Selon B. Rey, l’intention est à la base du transfert
L’option de B. Rey se révèle originale en regard de celles-ci. Il observe que les objets matériels ordinaires, comme les situations, sont envisageables selon une multitude de critères et de traits distinctifs. L’individu confronté à ces objets ou à ces situations opère dès lors, selon lui, une sélection parmi des possibles. Celle-ci peut à son tour générer la mise en oeuvre d’une procédure. Cette sélection procède alors, selon B. Rey, de la mise à l’oeuvre d’une capacité non spécialisée : « ‘Or, cette sélection, ce cadrage par lequel on évalue l’importance relative de tel trait par rapport à tel autre, par lequel on retient tel caractère et on néglige tel autre et qui décide finalement de la procédure qu’on va appliquer à la situation, voilà qui ne peut être effectué que par une capacité non encore spécialisée.’ »1398 Dès lors, l’identité de structure entre deux situations ou problèmes ne peut, par elle-même, déclencher le transfert1399. B. Rey ne nie pas pour autant que le transfert « ‘tient à ce que le sujet prenne conscience de ses propres démarches et des similitudes entre des situations’ »1400. Il reprend même le propos de M. Develay : « ‘le transfert ne se décrète pas a priori, mais aurait à être installé a posteriori, grâce à des activités de métacognition’ »1401. Ainsi B. Rey s’intéresse-t-il donc plus particulièrement à ce qui peut provoquer la prise de conscience qui autorise le transfert. Il considère qu’il s’agit du cadrage que le sujet opère sur la situation : cette donation de sens témoigne selon lui d’une visée sur les choses, c’est-à-dire d’une intention.
La relation aux travaux relevant de la psychologie cognitive dans l’option de B. Rey
Ainsi, l’intention, telle que B. Rey l’envisage, est-elle à la base du processus de transfert. L’originalité du propos de B. Rey apparaît aussi au plan de ses références à la psychologie cognitive. Celles qu’il a considérées pour réfléchir au transfert conduisent à douter de l’existence de capacités transversales. Il note cependant qu’il est, dans le courant des sciences cognitives, des réflexions de nature à accréditer son propos. C’est le cas, selon lui, du point de vue de J. Fodor quant au fonctionnement de l’esprit1402. Il indique que, selon J. Fodor, une part du fonctionnement mental relève de systèmes modulaires périphériques dont chacun est attaché à un domaine : ils n’utilisent qu’une information limitée qui leur est spécifique. Il ajoute que J. Fodor envisage cependant l’existence de systèmes centraux en lesquels l’information circule d’une manière transversale : « ‘Le rôle de ces systèmes centraux serait de “fixer les croyances” du sujet, c’est-à-dire d’exécuter, à partir des informations fournies par les systèmes périphériques et d’autres informations qu’ils possèdent déjà, les opérations qui le conduisent à affirmer des propositions sur le monde environnant’
. » B. Rey considère aussi que sa thèse est cohérente avec le propos de F. Varela quant à l’énaction1403. Pour F. Varela, indique-t-il, les propriétés du monde ne préexistent pas à l’activité du sujet ; c’est lui qui leur donne sens : ‘« Varela dit que c’est le sujet qui les “fait émerger” ou encore qu’elles sont “énactées”. »’
La relation aux travaux relevant de la l’éducation cognitive dans l’option de B. Rey
B. Rey remarque que la psychologie cognitive rencontre des difficultés à rendre compte du caractère transversal du fonctionnement mental. Cela implique à ses yeux l’examen à nouveaux frais de la question1404. Il en vient alors à signifier que la transversalité est un objet à connaître et non pas une faculté psychologique ; ce qui le conduit à noter le rôle de la prise de conscience au plan du transfert ainsi qu’à défendre l’idée qu’elle suppose une intention du sujet1405. B. Rey souligne que, pour l’enseignant, certains cadrages sont meilleurs que d’autres ; il s’enquiert alors du repérage des intentions correspondantes. Il considère qu’il s’agit de « ‘faire apparaître l’intention par ses différences avec d’autres visées possibles sur le monde’ »1406. Selon lui, en effet, l’intention n’est pas observable : elle est un choix cognitif du sujet, une orientation de l’attention, elle s’exprime dans une infinité de choix cognitifs particuliers1407. Sa transmission relève, précise-t-il, du mimétisme. Il estime que l’intention est l’acte par lequel le sujet pose comme objet tel aspect du monde ; or, ajoute-t-il, « ‘la transmission d’un “faire”, quand il n’est ni conscient ni objectivable, quand il ne saurait donc être objet de savoir, ne peut relever que du “faire comme“.’ »1408. Il signale alors qu’il en va d’une modalité de transmission proche de l’expérience médiatisante selon R. Feuerstein. Il est à rappeler aussi, qu’à ses yeux, l’intention provoque la prise de conscience, la métacognition autorisant le transfert.
Une option différente de celle de J.-P. Astolfi et S. Laurent comme de celle de P. Meirieu et M. Develay
Ainsi cette option, comme la démarche conduisant à sa formalisation, peut-elle être qualifiée d’originale. Le propos de B. Rey donne à penser qu’à l’origine du transfert est l’intention. Or, ni J.-P. Astolfi et S. Laurent, ni P. Meirieu et M. Develay n’envisagent un tel préalable au transfert. Cette différence majeure entre leurs options et celle de B. Rey est consécutive à des approches différentes. B. Rey fait état des limites de la psychologie cognitive à rendre compte de la transversalité du fonctionnement mental. Sa réflexion le conduit à avancer que le transfert suppose une intention ; elle débouche sur une proposition quant au mode de transmission des intentions, qu’il met a posteriori en regard des modalités d’intervention qui ont cours au plan du PEI. Or, ni J.-P. Astolfi et S. Laurent, ni P. Meirieu et M. Develay n’adoptent cette approche. Les premiers opèrent un tri parmi des données relatives au transfert qu’on peut rapporter à la psychologie cognitive ou à l’éducation cognitive. Les seconds font de même et proposent, en plus, un modèle pédagogique qui les intègre. Les différences repérées entre leurs options et celle de B. Rey sont ainsi le fait de démarches discriminantes.
La question de la compatibilité des options en présence
Ces approches diffèrent principalement en ce qu’elles induisent des centrations sur des aspects différents d’une même question. Celle de B. Rey le conduit à réfléchir essentiellement aux processus à l’oeuvre dans le transfert. Celle de J.-P. Astolfi et S. Laurent, comme celle de P. Meirieu et M. Develay, les conduit à insister sur les procédures d’aide au transfert. B. Rey se montre certes peu loquace quant à celles-ci ; il associe toutefois le transfert à la prise de conscience par le sujet de ses propres démarches et des similitudes entre situations1409. Ce point de vue est alors cohérent avec celui de J.-P. Astolfi et S. Laurent ainsi que celui de P. Meirieu et M. Develay. Ces auteurs se réfèrent à L.S. Vygotsky pour élaborer leurs options. J.-P. Astolfi et S. Laurent évoquent la question de la zone proximale de développement. P. Meirieu et M. Develay sont plus précis ; ils annoncent notamment que, pour L.S. Vygotsky, ‘« toute fonction psychique et toute opération mentale apparaissent deux fois dans l’histoire d’un sujet : une première fois, au moment où il peut les effectuer à l’intérieur d’un dispositif d’aide [...] Une deuxième fois, quand le sujet peut effectuer les mêmes opérations, seul, à sa propre initiative [...] dans des situations tout à fait différentes de celles où il a réalisé ses premiers apprentissages. ’»1410 On peut penser, dès lors, que le dispositif d’aide évoqué est censé autoriser l’intentionnalité qui permet le transfert. Le propos de B. Rey quant à la détermination des cadrages à promouvoir accrédite cette considération ; il annonce en effet qu’ils sont à spécifier en fonction de la structure interne du domaine de connaissances concerné1411.
Rey (B.), Op. Cit., p. 151
Ibid., p. 157
Ibid., p. 158
Ibid., p. 158
L’auteur fait référence à :
Develay (M.), Op. Cit.,p. 136
Rey (B.), Op. Cit., pp. 152-154
L’auteur fait référence à :
Fodor (J.), La modularité de l’esprit, Paris : Minuit, collection : Propositions, 1986, 178 p.
Rey (B.), Op. Cit., pp. 154-155
L’auteur fait référence à :
Varela (F.), Connaître, Les sciences cognitives, tendances et perspectives, Paris : Le seuil, 1989, 123 p.
Rey (B.), Op. Cit., p. 156
Ibid., pp. 156-163
Ibid., p. 171
Ibid., p. 167
Ibid., p. 168
Ibid., p. 158
Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 117
Rey (B.), Op. Cit., p. 166