3.1 La critique des options des « pédagogues »

3.1.1 Les options assimilatrices

La relation aux travaux relevant de la psychologie cognitive dans l’option de J.-P. Astolfi et S. Laurent
J.-P. Astolfi et S. Laurent dressent une liste de « Facteurs favorables » au transfert. Ils se réfèrent à un ensemble de publications, dont certaines émanent de chercheurs en psychologie cognitive : deux sont signées de P. Mendelsohn, une autre de E. Cauzinille-Marmèche, une autre encore de J.-F. Richard1376. Les emprunts faits à ces auteurs sont repérables au plan de l’inventaire présenté. On peut en effet relever à sa lecture que « 

‘Le transfert est facilité quand :

  • les deux situations possèdent des traits de surface communs ;

  • on avertit les sujets qu’ils auront quelque chose à transférer ;

  • le contexte social des deux situations est le même [...]

  • le sujet est familiarisé avec ce type de problèmes, [...] a eu l’occasion de repérer des problèmes isomorphes ; [...]

  • le sujet a été exercé au repérage des principes communs (par exemple : prise de conscience des structures par explicitation ou verbalisation) ;

  • la mémoire de travail du sujet n’est pas trop chargée, pour qu’il puisse repérer les invariants. »

Ces rubriques autorisent, en outre, à déduire les « Facteurs défavorables » au transfert que J.-P. Astolfi et S. Laurent présentent.

La relation aux travaux relevant de l’éducation cognitive, dans l’option de J.-P. Astolfi et S. Laurent
Les « Facteurs favorables » restants signifient des références d’une autre nature. Ils sont, à tout le moins, cohérents avec les données issues du courant de pensée de l’éducation cognitive. J.-P. Astolfi et S. Laurent se réfèrent à L.S. Vygotsky pour annoncer que « ‘Le transfert est facilité quand [...] le problème appartient à la zone proximale de développement du sujet’ ». Ce propos suggère une aide à apporter à l’élève ; L.S. Vygotsky indique en effet que « ‘Ce que l’enfant est capable de réaliser avec l’aide de l’adulte délimite sa zone proximale de développement.’ »1377 Or, L.S. Vygotsky est l’un de ceux dont les tenants de l’éducation cognitive se réclament fréquemment. J.-C. Coulet le cite en son exposé relatif à la « fonction de médiation »1378. F.-P. Büchel s’y réfère également lorsqu’il discourt à propos de la « transmission culturelle »1379. J.-P. Astolfi et S. Laurent indiquent, par ailleurs, que le transfert est favorisé lorsque « ‘le sujet est capable de contrôler son activité’ ». Leur affirmation est de nature à appeler un travail au plan de la métacognition. Cette dernière est, pour J.-C. Coulet, l’un des « ‘mécanismes associés aux principes de l’éducation cognitive’ »1380. F.-P. Büchel voit quant à lui en celle-ci une assise théorique fondamentale de l’éducation cognitive1381. J.-P. Astolfi et S. Laurent envisagent, enfin, une relation au savoir favorable au transfert. Ils donnent pour exemple la confiance en soi qui autorise l’apprenant à surmonter un insuccès. Or, ils estiment que l’éducation cognitive est à même de donner confiance au sujet en ses possibilités cognitives1382. Il est à noter, au demeurant, qu’ils prennent en compte un écrit de G. Hommage et E. Perry, promoteurs des ARL, pour élaborer leur inventaire1383.

La relation aux travaux relevant de la psychologie cognitive dans l’option de P. Meirieu et M. Develay
P. Meirieu et M. Develay proposent, pour leur part, la démarche « ‘Contextualisation / décontextualisation / recontextualisation’ »1384. Selon eux, tout apprentissage doit d’abord être effectué dans un contexte précis, avec des exemples accessibles à celui qui apprend. Il doit ensuite permettre au sujet de se dégager de la dépendance à ce contexte ; ce qui suppose une prise de distance vis-à-vis de celui-ci qui n’est ni immédiate, ni automatique. Il convient enfin qu’il autorise à utiliser ce qui a été acquis dans des situations diverses ; il s’agit de repérer les caractéristiques des situations en lesquelles il sied d’en faire usage. Cette proposition n’est certes pas directement déduite des travaux relatifs au transfert qui relèvent de la psychologie cognitive. Elle procède d’une « redéfinition de la notion d’“objectif pédagogique” »1385 et d’une « remise en perspective de la notion de“ démarche pédagogique” »1386. Les auteurs étayent toutefois leur propos relatif à la « décontextualisation / recontextualisation » en se rapportant à E. Cauzinille-Marmèche et J. Mathieu1387. P. Meirieu et M. Develay soulignent alors que les experts, à la différences des novices, sont capables de mettre en relation une catégorie de problèmes et un problème particulier. Cela invite, selon eux, à pratiquer le « bridging », à solliciter cette activité de mise en relation chez l’apprenant. La démarche pédagogique qu’ils explicitent est en outre cohérente avec celles que donnent à connaître P. Mendelsohn1388, d’une part, E. Cauzinille-Marmèche1389, d’autre part.

La relation aux travaux relevant de l’éducation cognitive dans l’option de P. Meirieu et M. Develay
La proposition de P. Meirieu et M. Develay a, par surcroît, rapport à des données relatives à l’éducation cognitive. Il est à noter que le « bridging » est une modalité d’intervention qui a cours dans nombre de programmes. Si bien que J.-C. Coulet le compte comme l’un des ‘« mécanismes associés aux principes de l’éducation cognitive ’»1390. P. Meirieu et M. Develay, par ailleurs, affirment que « ‘le travail pédagogique comprend deux opérations aussi essentielles l’une que l’autre : l’étayage et le désétayage’ »1391. Ils considèrent ainsi que l’enseignant a une double tâche : « ‘élaborer des situations où, grâce à son aide et aux outils qu’il propose, l’élève puisse réélaborer des fonctions mentales et construire des connaissances nouvelles ; puis, permettre au même élève de se passer de ce qui lui a d’abord été nécessaire, du soutien affectif et psychologique qu’on lui a fourni comme de l’ensemble des interactions instrumentales et personnelles dans lesquelles il a été placé’ »1392. Il en va alors de la « contextualisation » et de la « décontextualisation / recontextualisation ». On note que P. Meirieu et M. Develay se réfèrent à L.S. Vygotsky pour fonder leur proposition1393. Ils suggèrent, par ailleurs, une prise en compte des « ‘stratégies d’apprentissage des personnes’ »1394. Elle appelle, selon eux, l’utilisation de la métacognition. Après avoir pris acte de la diversité des modalités de pratique correspondantes, ils suggèrent « ‘de s’attacher plus particulièrement à deux couples de variables – le couple processus / produit et le couple sujet / objet – et à trois dimensions de la métacognition : l’adaptation, la régulation et l’enrichissement des comportements d’apprentissage »’ 1395.

La compatibilité des synthèses de J.-P. Astolfi et S. Laurent et de P. Meirieu et M. Develay
Ainsi J.-P. Astolfi et S. Laurent, comme P. Meirieu et M. Develay, proposent-ils leurs synthèses quant à la question du transfert. Ils ambitionnent manifestement une mise en cohérence de références diverses. Les données qu’ils retiennent correspondent à des prises de position. Ces auteurs considèrent que tout apprentissage est essentiellement localisé. Ils estiment que le transfert porte sur des « micro-expertises » et n’est ni automatique, ni spontané. Ils font toutefois du transfert une exigence en matière d’éducation. Ainsi la première phase de la démarche pédagogique que proposent P. Meirieu et M. Develay est-elle celle de « contextualisation ». Il s’agit, en outre, selon eux, de solliciter le transfert ; il en va des deux phases suivantes : « décontextualisation » et « recontextualisation ». Les « Facteurs favorables » que retiennent J.-P. Astolfi et S. Laurent de la psychologie cognitive sont de nature à valoir au plan de ces deux phases. J.-P. Astolfi et S. Laurent ou P. Meirieu et M. Develay suggèrent, par ailleurs, que la métacognition, qui aide le sujet à contrôler son activité, favorise le transfert. Or, P. Mendelsohn1396 ou E. Cauzinille-Marmèche1397 sont réservés quant à la possibilité d’apprendre à planifier indépendamment d’un domaine bien déterminé. Il est question alors de l’adjonction d’une modalité d’intervention ou d’une visée d’acquisitions valant essentiellement au regard de l’éducation cognitive. J.-P. Astolfi et S. Laurent, comme P. Meirieu et M. Develay, soulignent, en outre, l’importance de la confiance en soi. La référence à L.S. Vygotsky, présente dans les deux synthèses, suggère en tout état de cause une assistance au transfert : il s’agit d’aider le sujet à transférer pour qu’il puisse, par la suite, le faire à son initiative. Les écrits relevant de la psychologie cognitive cités ne font pas état des idées ainsi inspirées de L.S. Vygotsky ; elles sont en revanche de nature à trouver grâce aux yeux des tenants de l’éducation cognitive. Les options de J.-P. Astolfi et S. Laurent et de P. Meirieu et M. Develay s’avèrent, en définitive, compatibles ; on peut considérer qu’elles procèdent d’assimilations sélectives similaires de données issues de la psychologie cognitive et de l’éducation cognitive.

Notes
1376.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., pp. 79-80

Les auteurs font référence à :

Mendelsohn (P.), Psychologie cognitive et processus d’acquisition des connaissances, in : Le fonctionnement de l’élève à l’école, European Journal of Psychology of Education, n° Spécial, Lisbonne, 1988

Mendelsohn (P.), La notion de transfert d’apprentissage en psychologie cognitive, Cahiers Pédagogiques, n° 281, février 1990, pp. 23-25

Cauzinille-Marmèche (E.), Apprendre à utiliser ses connaissances pour la résolution de problèmes : analogie et transfert, Bulletin de psychologie, n° 399, Tome XLIV, janvier 1991, pp. 156-164

Richard (J.-F.), Les activités mentales, Comprendre, raisonner, trouver des solutions, Paris : Armand Colin, collection : U, série : Psychologie, 1990, 435 p.

1377.

Vygotsky (L.S.), Op. Cit., pp. 108-109

1378.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., pp. 182-185

1379.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., pp. 25-26

1380.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., pp. 194-195

1381.

Büchel (F.-P.), Op. Cit., pp. 21-24

1382.

Astolfi (J.-P.), Laurent (S.), Op. Cit., p. 82

1383.

Ibid., pp. 79-80

Les auteurs font référence à :

Hommage (G.), Perry (E.), Les ateliers de raisonnement logique, mise en oeuvre, diagnostic, évaluation, Education permanente, n° 88-89, juillet 1987

1384.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 161-167

1385.

Ibid., pp. 156-161

1386.

Ibid., pp. 161-167

1387.

Ibid., p. 165

Les auteurs font référence à :

Cauzinille-Marmèche (E.), Mathieu (J.), Adapter les interventions tutorielles au modèle cognitif de l’étudiant, in : Caverni (J.-P.), Bastien (C.), Mendelsohn (P.), Tiberghien (G.), Op. Cit., p. 178

1388.

Mendelsohn (P.), Le concept de transfert, in : Meirieu (P.), Develay (M.) : Le transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue, Actes du colloque organisé à l’université Lumière Lyon 2, 29 septembre – 2 octobre 1994, Lyon : CRDP, collection : Documents, actes et rapports pour l’éducation, 1996, pp. 18-19

1389.

Cauzinille-Marmèche (E.), La résolution de problèmes, in : Lieury (A.), Op. Cit., pp. 147-148

1390.

Coulet (J.-C.), Op. Cit., pp. 194-195

1391.

Meirieu (P.), Develay (M.), Emile, reviens vite... ils sont devenus fous, Paris : ESF éditeur, collection : P2dagogies, 1993, p. 117

1392.

Ibid., p. 118

1393.

Ibid., p. 117

Les auteurs font référence à :

Vygotsky (L.S.), Op. Cit., pp. 95-117

Vygotsky (L.S.), Pensée et langage, Paris : Editions sociales, 1985

1394.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., pp. 169-174

1395.

Ibid., pp. 171-172

1396.

Mendelsohn (P.), Op. Cit., p. 16

1397.

Cauzinille-Marmèche (E.), Apprendre à utiliser ses connaissances pour la résolution de problèmes : analogie et transfert, Bulletin de psychologie, n° 399, Tome XLIV, janvier 1991, p. 162