2.1.3 Le problème de la recevabilité de l’option des « didacticiens »

Question des « micro-expertises » et poids du transfert dans le processus d’apprentissage
P. Meirieu et M. Develay jugent, à l’instar des « didacticiens », qu’un apprentissage est essentiellement fonction d’un contenu particulier. Il peut, selon eux, certes aider à un nouvel apprentissage, voire à apprendre à nouveau ; il ne peut cependant pas suffire à l’affaire. Il est éventuellement question d’un transfert de « micro-expertises » aidant à cet apprentissage mais ne l’autorisant pas, à elles seules. Il est ainsi envisagé que deux tâches présentant des similitudes peuvent requérir des « micro-expertises » communes ; chacune d’elles est en outre considérée en requérir qui lui sont particulières. L’analyse de J.-P. Astolfi et S. Laurent les conduit à adopter ce point de vue : « ‘le transfert n’est ni immédiat, ni intégral, et [...] si quelque chose se transfère, beaucoup d’autres choses nouvelles doivent être apprises ’»1295. B. Rey, lui aussi, en vient à avancer qu’il n’est de transfert que celui de « micro-expertises ». Son analyse, à partir des travaux de la psychologie relatifs à la résolution de problèmes, débouche même sur un propos qui peut paraître radical : « ‘[...] le transfert n’a lieu que si l’identité de structure a été reconnue et si le sujet domine les spécificités contextuelles de chacun des problèmes : autrement dit, il se produit lorsque le sujet a appris séparément à résoudre les deux problèmes, c’est-à-dire lorsqu’il n’a plus besoin de transférer ! On voit par là qu’on ne peut guère attendre du transfert dans le processus d’apprentissage’ »1296.

La recevabilité de l’option des «  didacticiens  » aux plans politique et éthique en question
B. Rey remarque cependant que ce point de vue, ‘« si on le prend tel quel, a des conséquences dommageables qu’on peut réunir autour de deux pôles dont l’un est d’ordre politique et l’autre d’ordre éthique.’ »1297 L’accepter, note-t-il, revient à se résoudre à ce que l’Ecole n’apprenne qu’à réussir à l’Ecole1298. Le faire sien, surenchérit-il, conduit à reconnaître que l’autonomie intellectuelle de l’élève est exclue : on considère en effet qu’il est enfermé dans le champ d’opérations exclusif auquel l’a préparé le maître. Il en va ainsi, conclut-il, non seulement d’une mise en cause de l’Ecole en tant qu’institution, mais encore d’une impossibilité affirmée de l’éducation. Ainsi signifie-t-il qu’une adoption radicale de l’option des « didacticiens » est irrecevable. Point de vue que paraissent, en tout état de cause, partager J.-P. Astolfi et S. Laurent qui intitulent leur article relatif au transfert : « ‘Le transfert, enjeu des apprentissages’ »1299. Ils donnent de fait le ton dans le préambule : « ‘Le problème du transfert des apprentissages est une des questions-clés de la réussite scolaire, et ce n’est pas une question facile’ ». L’analyse de B. Rey est en outre de nature à trouver grâce aux yeux de P. Meirieu et M. Develay : l’accueil qu’ils réservent à l’option des « méthodologues » au plan des finalités poursuivies en atteste1300. Ils annoncent en effet reprendre à leur compte le postulat d’éducabilité des sujets, ainsi qu’une conception faisant de la culture un moyen offert à l’individu pour affronter des situations nouvelles.

L’option des «  didacticiens  » face à la question de la décontextualisation des acquis
P. Meirieu et M. Develay se montrent, par ailleurs, explicitement critiques à l’encontre de l’option des « didacticiens ». Ils en envisagent certes l’intérêt à la lumière de deux expérimentations auxquelles ils ont eu affaire1301. L’une d’elles les conduit à repérer qu’il ne peut être question de construire avec des élèves une sorte de capacité générale à contracter des textes ; elle accrédite, à leurs yeux, la thèse selon laquelle le transfert porte sur des « micro-expertises »1302. L’autre expérimentation leur permet de noter que la maîtrise qu’a un élève de l’opération de transitivité fluctue suivant le problème dans la résolution duquel elle est requise ; elle signifie pour eux que les contenus peuvent jouer quant à l’accès aux opérations mentales du sujet : « ‘la relation que nous vivons aux contenus de connaissance n’est pas de nature strictement intellectuelle ; elle comporte des dimensions sociales [...] et cliniques [...] qui interdisent de s’en tenir, dans l’analyse didactique, à des schémas formalisés ou à des capacités très générales.’ »1303 P. Meirieu et M. Develay notent dès lors une limite à l’option des « didacticiens » : ‘« Ainsi, ces deux exemples, en même temps qu’ils démontrent la légitimité de l’approche didactique, attirent-ils notre attention sur un double problème ou, plutôt, sur la double dimension d’un même problème, celui de la décontextualisation des acquis »1304.’

Les didactiques face à la question de la décontextualisation des acquis
P. Meirieu et M. Develay s’interrogent alors en ces termes : « ‘à quelles conditions un savoir acquis localement peut-il être réutilisé de façon pertinente dans un autre cadre, avec d’autres matériaux, d’autres contenus ? ’»1305 Ils envisagent la question de la décontextualisation au regard des expérimentations dont ils ont rapporté les résultats. Elle leur apparaît ne pas pouvoir « ‘s’effectuer à partir de grandes capacités générales que l’on appliquerait indistinctement à tous les problèmes rencontrés ’». Leur analyse les conduit, cependant, à critiquer l’option des « didacticiens ». P. Meirieu et M. Develay notent que la décontextualisation ‘« requiert tout un travail pour s’appuyer et se dégager tout à la fois du rapport d’implication personnelle que l’on entretient avec des contenus déterminés. ’» Ils soulignent alors que les didactiques sont peu outillées pour répondre au problème de la décontextualisation : « ‘Elles insistent avec raison sur l’existence de contraintes inhérentes aux contenus de savoir mais elles n’aident guère le sujet à acquérir des outils cognitifs, affectifs ou psycho-moteurs qu’il soit capable d’utiliser à bon escient à l’extérieur de l’École et sur d’autres contenus que ceux qui y ont été abordés. » Ils jugent ainsi l’option des « didacticiens’ » pertinente, au regard des travaux relatifs aux apprentissages ; ils estiment, néanmoins, son développement exclusif dommageable, au plan de l’éducation.

Pour un dépassement de l’option des «  didacticiens  »
P. Meirieu et M. Develay signifient que les « didacticiens » n’accordent que peu de poids au transfert, au plan des apprentissages. Pour les « didacticiens », indiquent-ils, il ne peut qu’être question, au plan des apprentissages, de « micro-transfert ». Deux tâches peuvent requérir des « micro-expertises » communes. Savoir réaliser l’une de ces tâches peut aider à apprendre à effectuer l’autre. Cela ne peut, cependant, suffire à l’affaire : si les deux tâches requièrent des « micro-expertises » identiques, chacune en nécessite qui lui sont propres. L’analyse que font P. Meirieu et M. Develay de résultats d’expérimentations didactiques accrédite ces considérations. Le propos que tiennent J.-P. Astolfi et S. Laurent quant au transfert concourt, lui aussi, à en suggérer le bien-fondé. La réflexion que développe de B. Rey quant à la question des structures logico-mathématiques générales, également. Il en est de même de la synthèse qu’il propose des travaux concernant l’analogie dans la résolution de problèmes. Ses analyses le conduisent à avancer qu’on ne peut guère attendre du transfert dans le processus d’apprentissage. Tous ces auteurs soulignent, de plus, que le transfert n’est pas forcément immédiat ou spontané. Leurs propos semblent aller dans le sens de celui des « didacticiens » pour lesquels la question du transfert est secondaire en regard de celle des apprentissages. Les analyses de B. Rey, J.-P. Astolfi et S. Laurent, P. Meirieu et M. Develay concourent cependant à dénoncer un travers quant à l’option des « didacticiens » : son développement exclusif occulte la question de la décontextualisation des acquis quand il en va d’une exigence au plan de l’éducation. Ils donnent ainsi à penser que cette option est à dépasser.

Notes
1295.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 80

1296.

Rey (B.), Op. Cit., p. 94

1297.

Ibid., p. 143

1298.

Ibid., p. 144

1299.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 78

1300.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 147-148

1301.

Ibid., pp. 153-154

1302.

Ibid., p. 153

1303.

Ibid., p. 154

1304.

Ibid., pp. 154-155

1305.

Ibid., p. 155