3 . Transfert, « pédagogues » et épistémologie des savoirs

Au regard des analyses de J.-P. Astolfi et S. Laurent, P. Meirieu et M. Develay ainsi que B. Rey
P. Meirieu et M. Develay, J.-P. Astolfi et S. Laurent ainsi que B. Rey examinent deux conceptions opposées concernant la question du transfert. Il s’avère qu’ils présentent des analyses tout à la fois complémentaires et convergentes. Ils considèrent que les programmes d’éducabilité cognitive n’occasionnent pas d’acquisition valant significativement au plan des apprentissages scolaires. Ils sont moins critiques quant aux modalités de formation que proposent les « méthodologues » : ils invitent dès lors à réfléchir à la fonction de médiation en tant qu’aide au transfert. Il leur apparaît, par ailleurs, que tout apprentissage est fondamentalement localisé. Ainsi adhèrent-ils au propos des « didacticiens » qui considèrent que le transfert porte sur des « micro-expertises ». Ils soulignent néanmoins que l’option des « didacticiens » pose problème aux plans politique et éthique. La faire sienne revient à leurs yeux à reconnaître que l’Ecole n’a pas d’utilité sociale, qu’elle ne peut ambitionner d’éduquer les sujets. P. Meirieu et M. Develay estiment que l’option des « méthodologues » est recevable au plan des finalités. Ils soulignent, d’une part, que les tenants de cette option postulent l’éducabilité des sujets ; ils montrent, d’autre part, qu’elle a trait à une conception idoine à l’Ecole des rapports de l’individu à la culture.

Au regard du dépassement de l’opposition «  méthodologues  » / «  didacticiens  »
Les propos de P. Meirieu et M. Develay, J.-P. Astolfi et S. Laurent ou B. Rey conduisent ainsi au repérage d’une aporie. Ils donnent à penser, d’une part, que l’option des « méthodologues » ne vaut pas dans le cas des apprentissages scolaires quand elle est recevable au plan des finalités. Ils signifient, d’autre part, que l’option des « didacticiens » est pertinente pour ce qui est des apprentissages disciplinaires et irrecevable aux plans politique et éthique. Ils invitent dès lors à un dépassement de l’opposition observée entre l’option des « méthodologues » et celle des « didacticiens ». J.-P. Astolfi et S. Laurent inventorient les « Facteurs » favorables et défavorables au transfert1370. P. Meirieu et M. Develay envisagent comment la pratique pédagogique peut dépasser le débat entre « méthodologues » et « didacticiens »1371. Ils suggèrent, aussi, de faire acquérir des « connaissances » autres que les savoirs disciplinaires eux-mêmes1372. B. Rey propose, pour sa part, la transmission aux élèves d’« intentions transversales »1373. Il s’essaie au repérage de quelques-unes et envisage les modalités de leur acquisition. Il en va alors d’une confrontation de trois points de vue, émis à partir d’analyses convergentes des options des « méthodologues » et des « didacticiens ». Il s’agit de statuer quant à la similarité, la compatibilité ou la complémentarité de chacun par rapport aux deux autres. Il est, en définitive, question d’opérer une synthèse critique de l’option ou des options de ceux qu’on peut dénommer « pédagogues ». Ils se montrent en effet résolument attachés à une éducation du sujet au travers des apprentissages localisés qui ont cours à l’Ecole. Or, selon P. Meirieu et M. Develay, la pédagogie est « ‘réflexion sur l’éducation des personnes en tant que cette éducation s’effectue au travers d’apprentissages déterminés’ »1374.

Au regard de l’éducation cognitive et des données issues de la psychologie cognitive
On observe qu’il est des données de nature à relativiser leurs analyses des options des « méthodologues » et des « didacticiens ». Leur réflexion à l’option des « méthodologues » porte sur un petit nombre de programmes : il s’agit essentiellement du PEI ou des ARL. Elle appelle ainsi l’étude des propos des tenants de l’éducation cognitive et de synthèses consacrées à celle-ci. L’examen d’un écrit de J.-C. Coulet ainsi que d’un ouvrage collectif coordonné par F.-P. Büchel se révèle les accréditer. Elle autorise, en outre, à envisager un éventail de modalités d’intervention susceptibles d’aider au transfert. Il est à noter, de plus, que des écrits concernant la résolution de problèmes présentent des modalités d’intervention ayant cet objet. On observe, par ailleurs, que seul B. Rey présente une critique véritablement référencée de l’option des « didacticiens ». L’analyse d’écrits des auteurs auxquels il se réfère principalement conduit à relativiser cette critique. Ainsi P. Mendelsohn indique-t-il, à l’issue d’un examen de l’approche expérimentale du transfert : « ‘Ces résultats nous suggèrent qu’il n’existe pas, d’un côté des connaissances stockées quelque part dans le cerveau de nos élèves, et, de l’autre, des aptitudes à transférer plus ou moins indépendantes de la façon dont ces connaissances ont été acquises.’ »1375 Il signifie dès lors que tout apprentissage dépend des connaissances acquises et de la façon dont elles ont été encodées. Il suggère, aussi, qu’on peut raisonnablement ambitionner une éducation des sujets au travers d’apprentissages localisés.

Deux niveaux d’analyse pour une synthèse
Il apparaît que la confrontation des points de vue des « pédagogues » est nécessaire mais insuffisante à l’examen du problème du transfert. Des données relevant de l’éducation cognitive ou de la psychologie cognitive sont aussi à considérer. Il y a lieu de s’intéresser aux modalités d’intervention qui ont cours en éducation cognitive : le propos des « pédagogues » y invite. Il s’agit de prendre en considération, aussi celles que donnent à connaître des productions qui ont trait à la résolution de problèmes. Des écrits de psychologues cognitivistes invitent en outre à relativiser la critique que les « pédagogues » font à l’option des « didacticiens ». Ils donnent à penser qu’il est question d’une dérive éventuelle plus que d’une implication. Il en va alors d’une analyse relative au transfert dont les tenants et les aboutissants sont à considérer. Ces observations autorisent, par ailleurs, à spécifier les deux dimensions sur lesquelles la confrontation envisagée doit porter. Il s’agit, d’une part, qu’elle concerne les modalités d’intervention visant à favoriser le transfert. Il convient, d’autre part, qu’elle intègre la réalité des apprentissages et l’exigence du transfert : la dépendance des apprentissages au contexte en lequel ils ont été effectués et la nécessité de se libérer de cette « adhérence ».

Notes
1370.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 80

1371.

Meirieu (P.), Develay (M.), Emile, reviens vite... ils sont devenus fous, Paris : ESF éditeur, collection : Pédagogies, 1993, pp. 156-157

1372.

Ibid., pp. 168-174

1373.

Rey (B.), Op. Cit., pp. 143-208

1374.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 50

1375.

Mendelsohn (P.), Op. Cit., p. 19