2.2 Au regard de la psychologie cognitive

2.2.1 La question de la rareté du transfert

Pour un examen du bien-fondé des griefs faits à l’option des «  didacticiens  »
Les analyses, relatives à l’option des « didacticiens », de P. Meirieu et M. Develay, J.-P. Astolfi et S. Laurent ainsi que B. Rey aboutissent à des conclusions similaires. Elles invitent en outre à réfléchir à un dépassement de l’option des « didacticiens ». Il convient néanmoins, avant que de songer à leur emboîter le pas, de s’enquérir du bien-fondé de cette critique de l’option des « didacticiens ». P. Meirieu et M. Develay, J.-P. Astolfi et S. Laurent ou B. Rey ne parlent qu’en leur nom lorsqu’ils dénoncent les travers de cette option : ils raisonnent à partir de ce qu’ils jugent pertinent en celle-ci. C’est alors la réflexion qui les a conduit à ce jugement qui est à considérer. Or, seul B. Rey statue à la suite d’un propos relativement référencé : il envisage la question du transfert au regard de la psychologie cognitive1306. P. Meirieu et M. Develay ne font référence qu’à L.S. Vygotsky pour ce qui est de la question des « micro-expertises »1307 ; J.-P. Astolfi et S. Laurent ne mentionnent guère qu’un écrit de P. Mendelsohn et l’extrait d’un ouvrage de M. Develay à y avoir trait1308. Ces auteurs, de plus, ne fournissent aucune référence concernant le caractère non automatique et non systématique du transfert. Les conclusions de l’analyse de B. Rey sont en outre similaires à celles de P. Meirieu et M. Develay ou J.-P. Astolfi et S. Laurent. Il semble ainsi judicieux de réfléchir à nouveau au regard de celle-ci.

Pour un examen au regard des auteurs auxquels B. Rey fait essentiellement référence
B. Rey a proposé une synthèse des études psychologiques qui traitent du transfert : il est essentiellement question, indique-t-il, de travaux concernant l’analogie dans la résolution des problèmes. Il s’avère qu’il réfléchit à partir de neuf références différentes ; on note, par ordre de citation, les auteurs suivants : C. Bastien, B. Dumont, R. Noirfalise, J.-F. Richard, A. Nguyen-Xuan, P. Mendelsohn, C. Georges et J.-F. Richard, J. Piaget, E. Cauzinille-Marmèche et J. Mathieu1309. Il s’avère, en fait, que B. Rey emprunte principalement à quatre sources. Il consacre un paragraphe entier sur un total de six à réfléchir à partir d’un écrit de C. Bastien ; il s’y réfère en outre pour illustrer le caractère non systématique du transfert. La référence à J.-F. Richard est aussi très prégnante dans l’analyse de B. Rey : elle apparaît huit fois sur un total de trente-quatre notes de bas de page ; elle est ainsi la plus fréquente et est en outre utilisée au fil du discours considéré. B. Rey se réfère relativement souvent, aussi, à P. Mendelsohn ainsi qu’à E. Cauzinille-Marmèche et J. Mathieu : il le fait six fois pour ce qui est du premier et autant en ce qui concerne les secondes. On peut alors envisager de réfléchir à partir d’écrits émanant de ces auteurs et relatifs à l’analogie, à la résolution de problèmes ou à la question du transfert.

L’abandon de la notion de structure opératoire comme point de départ de la réflexion
B. Rey expose sa réflexion au transfert après avoir mis en question l’idée piagétienne de structure logico-mathématique unique et transversale1310. P. Mendelsohn signale l’abandon progressif de la notion de structure opératoire1311. J.-F. Richard observe : ‘« Dans les situations de résolution de problème [...] il faut construire une représentation spécifique de la situation à partir de laquelle est élaboré un processus de solution. Cette question a été abordée de deux points de vue différents : celui de l’école genevoise et celui du traitement de l’information.’ »1312 Il annonce que ‘« Dans sa théorie des stades, Piaget sépare les structures de connaissances et les contenus : ceci est caractéristique d’un point de vue structuraliste. ’» Il souligne qu’il en va de l’origine de la notion de décalage horizontal, la réalisation des potentialités qu’autorisent les structures dépendant des contenus. Il ajoute que cette perspective « ‘ne fait pas place au problème de l’application des structures de connaissance aux contextes particuliers’ ». J.-F. Richard indique que deux points de vue se sont par la suite développés. Le premier résulte du recentrage de l’école genevoise sur l’étude des procédures, à l’instigation de B. Inhelder1313. Le second a pour origine les travaux de A. Newell et H.A. Simon quant à la résolution de problèmes1314. Il est, en tout état de cause, dans les deux cas, question du fonctionnement cognitif de l’individu en situation. Ces propos accréditent ainsi le point de départ de la réflexion de B. Rey.

La question de la rareté et du caractère non systématique et non spontané du transfert
Un premier temps dans le raisonnement qu’il expose débute par une constatation : le transfert au plan de l’analogie dans la résolution de problèmes est rare et n’est ni systématique, ni spontané. P. Mendelsohn rend compte, dans un écrit sorti en 1996, de « l’approche expérimentale » du « transfert de connaissances ». Il l’envisage en tant que ‘« mécanisme qui permet à un sujet d’utiliser dans un nouveau contexte des connaissances acquises antérieurement’ »1315. Il signale de fait à son propos : ‘« Premier résultat stable, le transfert de connaissances [...] n’est en tout cas pas un processus spontané.’ » E. Cauzinille-Marmèche a, en outre, intitulé un paragraphe d’un article, édité en 1996 et consacré à la résolution de problèmes : ‘« Transférer une solution à un nouveau problème isomorphe n’a rien d’automatique ’»1316. Elle rapporte les travaux princeps de M.L. Gick et K.J. Holyoak qui montrent que ‘« le transfert est généralement très faible lorsqu’il s’agit de transférer une solution à un nouveau problème isomorphe relevant d’un domaine sémantiquement très différent ’»1317. Ainsi, point de transfert de la solution du problème de l’attaque de la forteresse vers la résolution de celui, pourtant isomorphe, de la radiation de la tumeur : « ‘L’hypothèse faite pour rendre compte de ces résultats est que le problème source a été stocké en mémoire dans sa spécificité’ »1318. E. Cauzinille-Marmèche reprend ainsi le propos qu’elle a tenu dans un article sorti en 1991 : elle montre, en celui-ci, que de nombreuses références l’accréditent1319.

La question de l’analogie en fonction des traits de surface et de la mémoire de travail
B. Rey annonce de fait que l’analogie retenue le plus fréquemment par les sujets concerne des traits de surface qu’ont en commun deux situations : elle porte plus rarement sur les traits de structure communs aux deux problèmes concernés. Il en va, suggère-t-il, des limites de la mémoire de travail : la gestion, par celle-ci, des données contextuelles rend délicat le repérage d’identités de structure. E. Cauzinille-Marmèche se réfère, par ailleurs, dans son article publié en 1991, à K.J. Holyoak et K. Koh pour indiquer : ‘« le transfert spontané peut être augmenté si la situation de référence et la nouvelle situation à traiter présentent des proximités sémantiques’ »1320. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il est question du problème de la radiation d’une tumeur et de celui de la réparation d’une ampoule. E. Cauzinille-Marmèche signifie que « ‘le pourcentage de sujets qui parviennent à mettre en oeuvre un raisonnement analogique augmente fortement lorsque les sujets sont informés qu’ils peuvent se référer à une situation précédemment traitée’ »1321. Elle conclut cependant : « ‘Il reste que, même si les sujets savent qu’ils peuvent se référer à une situation analogue pour résoudre un nouveau problème, tous ne sont pas capables d’utiliser cette situation pour produire une solution correcte, notamment si la similarité de surface est faible. »1322

Notes
1306.

Rey (B.), Op. Cit., pp. 71-94

1307.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 151-152

1308.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., pp. 80, 83

1309.

Rey (B.), Op. Cit., pp. 78-94

1310.

Ibid., pp. 72-78

1311.

Mendelsohn (P.), Op. Cit., p. 24

1312.

Richard (J.-F.), Les activités mentales, Comprendre, raisonner, trouver des solutions, Paris : Armand Colin, collection : U, 1998, p. 217

1313.

Richard (J.-F.), Op. Cit., pp. 217-218

L’auteur fait référence à :

Inhelder (B.), Piaget (J.), Procédures et structures, Archives de psychologie, XLVII, n° 181, 1979, pp. 165-176

Inhelder (B.), Cellérier (G.), Les cheminements de la découverte chez l’enfant, Neuchâtel, Paris : Delachaux et Niestlé, 1992, p. 177

1314.

Richard (J.-F.), Op. Cit., p. 218

L’auteur fait référence à :

Newell (A.), Simon (H.A.), Human Problem Solving, Englewood Cliffs, N.J., Prentice Hall, 1972

1315.

Mendelsohn (P.), Le concept de transfert, in : Meirieu (P.), Develay (M.) : Le transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue, Actes du colloque organisé à l’université Lumière Lyon 2, 29 septembre – 2 octobre 1994, Lyon : CRDP, collection : Documents, actes et rapports pour l’éducation, 1996, p. 15

1316.

Cauzinille-Marmèche (E.), La résolution de problèmes, in : Lieury (A.), Manuel de psychologie de l’éducation et de la formation, Paris : Dunod, 1996, p. 141

1317.

Cauzinille-Marmèche (E.), Op. Cit., pp. 141-142

L’auteur fait référence à :

Gick (M.L.), Holyoak (K.J.), Analogical Problem Solving, Cognitive Psychology, n° 12, 1980, pp. 306-355

Gick (M.L.), Holyoak (K.J.), Schema Induction in Analogical Transfer, Cognitive Psychology, n° 15, 1983, pp. 1-38

1318.

Cauzinille-Marmèche (E.), Op. Cit., p. 142

1319.

Cauzinille-Marmèche (E.), Apprendre à utiliser ses connaissances pour la résolution de problèmes : analogie et transfert, Bulletin de psychologie, n° 399, Tome XLIV, janvier 1991, p. 157

L’auteur fait référence à :

Holyoak (K.J.), Junn (E.N.), Billman (O.), Development of analogical problem-solving skill, Child Development, n° 55, 1984, pp. 2042-2055

Holyoak (K.J.), Koh (K.), Surface and structural similarity in analogical transfer, Memory and Cognition, n° 15, 1987, pp. 332-340

Keane (M.), On retrieving analogues when solving problems, The Quarterly Journal of Experimental Psychology, Scetion A-human Experimental Psychology, n° 39, 1987, pp. 29-41

Spencer (R.M.), Weisberg (R.W.), Op. Cit., pp. 432-441

Stein (B.S.), Way (K.R.), Benningfield (S.E.), Hedgecough (C.A.), Constraints on spontaneous transfer in solving-problems tasks, Memory and Cognition, n° 14, 1986, pp. 432-441

1320.

Cauzinille-Marmèche (E.), Op. Cit., p. 157

L’auteur fait référence à :

Holyoak (K.J.), Koh (K.), Op. Cit., pp. 332-340

1321.

Cauzinille-Marmèche (E.), Op. Cit., p. 159

L’auteur fait référence à :

Crifasi (M.A.), Brown (A.L.), Analogical transfer in very young children combining two separately learned solutions to reach a goal, Child Development, n° 57, 1986, pp. 953-968

Gick (M.L.), Holoyak (K.J.), Op. Cit., pp. 1-33

1322.

Cauzinille-Marmèche (E.), Op. Cit., p. 159

L’auteur fait référence à :

Gholson (B.), Eymard (L.A.), Long (D.), Morgan (D.), Leeming (F.C.), Problem solving, recall, isomorphic transfer, and nonisomorphic transfer among third-grade and fourth-grade children, Cognitive Development, n° 3, 1988, pp. 37-53

Reed (S.K.), Dempster (A.), Ettinger (M.), Usefulness of analogous solutions for solving algebra word problems, Journal of Experimental Psychology, Learning, Memory and Cognition, n° 11, 1985, pp. 106-125