il, dès 1940, que “l’esprit doit se plier aux conditions du savoir” : “Avant de savoir compter, je ne savais guère ce qu’était la raison” et “que serait une fonction, demandait-il, sans des occasions de fonctionner ?” [...] Comment penser une “structure” qui tourne ainsi à vide ? La structure est, en réalité, construite par les matériaux qu’elle traite, elle s’organise en fonction des savoirs qu’elle doit s’approprier. »1269 ’ P. Meirieu et M. Develay signifient, en outre, que les « didacticiens » font état de constats psychologiques : ‘« Par ailleurs, c’est Vygotsky qui écrivait, en 1934 [...] : “Un examen approfondi montre que la spécialisation des capacités est en réalité beaucoup plus grande qu’il ne semble à première vue.[...]” [...] Et Vygotsky donne d’autres exemples [...] qui confortent sa thèse : il n’existe que des capacités “locales”, strictement associées à des contenus déterminés, et l’on ne peut, d’aucune manière, parler d’une “capacité générale” d’évaluation, de précision ou de mémoire. »1270

La question du transfert en tant qu’appendice de celle des apprentissages
Ainsi envisagés les « didacticiens » apparaissent-ils enclins à considérer que les apprentissages sont spécifiques aux contenus sur lesquels ils s’opèrent. P. Meirieu et M. Develay précisent cependant : « ‘Il reste [...] à Vygotsky la tâche d’expliquer comment il se fait que certaines habiletés semblent se retrouver d’une activité à une autre : il est indubitable, en effet, que quiconque sait conduire une automobile apprendra plus facilement qu’une autre personne à conduire une moto ou un bateau. Or, dans la perspective de Vygotsky [...] c’est que, la tâche complexe qui consiste à “conduire une automobile” comporte de nombreux éléments, des “micro-expertises” dirait-on aujourd’hui, que l’on retrouve, combinés à d’autres éléments, dans des tâches proches »’ 1271. P. Meirieu et M. Develay concluent dès lors leur présentation de l’option des « didacticiens » en ces termes : « ‘Dans ces conditions, explique Vygotsky, qui peut être considéré comme un des véritables fondateurs d’une théorie des didactiques : “la tâche de l’enseignant n’est pas de développer la réflexion, la mémoire, le jugement ou l’attention, mais de nombreux comportements intellectuels particuliers portant sur des matières diverses. Il ne s’agit pas de renforcer notre capacité générale d’attention, mais de développer différents comportements permettant de concentrer l’attention sur des matières diverses” ’»1272. Ainsi les « didacticiens » apparaissent-ils nettement plus réservés que les « méthodologues » quant au poids du transfert dans les apprentissages : tout au plus serait-il question de « micro-transferts », de transferts de « micro-expertises » ne suffisant pas à permettre un nouvel apprentissage. La question du transfert peut alors n’être considérée que comme appendice de celle des apprentissages.

Notes
1258.

Ibid., p. 151

1259.

Ibid., p. 151

Les auteurs font référence à :

Vergnaud (G.), in : Actes de la deuxième école d’été de didactique des mathématiques, éditions de l’Institut IMAG, Université Grenoble 1

1260.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 144-145

1261.

Ibid., p. 142

1262.

Ibid., p. 151

1263.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 78

1264.

Rey (B.), Op. Cit., pp. 114-118

1265.

Ibid., pp. 71-94

1266.

Ibid., pp. 119-142

1267.

Ibid., pp. 15-24

1268.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 142, 144

1269.

Ibid., p. 151

Les auteurs font référence à :

Bachelard (G.), La philosophie du non, Paris : PUF, 1970, p. 144

1270.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 151-152

Les auteurs font référence à :

Vygotsky (L.S.), Le problème de l’enseignement et du développement mental à l’âge scolaire, in : Schneuwly (B.), Bronckart (J.P.), Vygotsky aujourd’hui, Neuchâtel, Paris : Delachaux et Niestlé, 1985, p. 102

1271.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 152

1272.

Ibid., p. 152

Les auteurs font référence à :

Vygotsky (L.S.), Op. Cit., pp. 102-103